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« mesures pour accroître la concurrence des forains sur le marché. » Au lieu de hausser, les prix baissèrent 2. En 1825 on se décida à supprimer la corporation, ou pour mieux dire, le syndicat des bouchers, en voilant à demi cette mesure d'un prétexte d'intérêt populaire ; c'était, dit l'ordonnance, pour « encourager l'engrais des bestiaux et le prix modéré ». Le nombre des boucheries put être augmenté de cent par an jusqu'en 1828, époque à laquelle devait cesser toute limite. Toutefois l'administration, qui voulait bien satisfaire les éleveurs en leur procurant le plus d'acheteurs possible, ne renonça pas à sa tutelle ; elle maintint le certificat de bonne vie et mœurs, le certificat d'apprentissage, le cautionnement, la Caisse de Poissy; le préfet de la Seine fixa, à la place du syndicat supprimé, le crédit des bouchers; la vente en gros fut prohibée; chaque boucher ne put tenir qu'un étal, il dut le tenir en personne et faire directement ses achats sur les marchés. Les charges se trouvèrent donc aggravées et les bouchers perdirent le privilège de la limitation qui leur servait de compensation.

Beaucoup de gens s'établirent, mais avec de pareilles conditions, peu devaient prospérer. Les prix du marché s'élevèrent quelque peu à cause de la multiplicité des acheteurs; mais la consommation ne s'accrut pas. Éleveurs et bouchers se plaignirent alors de concert, 5 et l'administration triomphante revint, dès le début du ministère Polignac, à ses traditions. Le syndicat fut rétabli et resta étroitement subordonné; le nombre des étaux fut fixé à quatre cents; la défense de vendre en gros ou d'exploiter plusieurs étaux fut maintenue; le

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1. Ordonn. du 9-30 octobre 1822. A cette époque les garçons bouchers adressérent au préfet de police plusieurs pétitions pour demander que le métier fût libre et non limité à 370. Moniteur de 1824, p. 769.

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2. Le prix du bœuf, qui avait varié de 1 fr. 10 le kilogramme, de 1811 à 1819, était tombé à 0 fr. 89 en 1822; il tomba à 0 fr. 87 et à 0 fr. 86 en 1823 et 1824. 3. Ordonn. du 12-31 janvier 1825.

4. D'après le Moniteur de 1824 (p. 51), la consommation de Paris était alors de 76,689 bœufs, 8,142 vaches, 74,749 veaux, 361,946 moutons. Les bœufs venaient en premier lieu de Normandie, en second du lieu du Maine, du Limousin, de l'Anjou, du Berri, du Nivernais, de la Champagne.

5. Voir, dès 1826, la pétition des bouchers se plaignant que leur nombre s'accroisse. Séance de la Chambre des députés du 13 mai 1826. Moniteur, p. 723.

6. Ordonn, du 18-27 octobre 1829. L'ordonnance est motivée ainsi : « Voulant faire cesser un état de choses qui tend à affecter d'une manière grave les sources de la reproduction des bestiaux, à compromettre la sûreté de l'approvisionnement... à détruire les garanties de qualité... » Ce syndicat, nous l'avons dit, n'avait pas la même indépendance que celui des anciennes corporations. Il avait la direction des abattoirs, et connaissait, sous le rapport de la discipline intérieure, des difficultés entre bouchers et étaliers. Mais c'était le préfet qui nommait, tous les ans, sur vingt candidats présentés par le syndicat, les dix bouchers chargés de faire les fonctions d'électeurs ; le corps des bouchers ne prenait aucune part aux élections. Le syndicat ne faisait que proposer les six inspecteurs qui surveillaient les étaux et les abattoirs : c'était le préfet qui les nommait.

cautionnement fut augmenté. L'intérêt de ces cautionnements servit à payer les dépenses du syndicat, à racheter successivement des étaux jusqu'à réduction au nombre légal, et à donner, avec l'approbation du préfet, des secours ou des pensions « aux anciens bouchers et employés de la boucherie qui manqueraient des moyens suffisants de pourvoir à leur subsistance ».' Il semblait que la réglementation s'aggravât à chaque changement. La liberté n'avait eu aucune part à ces mesures. Elle n'avait pas inspiré l'ordonnance de 1825; elle n'en avait pas profité, et cependant on ne craignit pas de dire que la liberté de la boucherie était condamnée par l'expérience.

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Les voies de communication. Il manquerait quelque chose au tableau de la France industrielle, si nous ne disions quelques mots des voies de communication. L'Empire avait par le décret du 16 décembre 1811 classé les routes impériales (au nombre de 229) et préparé le classement des routes départementales, que les conseils géné raux avaient opéré ensuite (décret du 7 janvier 1813). Il avait continué la construction des canaux commencée sous l'ancien régime et ajouté 204 kilomètres aux 1,004 kilomètres qui existaient avant la Révolution.

La Restauration continua cette œuvre de viabilité. Après les traités de 1814 et de 1815, le nombre des routes du territoire réduit de la France ne fut plus que de 182 ayant une longueur de 33,161 kilomètres, dont 30,000 à peine étaient ouverts et 12,000 seulement, à la suite des invasions, étaient en bon entretien. La Restauration dépensa 302 millions pour continuer la construction de ces routes ou en améliorer l'état. Une statistique générale dressée en 1824 accusa 191 routes royales mesurant 33,535 kilomètres, dont 14,289 en bon entretien, 14,349 exigeant des modifications importantes, 3,439 simplement ouverts, 1,438 à ouvrir. En 1830, la longueur des routes royales classées était de 34,275 kilomètres, dont 18,000 étaient en bon état. La longueur des routes départementales exécutées passa de 18,600 en 1814 à 23,500 kilomètres en 1830. L'impôt sur les voitures, qui rendait

1. Ordonnance royale du 18-27 octobre 1829, et ordonnance du préfet de police du 25 mars 1830. L'ordonnance du 25 mars 1830 enjoint aux étaliers et garçons bouchers de se munir du livret dans les trois jours de leur arrivée à Paris, de déposer dans la huitaine leur livret chez le commissaire de police qui les gardera. Les étaliers qui auront deux mois de séjour chez un boucher ne pourront, en le quittant, se placer, chez un autre boucher qu'en laissant cinq étaux d'intervalle. Pour se placer, l'étalier et le garçon boucher étaient tenus de présenter le congé écrit de leur ancien patron. Toute coalition était interdite. A l'abattoir défense de dégrader les murs, de fumer, de coucher dans les échaudoirs, de jouer à des jeux de hasard. L'usage de faire traîner les voitures par des chiens était interdit; cependant il persista encore à Paris.

2. Non compris 11 millions dépensés à Paris.

3. La longueur des routes départementales classées en 1830 était de 31,643 kilomètres.

2,400,000 francs dans les premières années de la Restauration, en rendit 5,600,000 en 1829: la circulation augmentait.

Le gouvernement se préoccupait de l'économie des transports qui intéresse particulièrement l'agriculture; le meilleur moyen de la lui procurer paraissait être la création d'un réseau de voies navigables, lequel n'était encore qu'ébauché par les canaux en exploitation. Un projet avait été mis à l'étude immédiatement après la libération du territoire, et en 1820, une statistique générale fut dressée, de laquelle il résulta que 2,760 kilomètres de canaux étaient à terminer et qu'il y avait plus de 10,000 kilomètres dont la contruction était désirable et coûterait au moins 1 milliard. Le directeur général des ponts et chaussées, Becquey, se borna à proposer un plan de 3,982 kilomètres à terminer ou à entreprendre pour la somme de 237 millions. Dans son rapport i insistait sur la grande utilité d'un bon système de canaux; il montrait l'exemple de l'Angleterre et essayait de faire comprendre que l'État se proposait un but plus élevé que de procurer un revenu au Trésor par le péage. « Ce qu'il se propose, c'est de rapprocher par des moyens artificiels des territoires que la nature a séparés, de faire communiquer entre elles les provinces qui sont privées de débouchés et d'autres qui en sont pourvues ; d'accroître la valeur des produits du sol, de donner ainsi un encouragement de plus à l'agriculture; de soutenir et de multiplier les établissements d'industrie, afin de faciliter à la production les moyens d'aller chercher la consommation. >>

Les lois du 5 août 1821 et du 14 avril 1822 autorisèrent 2,243 kilomètres (canaux des Ardennes, du Berri, d'Arles à Bouc, de Bretagne, de Bourgogne, du Nivernais, du Rhône au Rhin, etc.) et 128 millions d'emprunt, en fixant les conditions. L'Etat était autorisé à traiter avec les soumissionnaires pour se procurer les ressources; il prélevait sur les revenus de chaque canal les sommes nécessaires pour l'amortissement de l'emprunt; il administrait les canaux, mais il en partageait les produits nets avec le soumissionnaire. La dépense totale sous la Restauration s'éleva à 188 millions 1 et 921 kilomètres de canaux furent livrés à la navigation.

Attaques contre les principes de 1789. Pendant les quinze années de la Restauration, l'organisation sociale de la France moderne rencontra de nombreux ennemis à la cour, dans les Chambres, dans les salons, dans les conseils de la monarchie comme dans certains bureaux de l'administration. Elle subit pour ainsi dire un siège continuel et eut à soutenir fréquemment l'assaut des intérêts qui regrettaient

1. Dont 143 dépensés par l'Etat et 45 par les concessionnaires. A ces dépenses faites pour les canaux il convient d'ajouter 12 millions 1/2 pour les rivières canalisées.

les bénéfices du passé et des convictions qui croyaient voir dans l'émancipation des individus la ruine de la moralité.

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Les vœux annuels des conseils généraux sont une image fidèle des préoccupations du monde politique durant cette période. Pendant qu'en matière d'industrie,plusieurs d'entre eux, tantôt plus, tantôt moins, selon les chances de succès et l'opinion des ministres, demandaient chaque année le rétablissement des corporations, des inspecteurs, des règlements, la refonte du Code de commerce, d'autres, souvent les mêmes, réclamaient avec plus d'unanimité encore la revision des lois rendues depuis 1789, surtout celle des lois relatives à la propriété et aux majorats, l'extension de la puissance paternelle, principalement au sujet du droit de tester, l'éloignement de la majorité à vingt-cinq ans, la remise de l'état civil au clergé, ou tout au moins l'obligation du mariage religieux. Ce fut une guerre en règle; les plus redoutables efforts des assaillants furent tentés sous les auspices du comte de Villèle, de 1822 à 1828, lorsqu'il dirigeait les affaires. Avant lui, le comte Decazes n'avait pas laissé s'organiser l'attaque; après lui, sous le ministère Martignac, l'armée se débandant, il ne resta devant. la brèche que les plus déterminés.

La forteresse résista et le Code civil ne subit que deux changements graves, la suppression du divorce et l'introduction de la loi des substitutions. 10 L'organisation administrative fut moins contestée, et partant

1. En 1817, la Creuse; en 1818, la Côte-d'Or; en 1819, le Tarn; en 1820, 3 départements; en 1821, 4 départements; en 1822, 6 départements: en 1823, 5 départe ments; en 1824, 6 départements; en 1825, 4 départements; en 1826, 3 départements; en 1829, 2 départements. La Mayenne fut un des départements les plus persévérants en ce genre. Le département de la Seine se prononça, en 1824 et en 1825, pour ce rétablissement.

2. Voir, entre autres, en 1818, la Lozère.

3. Voir, entre autres, la Somme rappelant, en 1817, l'ordonnance de 1793 qui prescrivait de brûler les marchandises prohibées; l'Hérault demandant, en 1818, des règlements et des inspecteurs pour les étoffes destinées au commerce du Levant.

4. C'est surtout le livre des faillites qu'on attaqua. Voir, entre autres, la Marne en 1819. En 1826, la refonte fut demandée par 5 départements.

5. En 1824, 10 départements, entre autres, Indre-et-Loire et les Bouches-duRhône; en 1826, 6 départements; en 1829, 3 départements.

6. En 1824, 25 départements; en 1826, 34 départements; en 1829, 3 départements.

7. Voir les sessions de 1821 et suivantes. En 1822, 19 départements; en 1824, 21 départements; en 1826, 22 départements; en 1829, 11 départements.

8. En 1822, 13 départements; en 1824, 13 départements; en 1826, 20 départements; en 1829, 6 départements.

9. En 1824, 26 départements; en 1826, 31 départements; en 1829, 12 départe. ments.

10. Loi du 17 mai 1825. Si le Code civil ne subit pas plus d'atteintes, ce n'est pas que le parti royaliste et clérical et les grands propriétaires fonciers qui domi

elle demeura telle que l'avait faite un gouvernement soucieux de l'ordre plus que de la liberté. Les libéraux, à quelques exceptions près, ne songeaient pas à la renier, parce qu'elle tenait aux traditions de l'Empire; les ultra-royalistes, tout en la blàmant quand ils étaient dans l'opposition, s'en servaient comme d'un instrument commode quand ils occupaient le pouvoir et ne repoussaient guère d'une manière absolue que l'Université. Malgré le nombre et la puissance de ses ennemis, malgré la direction imprimée parfois à la conduite des affaires, la société française resta fondée sur les principes civils de la Révolution de 1789 et gouvernée par la tradition administrative de l'Empire. La Restauration n'y avait pour ainsi dire introduit qu'une chose, mais tellement importante qu'elle suffit à faire pardonner bien des fautes: la vie politique.

La Restauration avait reçu dans l'héritage de l'Empire une très lourde charge: 767 millions d'arriéré des années antérieures à 1816, 1 1 milliard 290 millions à payer comme contribution de guerre et comme indemnités aux vainqueurs; plus tard elle y ajouta, comme la clôture du litige des biens confisqués, le milliard des émigrés. Néanmoins elle ne fut pas dépensière ; à l'exception de l'année 1818 où la disette obligea le gouvernement à porter la dépense jusqu'à 1 milliard 434 millions, le budget des dépenses ordinaires et extraordinaires se maintint à peu près à 1 milliard, entre 934 millions (1821) et 1 milliard 414 millions (1818), année de la libération du territoire, et si six fois (1830 non compris) les dépenses excédèrent les recettes, neuf fois les recettes furent supérieures aux dépenses. Le total des seize années (1815-1830) a été de près de 15 milliards pour les recettes ordinaires, soit une moyenne annuelle de 929 millions et de 16 milliards 1/3, soit annuellement 1 milliard 20 millions pour l'ensemble des recettes ou dépenses ordinaires et extraordinaires. En somme, l'excédent des dépenses de toute sorte sur les recettes pendant la Restauration (16 ans) n'a été que d'une cinquantaine de millions. 2

naient dans les conseils généraux l'acceptassent tout entier sans regret. Les vœux émis par les conseils généraux en vue d'en modifier certaines parties sont nombreux ; par exemple, dans la session de 1824, 13 départements demandèrent de reculer l'âge de la majorité, 21 d'étendre la puissance paternelle particulièrement au sujet des testaments, 21 de reviser les lois sur la propriété foncière et particulièrement de donner plus d'extension aux majorats; 26 d'obliger les filles enceintes à faire la déclaration de leur grossesse ; 26 demandèrent d'insérer, entre autres réformes, l'obligation du mariage religieux; 33 demandèrent un Code rural.

1. Le chiffre de 766,929,001 fr. est celui qui a été arrêté par la loi du 1er juillet 1834. 2. Voir les Comptes définitifs des budgets. Le résumé annuel de ces comptes a été reproduit dans l'Annuaire statistique de la France (année 1901, p. 557). En 1817-1818, il y a eu 847 millions de ressources extraordinaires. Cependant un économiste, jeune alors, ADOLPHE BLANQUI, écrivait dans une préface un peu déclamatoire (Histoire et exposition des produits de l'industrie française en 1827): « Industriels français, vous n'ignorez pas l'immensité des impôts qui pèsent sur la France et qui s'augmentent chaque jour d'une manière effrayante. » Il a pu voir la dernière année de sa vie (1854) une dépense totale de 1 milliard 988 millions.

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