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Il s'en faut de beaucoup que toutes les branches de la production fussent représentées dans les expositions de ce temps; un millier et demi d'exposants n'était qu'une infime fraction du total des patentés. L'agriculture, les industries alimentaires, celles du matériel des transports, une grande partie de celles qui desservent les besoins journaliers figuraient rarement dans ces concours; les objets encombrants ne pouvaient guère venir de lieux éloignés.

La métallurgie et les industries préparatoires mécaniques. « Les progrès de nos usines métallurgiques datent presque tous de la paix de 1814 », écrivait Blanqui en 1827. Il n'y avait eu à l'exposition de 1806 qu'une usine, celle du Creusot, qui pût montrer de la fonte au coke, et nulle part on ne savait utiliser le minerai « carbonaté terreux » qui se trouve dans le voisinage des houillères. A l'exposition de 1819, on commençait, à l'exemple de l'Angleterre, à employer le coke et le minerai carbonaté ; à la fin de la Restauration l'usage en était devenu fréquent 1. « Pendant les seize années accomplies depuis 1819, dit le rapporteur de l'exposition de 1834, des progrès immenses ont été faits dans presque toutes les fabrications du fer. En exhaussant les hauts fourneaux, on les a rendus susceptibles de produire, dans un temps donné, plus de fer avec une moindre quantité de combustible. Grace à l'emploi de la houille, soit isolée (méthode anglaise), soit combinée avec le charbon de bois (méthode champenoise), on a considérablement accru la fabrication du fer qu'on a rendue plus économique. On a complété ces moyens par l'usage des laminoirs pour remplacer les martinets et corroyer le fer par voie d'étirage ».

C'est à l'exposition de 1819 qu'on avait vu les premiers échantillons de fer provenant de loupe étirée entre les cylindres cannelés d'un laminoir: Dufaud, ancien élève de l'École polytechnique, qui les fabriquait alors depuis deux ans dans les forges de Grossource, fut décoré de la Légion d'honneur. On y avait vu aussi des fers obtenus dans des fours à réverbère de système anglais : en 1823, une vingtaine d'établis

1. Le rapporteur fait savoir qu'en 1819 il existait 350 hauts fourneaux et 498 for ges catalanes, que la production était de 14,500 tonnes de fonte moulée et de 64,000 tonnes en fer forgé, que les forges catalanes produisaient 15,000 tonnes. Un rapport lu dans la séance du conseil supérieur du commerce et des colonies le 26 janvier 1826 porte qu'en 1818 (seule année, dit ce rapport, donnant alors des chiffres officiels), la production de la fonte a été de 114,000 tonnes et celle du fer de 80,000 dont 60,000 relevés par l'administration dans 50 départements et 20,000 par estimation dans 14 départements); qu'en 1825 la production de la fonte a été de 192,000 tonnes et celle du fer de 140.000 tonnes, dont 96,000 au bois et 44,000 à la houille. La houille a été employée en 1826 soit pour la fusion du minerai, soit pour l'affinage. Le rapport ajoute que la fusion à la houille a commencé en 1822; que 7 fourneaux ont donné durant l'année 1824 chacun 4 à 5 millions de kilogrammes, qu'ils peuvent donner cette année (1826) 11 millions; qu'on prépare 25 hauts fourneaux de cette espèce.

sements employaient déjà ce procédé. En 1823 le jury avait décerné une médaille d'or à l'usine de Janon, près Saint-Etienne, qui produisait de bonne fonte à la houille avec le seul minerai des houillères. Une des usines les plus importantes était celle de Fourchambault (Nièvre), fondée en 18181; elle avait, en 1827, 10 hauts fourneaux, une soufflerie déjà en partie mue par la vapeur, 20 fours à réverbère; elle fournissait, directement ou indirectement, du travail à près de 2,000 ouvriers et produisait plus de 6,000 tonnes de fer. On moulait de grosses pièces : en 1827, les usines du Creusot et de Charenton exposèrent un moyeu pesant 3,505 kilogrammes; elles livraient alors annuellement au commerce 30 à 40 machines à vapeur.

Le rapporteur de l'exposition de 1827, Héron de Villefosse, indique (année 1826) pour le fer 154,000 tonnes dont 78,000 et plus provenant de fonte affinée au bois, plus de 40,000 provenant de fonte affinée à la houille, mode de fabrication qui datait de 1821, plus de 3,000 provenant de forges catalanes, sans compter 21,000 tonnes de fonte pour moulage en première fusion; en outre, 5,400 tonnes environ d'acier. La Haute-Marne, la Haute-Saône, la Côte-d'Or, la Loire, la Moselle, les Ardennes tenaient les premiers rangs dans cette production.

Le rapporteur de l'exposition de 1834 citait à l'appui de ses affirmations des chiffres qui, quoique se rapportant au commencement du règne de Louis-Philippe, devaient donner à peu près l'état de l'industrie à la fin de la Restauration et que nous reproduisons, malgré leur exactitude très contestable: 815 feux et ateliers avec 4,204 ouvriers travaillant au bois, 160 feux et ateliers avec 890 ouvriers travaillant au bois et à la houille, 155 feux et ateliers avec 1,055 ouvriers travaillant à la houille et au coke; en outre, 1,556 ateliers avec 3,287 ouvriers façonnant le gros fer. Le charbon de terre, seul ou mélangé, occupait déjà, d'après ce document, près du tiers du personnel. La production qui, année moyenne, était évaluée à 79,000 tonnes pour la période de 1818-1820, s'était élevée en 1831-1833 à 133, 870 tonnes et l'importation de fonte étrangère avait diminué de moitié 3.

L'acier, qui avait à peine figuré dans les expositions de 1801 et de 1802 et qui était encore rare en 1806, figura sous ses trois espèces, acier naturel, acier cémenté et acier fondu, dans les expositions de la Restauration. « L'exposition de 1819, dit le rapporteur, a appris au public que l'important problème de la fabrication de l'acier était enfin complètement résolu par les fabricants français. Des aciéries établies dans 21 départements ont envoyé à l'exposition des échantillons d'acier

1. Les propriétaires étaient les frères Borques.

2. L'usine de Charenton datait de 1822.

3. 12,360 tonnes pour la première période, 6,553 pour la seconde.

de toute espèce... Aujourd'hui ce ne sont plus de simples tentatives, la fabrication est établie en grand et fournit abondamment aux besoins du commerce. » Le rapporteur citait spécialement les aciers de la Bérardière près de Saint-Etienne), usine fondée en 1816 et installée sous la direction de Beaunier, directeur de l'école des mineurs de SaintEtienne, et l'aciérie d'Amboise dont l'origine remontait à l'ancien régime. En 1827, la France produisait 5,485 tonnes d'acier, ce qui était loin de suffire à sa consommation; le complément venait, malgré l'élévation des droits de douane, d'Angleterre et d'Allemagne. Les prix du fer et de l'acier étaient beaucoup plus élevés en France que dans ces pays 1.

Les chiffres du rapporteur de 1834 ne concordent guère avec ceux que l'administration des mines a fournis dans des publications ultérieures. Pour les combustibles minéraux, les publications de cette administration portent 83,600 en 1812, l'année la plus forte de l'Empire, et 17,740,000 en 1828, une des années les plus fortes de la Restauration 2; d'où l'on peut estimer que la consommation avait doublé. Pour la fonte: 198,000 tonnes en 1824, première année de la statistique, et 227,000 en 1828; pour le fer et l'acier 142,000 en 1824 et 156,000 en 1828. Colmat donne pour l'année 1830 225,000 tonnes de fonte ayant une valeur de 42 millions 1/2 de francs et ayant fourni la matière de 156,000 tonnes de fer et acier estimées valoir 71 millions de francs. Le nombre des ouvriers, relevé cette année pour la première fois, était de 25,000.

Si la production et la consommation du fer et de la houille n'étaient pas alors à beaucoup près autant qu'aujourd'hui une mesure de l'activité de la grande industrie, c'était du moins un indice du progrès d'un certain mode d'industrie.

Les autres métaux usuels étaient le cuivre, traité à Vienne (Isère), dans la fonderie de Romilly (Eure), à Imphy (Nièvre), usine fondée en 1816 et doublée d'une seconde usine en 1824 avec outillage anglais (la production française ne formait que le quart de la consommation du cuivre 3); le plomb, exploité à Poullaouen (Finistère), à Vialas (Ardèche), à Pont-gibaud (Puy-de-Dôme), mines qui fournissaient à peine la

1. Le rapporteur du jury de 1834 évaluait à 87 millions de francs la valeur de la production du fer fonte (32 millions), fer (36 millions), acier (5 millions), etc. 2. D'autre part, le Dictionnaire du commerce et des marchandises (t. II, p. 103), presque contemporain, dit que la consommation de la houille s'éleva de 900,000 tonnes en 1812 à 2,300,000 en 1820. La statistique de la houille manquait encore de précision. Il paraît que, de 1824 à 1826 seulement, il y a eu 76 concessions de houillères. HÉRON DE VILLEFOSSE, dans le rapport du jury central de l'exposition de 1827, donne comme probable le chiffre de 1 million 1/2 de tonnes, dont 560,000 provenaient du bassin de la Loire, 840,000 du bassin du Nord, etc.

3. Production du cuivre en 1834: 2,000 tonnes; importation: 6,000 tonnes.

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vingt-cinquième partie de la consommation française 1; le zinc qui commençait à être employé pour les bordures, et qui très rare en France (mines de Claira cet de Robiac,dép. du Gard), était un métal d'importation; le platine dont un fabricant de Paris avait la spécialité 2. La fabrication du laiton sur le territoire de l'ancienne France datait de 1810. Les tôles au laminoir remplaçaient peu à peu les tôles au marteau de la France et le jury manifestait, dès 1819, l'espérance de voir les fabriques françaises suffire bientôt à nos besoins3»: espérance prématurée, car il fallut encore bien des années pour que les Français pussent lutter contre le bon marché des Allemands et la bonne qualité des Anglais. Il en était de même du fer-blanc dont la fabrication s'était enfin naturalisée; la tréfilerie, industrie ancienne, s'était améliorée; les tuyaux de plomb sans soudure, les toiles métalliques, les lits en fer étaient des industries nouvelles. Les forges de la Chaussade fabriquaient, à l'imitation de l'Angleterre, des câbles en fer pour la marine royale.

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Grâce au progrès de l'aciérie, la fabrication des faux (à Toulouse, etc., etc.) s'éleva de 72,000 en 1817 à 300,000 en 1834, et l'importation des faux diminua d'un tiers; il y eut une sensible amélioration dans celle des limes et râpes pour laquelle étaient réputées l'usine d'Amboise, fondée en 1784 et dirigée par Saint-Bris, celle de Remond à Versailles, et particulièrement celle de Raoul à Paris qui avait figuré dans toutes les expositions depuis 1798; il y en eut aussi dans la fabrication des scies, des aiguilles et alènes; dans la clouterie, dans la quincaillerie où il restait encore bien à faire, mais qui occupait beaucoup de bras à Saint-Etienne, à Charleville, et où se distinguaient

1. Production en 1834: 500 tonnes; importation: 12,200 tonnes.

2. Bréant avait été fait chevalier de la Légion d'honneur en 1823 pour avoir découvert le procédé de la purification du platine.

3. Rapport du Jury central, p. 157 et suiv.

4. «En 1806, dit le rapporteur de 1819, la fabrication de la tôle avait peu d'étendue en France; aujourd'hui elle est en grande activité dans plusieurs départements. >>

5. On avait fait en 1794-1795 des tentatives pour introduire en France la fabrication des faux; mais ce n'est qu'à partir de 1806 que cette fabrication a commencé à donner quelques résultats satisfaisants.

6. La chambre consultative des arts et manufactures de Saint-Etienne rendait en 1819, dans une pétition au préfet, un bon témoignage de l'industrie des scies, mais c'était pour demander une aggravation du droit de douane. « La fabrication des scies n'est pas encore parvenue à un point tel que nous puissions nous passer des produits de l'étranger; mais les fabriques de scies arriveront bientôt au degré de perfection nécessaire pour rivaliser avec succès les meilleurs produits des fabriques étrangères, et bientôt elles prendront assez d'extension pour satisfaire à tous les besoins si une augmentation de droits sagement calculée empêche les négociants étrangers de paralyser nos fabriques en donnant leurs scies à meilleur marché. » Arch. nationales, F12 5079.

les frères Japy, de Beaucourt (Haut-Rhin), Coulaux, de Molsheim, dont la manufacture avait été fondée en 1817 1.

La coutellerie s'améliorait. Les couteaux de table, objets de luxe assez rares avant 1793, devinrent d'un usage commun dans les villes. Les couteaux de poche avaient été variés à l'exemple de l'Angleterre. On restait encore loin de la perfection; mais on avait atteint à SaintEtienne et à Thiers un bon marché extrême pour les articles communs. Le rapporteur de 1834 explique comment le couteau revenait à 3 centimes et demi 2. Dans les articles supérieurs, Nogent (Haute-Marne) était la principale fabrique qui approvisionnait les boutiques de Paris. Charrière se faisait déjà connaître par ses bons instruments de chirurgie. Le fusil à piston se substituait avantageusement au fusil à pierre dans les armes de chasse; Robert fabriquait même déjà des fusils se chargeant par la culasse.

Les machines fournissaient un nouveau et important client aux industries métallurgiques. La machine à vapeur, dont le transport alors était difficile et coûteux, a été peu représentée dans les expositions. A la dernière exposition, celle de 1827, la division comprenant les machines de toute espèce ne donna lieu qu'à un rappel de médaille d'or, à deux médailles d'or, à trois rappels de médaille d'argent, à huit médailles d'argent, à cinq rappels de médaille de bronze et à onze médailles de bronze 3.

On voyait des pompes aspirantes et foulantes, particulièrement celles de Frimot, des presses hydrauliques dont le principe scientifique commençait à être mis en application.

John Collier, Poupart de Neuflize, Hache, Bourgeois, Arnaud et Fournier exposaient des machines à peigner la laine, à filer la laine cardée, à tisser la laine, à fondre les draps; André Koechlin de Mulhouse, Viard de Rouen, Calla de Paris exposaient des machines à éplucher et à filer le coton; Calla et Bergne, des métiers mécaniques à tisser le coton; Moulfarine une machine à sécher.

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In lustries préparatoires chimiques. L'impulsion donnée par la science aux industries chimiques continuait et l'effet était d'autant plus grand que la consommation industrielle augmentait. « Les arts chimiques, disait après bien d'autres le rapporteur du jury central en 1819,

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Les frères Coulaux étaient les anciens entrepreneurs de la fabrique d'armes de Klingenthal.

2. Le manche de bois, fabriqué à Saint-Claude, revenait à 1 franc la grosse, soil 0 fr. 007 la pièce; l'acier coûtait 0 fr. 007; les seize opérations de forge, d'aiguisage, de montage à 0 fr. 016; les frais généraux étant 0 fr. 007; le total était de 0 fr. 037.

3. Voir le chapitre suivant. Abraham Poupart, de Sedan, avait obtenu un rappel de médaille d'or; Calla et Collier de Paris, des médailles d'or.

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