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On ne s'en aperçut cependant guère à Paris. La présence de riches étrangers, qui avides des plaisirs de la grande ville, prodiguaient l'argent, fruit de leurs rapines,communiqua au commerce, dès le lendemain de la seconde invasion, un mouvement factice; lorsque les troupes alliées eurent été éloignées de la capitale, ces étrangers continuèrent encore à animer la Bourse par leurs spéculations sur les titres de rente qui leur étaient donnés en payement; malgré la masse des émissions, la rente remonta à 80 francs. Cette hausse, effet de l'agiotage, était sans solidité, et devait s'affaisser dès que les étrangers chercheraient à réaliser leurs bénéfices.

merce.

Les mouvements de la Banque de France, indices de l'état du comLa Banque de France ne couvrait pas alors, comme elle le fit dans la seconde moitié du XIXe siècle, le territoire par ses succursales et ne concentrait pas par ses escomptes le mouvement des affaires en France. Cependant, comme Paris était le foyer principal des affaires, le portefeuille et la circulation de la Banque peuvent servir approximativement de mesure aux extensions et aux contractions du crédit et le crédit lui-même est un indice de l'importance des transactions commerciales.

La Banque s'était repliée sur elle-même pendant la dernière crise de l'Empire; n'ayant plus dans le commerce l'emploi du gros capital (90 millions) que lui avait imposé la loi de 1806, elle en avait employé une partie à racheter ses propres actions dont elle réduisit ainsi le nombre de 90,000 à 67,900. Elle n'arrêta pas cependant par ce moyen la baisse de ses actions, qui avaient atteint en 1807 le taux de 1,430 francs et qui descendirent en 1814 jusqu'à 470 francs 2.

Abandonnée par son gouverneur, elle avait, libre de ses mouvements sous l'administration du banquier Laffitte, un de ses régents, retiré presque tous ses billets de la circulation, liquidé ses comptes 3, muré ses caves avant l'entrée des alliés; elle brûla les billets rentrés et fit briser les planches, les clichés et les presses, afin que l'ennemi ne fût pas même tenté de fabriquer de la fausse monnaie sous le couvert de la Banque. Elle ferma ses deux succursales et en obtint la suppres

1. Sous la Restauration elle n'obtint pas, comme les actionnaires l'auraient désiré, la réduction légale de son capital; mais elle obtint (loi du 4 juillet 1820) le partage des deux tiers (près de 14 millions) de sa réserve entre les actionnaires.

2. Le dividende baissa moins que l'action. Le plus fort depuis la loi de 1806 avait été celui de 1807 : 82 francs; celui de 1813 avait été de 75 fr. 50; celui de 1814 fut de 60 francs. Il remonta en 1816 à 74 francs, en 1817 à 87 fr. 50, en 1818 à 99 fr. 80, pour retomber après la crise à 66 francs en 1819. La Banque, ayant obtenu en 1823 que la répartition des bénéfices fùt faite non plus entre le nombre fictif de 90,000 actions, mais entre le nombre réel de 67,900 actions, le dividende monta à 91 fr. 30. 3. Le 19 janvier 1814 la Banque avait déclaré qu'elle ne rembourserait que 500,000 francs par jour et elle avait commencé la liquidation. Le matin du jour où les ennemis entrèrent dans Paris, elle remboursa encore en espèces 3,270,000 francs

sion légale, redevenant ainsi en réalité la banque de Paris; en 1815 elle releva de 4 à 5 p. 100 le taux de son escompte el ne revint définitivement qu'en 1821 au taux de 4. Elle n'osait pas encore en 1815 remettre ses billets en circulation, et dans les deux années suivantes elle ne dépassa pas 100 millions 2.

Elle prit cependant bientôt confiance et ouvrit plus libéralement son portefeuille. Elle n'avait escompté que 207 millions 1/2 en 1815; elle en escompta 424 en 1816 et 583 en 1817, 727 en 1818. Mais cette dernière augmentation était surtout l'effet d'une crise, qui causée par la disette des grains et par le jeu des spéculateurs, éclata dans la seconde moitié de l'année 1818; les présentations à l'escompte affluèrent si bien que le portefeuille se gonfla jusqu'à 146 millions pendant que l'encaisse tombait en moins de trois mois de 117 à 34 millions 3. Il fallut serrer le frein, réduire l'escompte à quarante-cinq jours et laisser passer la tourmente, qui fit un grand nombre de victimes.

Quand le calme fut rétabli, la France était délivrée de la présence des alliés. Richelieu avait signé un traité par lequel l'armée d'occupation devait évacuer le territoire français, après le payement de 265 millions, reliquat de la contribution imposée à la France, et à la fin du mois de novembre 1818, les derniers bataillons étrangers avaient repassé la frontière.

Ce fut alors que l'industrie prit son essor et entra dans une des périodes brillantes de son développement. Avant d'examiner le détail de ses produits, nous pouvons chercher dans les comptes rendus de la Banque un indice du progrès général. A la suite de la crise de 1818, il y eut une période de liquidation, laquelle fut aussi, comme d'ordinaire, une période d'atonie. Le total des escomptes (effets de toute nature) tomba à 390 millions en 1819 et à 305 en 1820; en même temps l'encaisse augmenta parce que l'argent était oisif. Mais les affaires affluèrent de nouveau: l'escompte des effets de toute nature s'éleva à 678 millions en 1826 et brusquement à 822 en 1827, pendant que la moyenne annuelle de l'encaisse descendait à 100 millions; c'était encore la manifesta

billets; elle fit toucher les effets échus et même elle escompta.

Le minimum de la circulation en 1814 a été de 11 millions; le minimum de l'encaisse a été de 6,600,000 francs.

1. Maximum de la circulation en 1817: 100.7 millions, moyenne 83.5 millions. En 1812 la moyenne avait été 111.4; c'est la moyenne la plus forte de la période impériale.

2. Loi du 5 juillet 1817.

3. 117 millions en juillet, 59 le 8 octobre; 34 à la fin d'octobre. Voir la série des Comptes rendus de la Banque de France et les Crises commerciales, par M. CLÉMENT JUGLAR.

4. Traité du 9 octobre 1818.

5. La moyenne annuelle de l'encaisse avait été de 92.8 millions en 1818; elle fut de 131.8 en 1819 et de 191.9 en 1820.

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tion d'une gêne commerciale résultant d'un abus du crédit qui entraînait les spéculateurs à en faire un abus plus exagéré encore et qui aboutit à une nouvelle contraction.

Il y avait eu dans le passé des crises commerciales. Elles allaient devenir plus fréquentes probablement,plus sensibles sans aucun doute; en outre, elles furent plus mesurables en France, parce que les comptes de la Banque fournissaient un thermomètre. Les facilités de crédit devaient avoir pour conséquence le développement des opérations à terme et de la spéculation, et l'échafaudage des échanges,achat et vente, reposant sur une base en partie fictive, pouvait plus aisément être déséquilibré. Les crises devinrent périodiques; elles éclatèrent à la suite soit d'un événement politique, soit d'une mauvaise récolte, soit par le contre-coup d'une crise à l'étranger, soit quelquefois sans cause bien apparente, mais toujours sous l'influence d'un excès de spéculation et d'un abus du crédit.

Le prix des marchandises, que la spéculation avait surélevé de 1818 à 1826, baissa brusquement; les exportations se réduisirent, des faillites se déclarèrent, et dans les trois derniers mois de l'année 1826, la Banque eut 8 millions d'effets non payés qu'elle dut protester1.

La Restauration resta sous le coup de cette dernière crise: les escomptes en 1828 et en 1829 ne furent que de 480 et de 563 millions. Le relèvement de 1829 est dù à une disette des grains qui avait déterminé un genre tout spécial d'importation ; l'industrie n'en fut que plus languissante 2.

1. Ces chiffres, comme les précédents, sont ceux de l'escompte des effets de toute nature. L'escompte des effets du commerce a été de 407 millions en 1828.

2. Voir les comptes rendus de la Banque de France. Voici d'ailleurs le détail des principales opérations de la Banque de France sous la Restauration :

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Les dividendes de la Banque, qui n'avait plus le service des rentes 1 et à laquelle le Trésor n'avait plus besoin de présenter de bons à escompter, baissèrent jusqu'à 64 francs: c'était une période de vaches maigres.

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Les expositions. - Pendant la période de développement les progrès furent rapides. Napoléon, lors de l'exposition des produits de l'industrie de 1806, avait décrété la périodicité triennale de cette solennité. Les événements politiques n'en permirent pas le renouvellement sous son règne. Ce fut le ministère libéral du comte Decazes qui fit revivre l'institution: une ordonnance du 13 janvier 18193, considérant que « l'exposition périodique des produits des manufactures et des fabriques serait un des moyens les plus efficaces d'encourager les arts, d'exciter l'émulation et de hâter les progrès de l'industrie », prescrivit qu'à l'avenir une exposition publique des produits de l'industrie française aurait lieu à des intervalles qui n'excéderaient pas quatre années et que la première serait en 1819 et la seconde en 1821. A cet effet les préfets instituèrent dans leur département un jury chargé de désigner les produits et les découvertes dignes d'être admis; un jury central eut mission de décerner les récompenses. L'exposition s'ouvrit le 25 août 1819; elle fut brillante. La libération récente du territoire, l'attitude du ministère, la fin de la crise des céréales, l'activité des affaires, tout contribua à en rehausser l'éclat. 1,662 exposants y figurèrent. Le jury décerna 424 médailles d'or, 180 médailles d'argent et le roi conféra la Légion d'honneur à vingt-trois des plus notables, parmi lesquels nous trouvons les noms de Bréguet, Lerebours, Firmin Didot, Jacquart et Daniel Koechlin .Ternaux et Oberkampf furent honorés du titre de baron, et Darcet de l'Académie des sciences reçut

1. C'est en 1827 que le gouvernement recommença à payer lui-même ses rentes. 2. La rente 5 p. 100 monta en 1829 jusqu'à 110 fr. 65. Le conseil général de la Banque, en quête d'affaires, offrit au gouvernement d'escompter son papier à 3 p. 100, tandis qu'il continuait à prendre 4 p. 100 au papier du commerce. Le gouvernement accepta et les bons royaux reparurent à la Banque.

3. Complétée par une ordonnance du 9 avril.

4. Un échantillon des produits récompensés dut être déposé au Conservatoire des arts et métiers.

5. Voici la liste complète de ceux qui furent décorés de la Légion d'honneur: Poupart de Neuflize (machine à coudre les draps), Bréguet (horlogerie), Lerebours (instruments d'optique), Sandau (chef d'instruction à l'école de Châlons), Welter (chimiste), Detrey (bonneterie de fil), Arper père (percale et autres tissus), Bacot père (draperie fine), Beaunier (aciers), Beauvais (soieries), Bonnard (filature de soie), Depouilly (soieries, étoffes de soie), Firmin Didot (typographie), Dufaud (fers affinés), Jacquart (métier à tisser les étoffes façonnées et brochées), Daniel Koechlin (toiles peintes), Lenoir (instruments d'optique et de physique), Mallié (étoffes de soie), Raymond (teinture des soies), Saint-Bris (limes et râpes), Vitalis (chimie appliquée aux arts), Ulzchneider (sciences), Widmer (toiles imprimées).

l'ordre de Saint-Michel, destiné à récompenser les savants et gens de lettres. « La réunion d'un grand nombre de fabricants et d'artistes, disait l'organisateur et rapporteur général Costaz, venus de toutes les parties de la France pour assister à l'exposition, a donné lieu de remarquer que presque tous les chefs des manufactures sont instruits dans les sciences dont dépend le genre d'industrie auquel ils sont adonnés ; il n'est pas rare d'en trouver qui sont profondément versés dans la connaissance des mathématiques, de la physique et de la chimie. >> Costaz en rapportait en partie le mérite à l'impulsion donnée par l'Académie des sciences et par la Société d'encouragement à l'industrie nationale, ainsi qu'à l'École polytechnique qui était une pépinière d'ingénieurs.

La seconde exposition de la Restauration eut lieu non en 1821, mais en 1823. Quoique 76 départements et 1,648 exposants y eussent envoyé des produits, elle fut accueillie avec un peu moins d'empressement que la précédente: la guerre d'Espagne, sans troubler profondément la tranquillité, inquiétait les esprits, et les critiques blâmaient, déjà à cette époque, le retour trop fréquent de ces coûteuses solennités. La troisième exposition, celle de 1827, eut le même sort; elle s'ouvrit au moment où venait d'éclater la dernière crise de la Restauration. Aussi le nombre des exposants, qui s'il eût suivi le progrès de la production, aurait dû augmenter, resta-t-il à peu près stationnaire : 1,7952 dont 1,110 habitaient dans le département de la Seine.

En 1827 il y eut 67 rappels de médaille d'or et 47 médailles d'or 3. Durant cette période, comme durant la précédente et les suivantes, les expositions ont été des concours qui, rassemblant les produits les plus nouveaux ou les plus appréciés du public, permettaient de dresser un état approximatif de l'industrie et de constater les progrès accomplis en divers genres de l'une à l'autre. C'est à l'aide des rapports du jury et de quelques autres documents complémentaires que nous essayerons de décrire le mouvement industriel de la Restauration, en suivant à peu près le même ordre que pour la période impériale: industries préparatoires mécaniques et chimiques, industries textiles, industries diverses, industries relevant de l'art.

1. Costaz avait déjà été chargé d'organiser l'exposition de 1806.

2. Les documents officiels ne donnent pas tous le même nombre : 1,631 dans le rapport général, 1,695 dans le compte rendu de 1849; ces différences sont d'ailleurs sans importance.

3. En 1823 il avait été décerné 72 médailles d'or.

4. Pour ne pas multiplier les notes, nous indiquons d'une manière générale les principales sources où nous avons puisé : Rapport du Jury central sur les produits de l'industrie française, par COSTAZ, 1819; Rapport du Jury central, par COSTAZ, 1823; Rapport du Jury central, par HÉRICAULT de Thury, 1827 ; Histoire de l'exposition des produits de l'industrie française en 1827, par ADOLPHE BLANQUI, 1827 (a paru d'abord en articles); Histoire des expositions de l'industrie française, par Achille de COLMONT, 1855.

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