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respecter la protection, elle s'efforça de la fortifier. Les propriétaires, en faveur des maîtres de forges auxquels ils vendaient leur bois, cherchaient à écarter la concurrence des,fers étrangers et ne prenaient guère la peine de dissimuler le mobile qui les faisait agir; les industriels, pensant que « la prospérité des manufactures peut seule procurer des consommateurs utiles à l'agriculture », voulaient qu'on supprimât tout droit d'entrée sur les matières premières. Devant ces prétentions, le directeur général avait quelque peine à défendre les intérêts du fisc. L'année suivante, à la Chambre des pairs, le rapporteur, comte Cornet, posait en principe qu'un bon système de douanes est établi sur les deux bases suivantes : « l'écoulement au dehors de l'excédent des produits agricoles et industriels du pays, et la moindre admission possible au dedans de celui de l'étranger ».

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La loi du 27 mars 1817 ajoula quelques restrictions nouvelles au commerce extérieur.

Celle du 21 avril 1818 fut le sujet d'un curieux débat. Avant_1789 les provinces d'étranger effectif, n'étant pas comprises dans le périmètre des douanes, commerçaient librement avec les pays voisins; l'Alsace était du nombre et gagnait alors cinq millions par an au transport des marchandises entre l'Allemagne et la Suisse. La Révolution, en portant la ligne des douanes à la frontière, avait interrompu ces relations; l'Empire, par ses prohibitions contre le commerce maritime, les avait en partie renouées; mais depuis 1815, le bénéfice en avait passé au grand-duché de Bade. L'Alsace réclamait. Le projet de loi

1. Le général AUGIER proposa un amendement pour porter de 20, à 39 francs par 100 kilos le droit imposé par la loi du 21 décembre 1814 sur les fers laminés, que les étrangers fabriquaient par des procédés économiques (Moniteur de 1817, p. 286). L'orateur déclara «¡qu'il manquerait au premier de ses devoirs, si, connaissant bien la partie et propriétaire d'une des plus grandes usines du Berry, il ne déclarait à la Chambre que la France est menacée dans ses intérêts les plus précieux si elle ne garantit les propriétaires des]forges de la concurrence trop avantageuse de l'étranger ». BECQUEY le soutint: «< Je n'ajouterai qu'un fait la pensée de l'introduction considérable et prochaine de ces fers avec lesquels les nôtres ne peuvent entrer en concurrence pour les prix a jeté un tel découragement parmi les maîtres de forges que dans le département de la Haute-Marne, où j'ai l'honneur d'être député, dans ce département couvert de forges et de bois, des ventes de bois étaient annoncées, il y a quelques jours; ils appartiennent à Monsieur, frère du roi, et à plusieurs communes. Eh bien, il a été impossible de trouver des acheteurs... >>

2. Moniteur de 1817, p. 278. Discours du comte Beugnot. « En France, l'agriculture se défend déjà d'elle-même et un tarif de douanes doit se proposer plutôt de défendre le commerce et l'industrie nationale. »

3. Moniteur de 1818, p. 561.

4. Le transit par l'Alsace ne fut interdit qu'en 1793.

5. Voir les voeux du Bas-Rhin, sessions des conseils généraux de 1817 et de 1818. En 1819, le conseil général se plaignit que les conditions faites au transit fussent trop onéreuses. Dans les années suivantes, ce fut le tour des

de 1818 lui donnait enfin satisfaction, 'en autorisant par divers bureaux le transit de certaines marchandises et surtout des denrées coloniales. Aussitôt les ports de mer, défenseurs ordinaires de la liberté commerciale quand elle servait les intérêts particuliers de leurs armateurs, s'écrièrent qu'en permettant le passage des denrées coloniales, on facilitait les ventes des Hollandais en Suisse, au détriment de la marine française qui avait la prétention de fournir seule le sucre et le café à la République helvétique. En vain l'administration prouvait-elle surabondamment qu'il s'agissait seulement de faire prendre aux marchandises la rive gauche du Rhin au lieu de la rive droite, et que les Hollandais n'en vendraient pas une caisse de plus à la Suisse, ni nos ports une caisse de moins; la commission rejeta l'article, et la Chambre, malgré les protestations des représentants de l'Alsace, vota comme sa commission. Ce ne fut qu'un an plus tard, à la suite d'une enquête, que le ministère, persistant dans son dessein, parvint à faire voter le transit par l'Alsace, à la faible majorité de 106 voix contre 89.

Les lois sur les céréales: l'échelle mobile. Sous l'ancienne monarchie, il y avait eu, depuis Colbert, trois ports francs, Marseille, Bayonne et Dunkerque, et depuis 1784, un quatrième port, Lorient, dans lesquels les marines de tous pays pouvaient venir trafiquer librement. Le tarif de 1791 avait respecté, en principe au moins, cette franchise; la loi du 31 décembre 1794 l'avait supprimée; une loi du 16 décembre 1814 l'avait rétablie pour Marseille. Mais Marseille sentit que les temps étaient changés et que la ligne de douanes entre elle et le reste de la France lui était préjudiciable et elle renonça à cette franchise, en obtenant d'ailleurs pour son commerce, par l'ordonnance du 10 septembre 1817, de nombreux privilèges dont les autres ports furent longtemps jaloux.

C'est sous le ministère Decazes que fut présentée la première loi constituant en France, à l'image de l'Angleterre, le système de l'échelle mobile. L'Empire avait édicté, en 1810, une interdiction absolue

départements de l'ancienne Lorraine qui réclamèrent le même bénéfice que l'Alsace.

1. Article 34 du projet,

2. Voir AMÉ, Etude sur le tarif des douanes, 2o éd., t. I, p. 96, et le Moniteur de 1818, p. 333. Le rapporteur MORGAN DE BELLOY parla « des alarmes des négociants des ports qui ont à se prévaloir de la possession et des lois solennelles ». Le duc de RICHELIEU disait à ce sujet aux députés : «Je vous prie de ne pas vous laisser séduire par un système exclusif d'isolement et de prohibition, fruit des malheurs qui ont désolé l'Europe. »

3. La discussion sur Marseille port franc avait occupé plusieurs séances du conseil général de commerce en 1814. Voir Arch. nationales, versement du ministère du commerce en 1899, no 9.

d'exporter les grains, que l'ordonnance du 26 juillet 1814 et la loi du 13 décembre 1814 avaient eu le bon sens de lever comme une mesure préjudiciable à l'agriculture. La loi du 28 avril 1816 avait établi à l'importation un léger impôt (50 centimes par quintal) qui ne gênait pas le commerce; une ordonnance 2 avait même accordé une prime d'importation aux blés étrangers pendant la disette de 1816-1817. L'échelle mobile inaugura un système tout différent, « calculé essentiellement, disait le projet, dans l'intérêt de la propriété et de l'industrie agricoles » qui se plaignaient de la baisse des prix depuis que la France n'était plus affligée de la disette (36 fr. 16, prix moyen de l'hectolitre en 1817, 24 fr. 65 en 1818). Propriétaires et fermiers s'effrayaient particulièrement de la concurrence des blés de la Russie, qu'on avait importés d'Odessa en certaine quantité pendant la crise alimentaire,* et comme ils se sentaient puissants, ils prétendaient se faire de la loi un rempart contre la concurrence.

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La loi du 16 juillet 1819 leur donna ce qu'ils désiraient. Pour la première fois peut-être, les restrictions douanières relatives au commerce des céréales furent dirigées en France non plus contre l'exportation, c'est-à-dire en vue d'assurer la subsistance du peuple, mais contre l'importation, c'est-à-dire en vue d'entraver l'approvisionnement par l'étranger; il fallait que les marchés restassent aux fermiers nationaux, dût le peuple payer cher sa subsistance.

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La nature déjoua le calcul des législateurs. La récolte de 1820 fut abondante, comme l'avaient été celles de 1818 et de 1819, et les prix,

1. Le directeur général de l'agriculture, BECQUEY, disait avec beaucoup de raison dans cette discussion à la Chambre des députés : « Sur le continent, où la cherte et le bon marché ne sont séparés quelquefois que par une barrière politique, par une ligne idéale et imperceptible, en France où le pain est l'aliment sans lequel nous ne concevons pas la vie de l'homme, où le renchérissement de son prix est une diminution de substance pour le pauvre, ni la justice, ni l'humanité, ni la prudence ne veulent qu'il soit défendu de recourir au marché qui présente l'aliment à moins de frais... » La loi de 1814 suspendit le droit d'exportation, lorsque le prix de l'hectolitre dépassait 23, 25 ou 19 francs, selon les régions.

2. Ordonnance du 22 novembre 1816.

3. Mais le prix moyen de 1800 à 1814 n'avait été que de 21 fr. 36.

4. Le comte Decazes, en exposant les motifs du projet, insistait sur la fertilité de la Russie méridionale, sur sa productivité indéfinie, sur le bon marché de la maind'œuvre qui permettait de livrer à 12 ou 13 francs l'hectolitre de blé que les provinces méridionales de France produisaient difficilement à 23, et il ajoutait que les 800,000 hectolitres qu'Odessa avait expédiés en 1817 avaient appris à ses négociants le chemin du marché français.

5. Cette loi du 16 juillet 1819 établissait à l'importation un double droit: droit fixe de 25 centimes par quintal de grains pour les navires français, de 1 fr. 25 pour les navires étrangers; droit variable de 1 franc par chaque franc de baisse dès qu'on descendait dans les trois régions de la France au-dessous des prix normaux de 23, 21 et 18 francs; à la limite de 20, 18 et 16 francs, toute importation était interdite. La loi fut votée par 234 voix contre 28.

que la disette de 1816 avait fort exagérés, baissèrent encore.1 De nouvelles réclamations se firent entendre. Les députés de cinquante-trois départements firent auprès du ministre une réclamation solennelle. d'autant plus vive qu'ils étaient sûrs d'être favorablement écoutés sous l'administration du comte de Villèle. Ils accusaient l'importation. Vérification faite, il se trouva que cette importation avait à peine excédé l'exportation de 700,000 hectolitres. Ils se rejetérent sur l'effet moral des arrivages qui intimidaient, disaient-ils, la hausse, sur le classement défectueux des départements, etc.

Il fallut une nouvelle loi de finances, laquelle donna de nouvelles facilités à l'exportation et mit plus d'obstacles à l'importation.

Demandée par voie de pétition, présentée par le ministre, comte Siméon, dans la session de 1821, à une Chambre dans laquelle la loi du double vote avait fortifié l'influence de la grande propriété, remaniée et considérablement aggravée par la commission, relativement à la détermination des marchés régulateurs, défendue à la tribune par le comte de Villèle, elle fut votée à une très forte majorité. Il n'était pas difficile d'apercevoir la cause de cette aggravation du système; quelques députés mêmes avouaient qu'il fallait faciliter les gains des propriétaires ruraux, afin de leur donner les moyens de s'agrandir et de reconstituer la grande propriété. Un député, Le Voyer d'Argenson, ne craignit pas de la dénoncer à ses collègues : « Pourquoi faut il que le juste équilibre établi en 1815 entre le producteur et le consommateur ait été rompu dès que la propriété foncière de 300 francs de contribution fut devenue seule apte à représenter la nation, et qu'à l'instant où elle cède le pas à ce qu'on appelle la grande propriété, ce qui n'était que préférence devienne monopole? >>

La loi du 4 juillet 1821 divisait la France en quatre classes. L'exportation était libre; elle n'était suspendue dans chaque classe que lorsque le prix moyen des marchés régulateurs de la classe dépassait de 2 francs le prix fixé comme limite à l'importation des blés étrangers; ce prix limite était de 24 francs dans la première classe, de 22 dans la seconde, de 20 dans la troisième, de 18 dans la quatrième; au-dessous l'importation était interdite; quand elle était permise, le droit d'entrée sur les blés étrangers était mobile, augmentant dans une proportion

1. Au reste, le prix du blé baissa aussi en Angleterre de 1819 à 1829, à la suite du remplacement de la monnaie de papier par la monnaie d'or. L'Angleterre renforça en 1829 son régime d'échelle mobile, puis en 1836, à la suite d'une longue crise agricole.

2. La loi de finances du 7 juin 1820 avait déjà augmenté la surtaxe de pavillon, en vue de diminuer cette importation et de la réserver à la marine française.

3. Il faut ajouter que la droite n'était pas seule engagée dans ces intérêts agricoles; Manuel défendit aussi la loi.

4. 282 voix contre 54.

déterminée à mesure que baissait le prix du blé sur les marchés régulateurs de chaque classe.

On se félicitait de mettre ainsi les agriculteurs à l'abri d'une concurrence à bon marché. On oubliait l'intérêt des masses, dont le pain est le principal aliment.' Il est vrai qu'un député était venu soutenir que la cherté du pain était un bien pour les ouvriers, parce qu'elle les obligeait à travailler avec plus d'ardeur pour vivre. Toutefois cette singulière théorie trouva peu d'écho; les propriétaires n'avaient aucune intention d'affamer la classe ouvrière: ils songeaient à eux-mêmes. Benjamin Constant fut du petit nombre de ceux qui le leur firent sentir. << Je me bornerai, s'écriait-il, interrompu par les murmures de l'assemblée, je me bornerai à vous dire qu'il est fâcheux de voir que vous faites renchérir les denrées que vos terres produisent et dont vos greniers sont remplis. »>3

Cependant les effets ne répondirent pas à l'attente des propriétaires. Le blé baissa pour ainsi dire d'année en année : il fut, prix moyen, à 15 fr. 74 en 1825. Les droits n'y faisaient rien ou presque rien. Pourtant ils étaient rigoureux; car, durant les neuf années qui s'écoulèrent de la publication de la loi à la révolution de Juillet, l'importation ne fut permise que pendant un seul mois, en février 1828. On ne pouvait aggraver le tarif.

Aggravations du tarif protectionniste. Lois de 1820 et de 1822; sucres, bestiaux, fers. L'événement qui avait précipité la chute du ministère déjà chancelant dans lequel le comte Decazes avait tenté un rapprochement entre les convictions royalistes et les principes libéraux, n'était pas de nature à adoucir le régime douanier. Les grands propriétaires prirent une influence plus décisive et le système protecteur se

1. Cependant un projet ministériel de relèvement du tarif d'importation fut discuté dans le conseil général du commerce et des colonies, séance du 18 mars 1825. Mais pour calmer l'opinion », on porta, en 1825, une loi qui supprimait l'entrepôt fictif des grains.

2. Moniteur du 30 avril 1812. Un autre député, HUMBLOT CONTÉ, demandait au contraire la prohibition absolue et disait que le bas prix des grains, en poussant les ouvriers à la paresse, rendait la main-d'œuvre chère et rare.

3. Des écrivains protectionnistes affirment que l'intérêt des masses n'a pas été sacrifié. GOURAUD, Histoire de la politique commerciale de la France, t. II, p. 198, termine ainsi son exposé des lois de 1819 et de 1821: « Deux principes nouveaux : le principe de la protection aux consommateurs par la réglementation de la faculté de sortie des blés indigènes, et celui de la protection aux producteurs par l'établissement de droits à l'entrée des blés étrangers. La Restauration a pu ne pas arriver du premier coup au meilleur système d'application de ces deux principes; mais elle les a fortement conçus, et c'est à elle que nous devons leur introduction dans nos lois. Résultat considérable, qui malgré ses écarts, donne à la discussion parlementaire dont la loi de 1821 est sortie une place digne d'être remarquée dans l'histoire des progrès de notre politique commerciale. »>

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