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consolida témoin la loi de 1821 sur les céréales. Les intéressés ne se lassaient pas de demander, et chaque concession faisait naître de nouvelles exigences qui se produisaient à la tribune, dans les pétitions, dans les vœux des conseils généraux. Tout argument leur était bon. L'industrie languissait-elle ? Ils déclaraient, comme les maîtres de forges de la Haute-Saône, qu'ils étaient menacés de ruine par l'introduction trop facile des fers étrangers et ils demandaient qu'on renforçât les barrières. L'industrie prospérait-elle ? Ils déclaraient, comme les fabricants de Saint-Quentin, qu'il importait «< au progrès de l'industrie manufacturière de la rassurer complètement sur le maintien des lois prohibitives». Pour la vente à l'intérieur, les départements postulaient à l'envi les fournitures de l'Etat 3, et l'esprit d'exclusion était tel que quelques-uns eussent volontiers relevé les barrières du moyen âge au profit des manufactures provinciales: le département de Loir-et-Cher voulait qu'on fit exclusivement « habiller les soldats de la légion de Loir-et-Cher avec des draps et autres étoffes de la fabrique de Romorantin».

Dans une telle disposition des esprits le tarif ne satisfaisait jamais toutes les cupidités. Il fut remanié par des lois presque consécutives votées en 1820, en 1822, en 18265, sans compter les projets de 1824 et de 1825 qui n'aboutirent pas, et par les ordonnances qui, dans l'intervalle

1. Haute-Saône. Vœux des conseils généraux en 1819. - Voir les vœux de la Haute-Marne et du Haut-Rhin en 1817, des Pyrénées-Orientales et, dans un autre sens, ceux de la Nièvre déclarant, en 1818, que « la France fabrique assez de fer », de l'Ariège en 1819, etc.

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2. Aisne. Vœux des conseils généraux en 1825. La même année, le Jura, déclarant que l'art du lapidaire était en progrès dans nos montagnes, en profita pour demander un droit d'entrée plus élevé sur les pierres factices. Quelques années auparavant (1821), le même département avait demandé le droit énorme de 6 francs par horloge de bois importée de l'Allemagne. Le département du Doubs, en 1821, demandait de nouveaux règlements sur le contrôle de l'horlogerie pour que les fabricants ne pussent présenter des pièces étrangères comme sortant de leurs ateliers.

3. Voir le département de l'Hérault en 1818, celui des Pyrénées-Orientales en 1821, celui de l'Aveyron en 1825, etc.

4. Session de 1819.

5. Loi du 7 juin 1820, loi du 27 juillet 1822, loi du 17 mai 1826. Entre autres assertions qui méritent d'être relevées, citons celle-ci qui se trouve dans le rapport de MORGAN de 1820 (Moniteur de 1820, p. 526) et qui était un article de foi dans le parti agricole : « C'est toujours la plus grande aisance des campagnes qui détermine la plus grande masse des consommations. » En réalité, c'est l'aisance générale qui détermine la consommation, et celle des populations urbaine influe plus d'ordinaire que celle des populations rurales sur la hausse du prix des denrées.

6. Le conseil supérieur du commerce et des colonies examina dans sa séance du 26 août 1824 le projet de loi de douanes que le ministre avait préparé pour la session de 1824. Dans ce projet de loi on remarque, entre autres mesures, la prohibition à la sortie des métiers Jacquart, Sur la demande d'un fabricant de Mau

des sessions, aggravèrent plusieurs taxes. L'administration elle-même se lassa1; en 1822, le directeur général osa féliciter ironiquement les députés de n'avoir apporté aucun changement à la loi de douanes dans le cours de l'année précédente. « C'est, disait-il, un avantage que nous aimerions à voir se répéter. Les lois de douanes veulent être stables 2. » Les députés pensaient autrement 3.

Après les grains la question principale à la Chambre fut celle des fers qui réunissait dans un même sentiment les directeurs d'usine et les propriétaires de bois. La loi du 17 septembre 1814 avait élevé les droits sur les fers de toute espèce; mais dans la répartition des faveurs du tarif, les aciers avaient été les moins avantagés. Ils réclamèrent, au nom même de leurs progrès, et la loi du 7 juin 1820 fit droit à leurs plaintes en augmentant les taxes de 45 à 60 pour 100: par là on frappait directement des instruments indispensables au travail, limes, faux, outils. Mais il entrait dans le système de la Chambre de préférer l'intêret du producteur, intérêt immédiat, exigeant, calculant son profit par grosses sommes, à l'intérêt du consommateur dont la perte semblait légère parce qu'elle se répartissait sur un grand nombre de têtes.

La même loi facilita la sortie des laines indigènes et mit un droit à

beuge, le conseil émit l'avis de porter de 200 à 300 francs le droit d'importation sur le quintal de broches de filature. Le 10 juillet 1825, le conseil discuta la question du remaniement du tarif dans une séance extraordinaire en présence du roi. Le projet de loi n'ayant pas été voté par les Chambres, on émit l'avis qu'il fallait y suppléer par des ordonnances (Arch. nationales, versement du ministère du commerce en 1899, nos 5 et 6).

1. Voici un exemple du désaccord de l'administration et de la Chambre. Le projet ministériel levait la prohibition sur les châles cachemire et les admettait avec un droit de 20 p. 100. « Cette prohibition est inefficace et nulle, disait le baron de SAINT-CRICQ. Il n'est personne en France qui, ayant et la volonté et les moyens d'acheter un châle cachemire, ne se le procure à l'instant. Mais la commission rétablit la prohibition. DELESSERT la défendit en séance et toute la Chambre la vota (Moniteur de 1820, p. 567). Plus tard (mars 1825), la question des châles de l'Inde était agitée au conseil supérieur du commerce; on y rappelait que la loi du 30 octobre 1796 qui prohibait les tissus étrangers de coton, laine ou poil, n'avait pas été abrogée, que la loi du 28 avril 1810 ordonnait de rechercher à l'intérieur du royaume les tissus prohibés, et on se plaignait de la contrebande qui n'était pas assez surveillée. Les fabricants affirmaient que depuis 1820, grâce à l'espoulinage, le cachemire n'a plus de secret pour eux, que les prix avaient baissé, etc. (Arch. nationales,, versement du ministère du commerce en 1899, no 6).

2. Moniteur de 1822, p. 86.

3. « Soumettre les douanes à une règle invariable, c'est leur interdire les progrès qu'une louable émulation aspire sans cesse à favoriser. » (Moniteur de 1820, p. 526. Rapport de Morgan de BellOY.)

4. Le jury des arts leur a rendu les plus honorables témoignages et la grande majorité de votre commission a pensé qu'il convenait de leur accorder l'encouragement de nouveaux droits. » (Moniteur de 1820, p. 56.)

l'entrée des laines étrangères. Malgré une vive opposition des fabricants de draps, la cause de la production, fortifiée de l'intérêt agricole, l'emporta cette fois encore sur l'intérêt des consommateurs ; et lorsqu'après une longue discussion qui avait eu, comme toujours, pour résultat d'aggraver les taxes primitives, le vote d'ensemble eut lieu, il se trouva dans l'urne 185 boules blanches contre une seule boule noire. Les députés ne purent s'empêcher de rire il régnait alors sur la question du système protecteur une parfaite entente entre les partis.

L'accord était devenu moins unanime en 1822. Le prix des fers fabriqués au bois et au marteau avait baissé par un de ces accidents fréquents du marché dont on doit s'applaudir quand ils ont pour cause une production plus économique. Nouvelles doléances des maîtres de forges, qui s'en prirent à l'importation et obtinrent une ordonnance augmentant les droits. Aussitôt des réclamations de tout genre assaillirent le ministère, qui bien que peu disposé à remanier les tarifs, dut céder, en déclarant que l'intérêt du fisc était celte fois tout à fait étranger à la mesure. Il présenta un projet qui, comme le disait le baron de Saint-Cricq dans l'exposé des motifs, avait pour but << de protéger et pour cela d'encourager par de forts droits sur les produits du dehors, de défendre même par des prohibitions toutes les exploitations du sol, tous les efforts de l'industrie ».

Cet exposé contient une théorie du protectionnisme que le rapporteur présente comme la justification du gouvernement. Après avoir montré que le blocus continental avait suscité la création d'industries nouvelles, il ajoute : « Que parmi ces industries nouvelles si nombreuses, quelques-unes soient plus propres à d'autres peuples qu'au nôtre; que plusieurs, pour se perfectionner, nous imposent pour quelque temps encore de pénibles sacrifices; que de leur perfectionnement même et de leur insuffisance pour nos besoins, il résulte momentanément, si l'on veut, un moindre écoulement de nos richesses agricoles, quelque

1. La sortie des laines communes était prohibée dans l'intérêt des manufactures avant cette loi. Le projet ministériel avait mis un droit de 20 p. 100, au lieu de la prohibition, pour les châles cachemire, parce que cette prohibition était tout à fait illusoire. L'Assemblée rétablit la prohibition; cette fois les fabricants de lainage appuyèrent, et la Chambre vota à l'unanimité (Moniteur de 1820, p. 567).

2. Moniteur de 1820, p. 626.

3. Les fers au bois ou au marteau étaient tombés de 400 à 300 francs la tonne par suite de la concurrence des fers à la houille ou au laminoir.

4. « Les autres, disait le baron de Saint-Cricq, modifient quelques articles du tarif, non dans l'intérêt du Trésor, car plusieurs taxes subissent une réduction, et l'augmentation proposée sur quelques autres aura pour effet d'atténuer les recettes en restreignant l'importation des objets qui en seront grevés, mais dans la seule vue de satisfaire à des intérêts nouveaux ou mieux constatés. » (Moniteur de 1822, p. 79.)

altération dans nos relations mercantiles au dehors, un moindre développement de notre commerce maritime, je ne conteste rien de tout cela; mais il répugnerait à notre commerce de s'enrichir en allant demander au dehors ce que notre travail nous offre en abondance; et à tout prendre, c'est de ce travail même, de l'encouragement que nous lui prodiguons, que le commerce doit attendre des moyens d'échange qui font pencher en faveur de notre exportation la balance de cette année... Ce n'est pas le gouvernement qui dira à des propriétés industrielles acquises au prix d'énormes sacrifices: Un droit de 20 p. 100 ne suffit pas à vous protéger, périssez ! L'industrie étrangère est là pour suppléer à d'immenses capitaux ; Vous vous êtes trompés de route, portez vos débris ailleurs! - aux milliers d'ouvriers qui exploitent le coton: vos produits sont trop chers,brisez vos métiers!-aux exploitants de nos forges: On nous offre à 15 francs ce que vous produisez à 25: éteignez vos fourneaux ! - aux millions de bras que toutes ces industries mettent en action: Cherchez un travail qu'il nous convienne de protéger... En économie politique, tous les faits accomplis, tous les intérêts établis veulent être respectés. Qu'on prouve que ces intérêts, que ces faits n'existent pas ; qu'on démontre l'aveuglement de l'administration qui s'obstine à les prendre pour guides, celui de tous les manufac turiers du royaume qui vous crient de leur conserver le marché de nos trente millions de consommateurs... » Sous l'économiste protectionniste perçait le politique placé en face d'élus du suffrage censitaire.

Néanmoins la Chambre, trouvant le projet insuffisant, le refondit. Le rapporteur de la commission était Bourrienne. Celui-ci professait comme principe économique que « le peuple le plus riche était toujours celui qui exportait le plus et qui importait le moins ». Il en développait les conséquences par des arguments que l'Assemblée eût sans doute moins approuvés, si elle eût été désintéressée. « Les lois de douanes, disait-il, en favorisant et en satisfaisant un grand nombre d'intérêts généraux, blessent quelques intérêts particuliers; mais c'est un mal inévitable, et lorsqu'il est bien démontré qu'une mesure est utile au grand nombre, il faut la prendre. Dans les sociétés humaines, tout se résout par des majorités. Le marchand en général repousse les droits qui diminuent ses profits. Forcé de s'adresser à l'industrie intérieure, il gagnera peut-être moins, mais le pays y gagnera plus. Tout ce qu'un peuple consomme est un élément d'aisance et de prospérité nationale; tout ce qu'il achète avec de l'argent pour sa consommation l'appauvrit.

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Les vieilles erreurs de la balance du commerce étaient donc toujours vivaces. Il était au moins singulier d'invoquer l'intérêt général, quand les objets frappés de droits étaient au nombre de ceux que quelques-uns produisent et que presque tous consomment, quand on faisait enchérir le sucre, la viande et le fer au profit des trois catégories de produc

teurs. Ces producteurs étaient en effet la majorité dans la Chambre, mais non dans le pays. Le comte de Laborde ne craignit pas de le leur reprocher. « La loi que vous allez rendre, dit-il, est essentiellement privilégiaire; c'est une prime que toute la France va payer aux colons, aux maîtres de forges, aux nourrisseurs de bestiaux de la Normandie. » En effet, la loi du 27 juillet 1822 portait principalement sur ces trois points.

Nous avons dit de quelle manière. La loi du 28 avril 18161 avait accordé une prime de sortie aux sucres coloniaux et mis sur les sucres étrangers une surtaxe de 33 p. 100 relativement à la taxe des sucres de colonies françaises 2: grande faveur, qui en peu d'années doubla le chiffre des importations de nos colonies et permit, en 1821, aux plan. teurs des colonies françaises de placer en France 50 millions de kilogrammes de sucre, tandis que les étrangers n'en vendaient que 2,600,000 kilogrammes.

Cependant les colonies étaient loin d'avoir retrouvé l'importance et la prospérité qu'elles avaient connues au temps de Louis XVI; la culture du café était en décadence; celle de la canne, qui avait augmenté, était gênée par la concurrence de l'étranger qui limitait la hausse des prix, et les planteurs appréhendaient les jeunes républiques issues de la révolte des colonies espagnoles. C'est pourquoi des amis des colonies réclamaient la prohibition absolue des sucres étrangers; leurs adversaires, de leur côté, s'appliquaient à démontrer les inconvénients d'un pacte colonial dont la métropole n'avait plus que les charges sans les bénéfices ; quant au gouvernement, il défendait le projet et ne voulait rien perdre du revenu que la taxe des sucres lui procurait. Le débat fut vif: les colons obtinrent que la surtaxe fût élevée à 50 p. 100. Les intéressés auraient voulu plus encore. Mais ils tombèrent de Charybde en Scylla; car si les sucres étrangers ne vinrent plus, le sucre de betterave, sollicité par les hauts prix, commença à les remplacer et à disputer le marché aux produits des Antilles.

Les boeufs entraient en franchise sous l'Empire; ils avaient été

1. Sous l'Empire, la guerre et le blocus continental avaient presque supprimé l'importation du sucre qui paraît être tombée de 30 millions de kilos à 8 millions, quoique le territoire français fût plus étendu. L'ordonnance du 23 avril 1815 ayant supprimé les prohibitions, le sucre étranger était entré tout à coup en grande quantité et le prix était tombé à 1 fr. 50 le kilo. La loi du 7 décembre 1814 avait mis une forte surtaxe sur les sucres étrangers et les prix s'étaient un peu relevés.

2. 45 francs par 100 kilos sur les sucres bruts, 70 francs sur les sucres terrés des colonies françaises ; les sucres bruts étrangers payaient de 60 à 90 francs, les sucres terrés de 95 à 125 francs.

3. Dans le système actuel, ce ne sont pas les colonies qui appartiennent à la métropole, c'est la métropole qui paraît être dans la dépendance des colonies », disait le comte de Laborde.

4. Le tarif de 1664 avait taxé l'entrée des bœufs à 50 sous par tête; le tarif de 1791 l'avait affranchie.

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