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ont presque entièrement été créés en France depuis l'époque où la science dont ils dépendent a pris les grands développements dont la génération actuelle a été témoin. C'est entre les années 1780 et 1790 qu'ont eu lieu les travaux qui ont élevé cette science au rang des sciences exactes, en la plaçant sur des bases invariables et en lui donnant une langue méthodique et régulière. Avant cette époque, nous tirions presque entièrement de l'étranger les aluns si nécessaires aux teintures, les soudes indispensables pour les verreries et les savonneries, les sulfates de cuivre, les sulfates de fer, l'acide sulfurique et une foule d'autres substances utiles aux arts comme agents ou comme ingrédients. Aujourd'hui la France prépare tous ces objets en qualité supérieure, et dans une telle abondance qu'elle pourrait en fournir aux autres nations. >>

La soude était devenue un produit commun, et avait baissé de prix; l'alun était obtenu dans un état de pureté qu'on n'atteignait pas en 1806. L'acide acétique, produit par la carbonisation du bois, était une nouveauté en 1819. Le blanc de céruse et le minium des fabriques de Clichy (Roard), de Lille (Lefebvre), de Wazemmes, de Loos, étaient maintenant reconnus supérieurs à ceux de Hollande. La chaux hydrau lique de Vicat, importante découverte, obtenait une médaille d'or en 1827. La colle forte et la gélatine (Grenet, de Rouen) étaient épurées ; le chlorate de potasse était mieux préparé, grâce à Payen, et employé pour la fabrication des briquets oxygénés. La fabrication des couleurs, fortement stimulée par la Société d'encouragement, continuait à se diversifier: bleu de Prusse 2, bleu Guimet, jaune de chrome, orseille. Le sulfate de quinine, découverte de Pelletier et Caventou, était préparé plus économiquement.

Parmi les industries alimentaires qui relèvent de la chimie, on peut citer les conserves d'Appert qui se trouvaient à l'exposition de 1827 et le sucre.

L'industrie du sucre de betterave, création toute factice qui n'avait pu éclore que dans la serre chaude du blocus continental, au temps où la livre de sucre valait 6 francs,avait été ruinée par la paix et par la reprise des relations commerciales. Elle avait subi une crise semblable à celle de l'industrie cotonnière, mais plus désastreuse; aucune usine n'avait résisté. Une toutefois, celle de Crespel de Lisse à Arras, s'était remontée dès l'année 1817, et Chaptal en avait, presqu'à la même époque, installé une à Chanteloup. Crespel de Lisse fut récompensé par une médaille d'argent en 1823 et par une médaille d'or en 1827.

1. Voici, d'après BLANQUI, Hist. de l'exposition de 1827, p. 225, le prix de quelques substances chimiques: soude française, 0 fr. 25 le kil.; acide oxalique, 7 fr. 50 le kil. ; acide nitrique à 36o, 1 fr. 65 le kil.; acide muriatique, 0 fr. 24 le kil. ; acide sulfurique, 0 fr. 50 le kil.

2. BLANQUI cite particulièrement le bleu de Souchon à Lyon.

On était parvenu à résoudre les principales difficultés du problème de la fabrication réduction de la pulpe de la betterave en pâte très fine; rapidité de l'extraction complète du jus par la presse hydraulique; température exactement réglée; clarification du jus par le noir animal et la chaux; concentration du jus clarifié par l'évaporation soit dans le vide, soit dans des chaudières à large surface. Lorsque les propriétaires fonciers, secondant à la Chambre les efforts des colons, eurent obtenu que les sucres des colonies étrangères fussent frappés d'une surtaxe de 55 francs par quintal, de nouvelles fabriques se montèrent, surtout dans le Pas-de-Calais, la Somme et le Nord; en 1828 on en comptait 58 en activité, et la campagne produisait un total de 6 millions et demi de kilogrammes, le double de ce qu'elle avait donné deux ans auparavant. On constatait à l'exposition de 1827 que dans des conditions favorables, c'est-à-dire sur les terres fertiles à proximité des houillères, le prix de revient du quintal de sucre était de 52 à 75 francs au plus.

La bougie de blanc de baleine apparaissait en 1819, puis la bougie stéarique en 1827; l'une et l'autre tentaient, timidement encore, de remplacer la bougie de cire dans les salons, pendant que le gaz, inventé par le Français Lebon et utilisé d'abord en Angleterre, revenait de ce pays et commençait à faire concurrence à l'huile dans quelques rues de Paris.

Philippe Lebon avait fait connaître ses découvertes à l'Institut en 1799; en 1800, il avait pris un brevet; en 1801, il avait publié un mémoire sur les thermolampes qui chauffaient, éclairaient avec économie et offraient avec plusieurs produits précieux une force motrice applicable à toute espèce de machines. Il avait commencé par distiller du bois; mais il indiquait que le même résultat pouvait être obtenu avec toutes les substances grasses. Il fit au Havre la première application de ses thermolampes; mais son gaz, formé d'hydrogène carboné et d'oxyde de carbone, éclairait mal et répandait une mauvaise odeur; Lebon mourut ruiné.

L'Anglais Windsor avait recueilli l'idée, et sans parler de Lebon, s'était fait breveter en 1804 3.

En France, la première application du gaz d'éclairage est celle que le comte de Chabrol, préfet de la Seine, fit à l'hôpital Saint-Louis en 1815; la seconde peut-être celle du passage Véro-Dodat en 1819.

1. En 1834 il y avait 29 sucreries dans les arrondissements de Valenciennes, Lille, Douai et Cambrai.

2. BLANQUI, op. cit., p. 235.

3. Grâce à Windsor et à Skardock l'atelier de Watt à Birmingham fut éclairé au gaz dès l'année 1805.

4. Le Moniteur de 1818 (p. 630 et 642) nous apprend que cette année (1818) le duc d'Angoulême avait visité à l'hôpital Saint-Louis un appareil pour l'éclairage au gaz installé par ordre du préfet, comte de Chabrol.

Industries textiles.

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L'élevage du mouton à laine fine avait fait de grands progrès en France. Sous l'ancien régime, presque toute la laine fine était importée d'Espagne ou d'Angleterre. Sous l'Empire, le jury de l'exposition de 1806 constata que plusieurs fabricants de draps superfins faisaient une partie considérable de leurs tissus avec des laines françaises, et prédit qu'un temps viendrait où l'on pourrait se passer d'importations. Ce temps semblait approcher, grâce à la multiplication des mérinos et des métis mérinos. On citait surtout le troupeau de Rambouillet créé en 1786, celui de Naz (dép. de l'Ain) créé en 1798, 1 celui du Calvados appartenant au comte de Polignac; 2 à la fin de la Restauration, un grand nombre de propriétaires, encouragés par les hauts prix,3 fournissaient de la laine fine. On affirmait déjà en 1819 que la laine mérinos de France était supérieure à celle d'Espagne et que la préférence accordée encore dans certains genres aux laines de Saxe n'était plus qu'un préjugé. La coutume, encore récente, du triage des laines selon leur qualité avait contribué à l'amélioration de la marchandise. Un grand nombre de lavoirs furent établis à l'imitation de celui qu'avait créé Ternaux au commencement de l'Empire. Aussi l'importation des laines fines était-elle devenue minime, en partie, il est vrai, à cause du droit de douane."

On savait filer à la mécanique la laine cardée dès le Consulat. On était moins avancé pour la laine peignée. Malgré la machine de Dobo, "

1. Le troupeau de Naz, créé par Girod de Lépineux, était composé en 1823 de 1,800 têtes. « La laine, dit le rapport du jury, est en général courte, soyeuse, un peu fusée, et d'une rare égalité dans toutes ses parties. Elle possède à la fois la finesse et le nerf, la douceur et l'élasticité, qualités indispensables pour la fabrication des draps superfins et qui jusqu'ici ne s'étaient point trouvées réunies dans les laines françaises. >>

2. Le comte de Polignac habitait Outrelaise, près de Caen. En 1823, la pile, c'està dire l'ensemble des troupeaux du comte de Polignac,était composée de 7,000 têtes; Ces moutons de race pure, provenant d'une même souche primitive, étaient placés en pension chez des fermiers de la contrée dont les pâturages étaient les meilleurs et surveillés avec soin par le propriétaire. « Les laines, dit le rapport du jury de 1823, sont remarquables par une égalité parfaite et par une force qui n'exclut pas la finesse. >>

3. Parmi les autres producteurs de laine fine qui ont été le plus remarqués à l'exposition de 1827 sont la comtesse du Cayla, Bourgeois Audoux de Tourcoing, Maurel de Mirepoix, Portal de Mouy.

4. Le commerce extérieur de l'année 1826 porte:

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5. Cette machine obtint en 1815 le prix de la Société d'encouragement à l'in

dustrie nationale.

qui fonctionna dès 1811 à Bazancourt dans la fabrique de Ternaux, on ne la filait encore qu'au rouet en 1819. En 1827 il en était autrement; Poupart de Neuflize, de Sedan, possédait dans ses établissements de Mouzon, Angelcourt, la Moncelle et Neuflize 9,000 broches qui produisaient par jour 145,000 kilogrammes de laine peignée provenant de laine mérinos, plus difficile à travailler que la laine longue et lisse d'Angleterre. D'autres manufactures en exposèrent aussi en 1823 et en 1827; à la dernière exposition on montrait des fils du numéro 80 : c'est la plus grande finesse à laquelle on fût alors parvenu.

Le progrès de la filature avait aidé au progrès du tissage. Les étoffes étaient très variées. Dans le Nord, Sedan et Louviers, qui se distinguaient par la finesse sans égale de leurs produits; Elbeuf était caractérisé par la diversité de ses tissus; dans le Midi où l'on faisait des draps ordinaires, on citait: Lodève, Castres, Carcassonne ; dans le Centre, Bourges, Châteauroux, Tours. Dans les premiers rangs des fabricants d'étoffes drapées faites avec de la laine cardée, draps, casimirs, cuirs de laine, amazones, noirs ou de couleur, se placèrent Ternaux', Poupart de Neuflize, inventeur d'une tondeuse, Cunin Gridaine, Chayaux (Sedan), Gerdret, Flavigney, Turgis (Elbeuf), Jourdain (Louviers), Guibal (Castres), Fagès (Carcassonne). L'échelle des prix s'étendait de 20 à 40 francs l'aune et au delà : il y avait eu une diminution depuis le commencement du siècle. Les étoffes rayées, faites avec de la laine peignée,et en général les étoffes de fantaisie étaient fabriquées à Reims, qui avait la renommée surtout pour les flanelles et les mérinos et où se distinguaient alors particulièrement les frères Henriot.

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Des manufactures nouvelles avaient été fondées dans l'Oise, dans l'Isère, etc.

Les châles de l'Inde, dits cachemires, étaient en vogue; c'était une des parures les plus recherchées des femmes. L'usage en avait commencé sous le Consulat après que l'expédition d'Egypte eût fait connaître ce genre de tissu. Comme il était d'un prix considérable et que néanmoins il avait une clientèle de plus en plus nombreuse, des fabricants français s'ingénièrent à imiter le châle de l'Inde, produit d'un travail très compliqué et très long. Ils ne firent guère d'abord que des écharpes tissées à la manière des brochés de la fabrique lyonnaise. Quand on sut lier les fils du dessin, on découpa à l'envers la partie inutile de la trame et le châle français gagna en légèreté : on en avait vu à l'exposition de 1806. Toutefois cet envers découpé était disgracieux. Ter

1. Ternaux avait des établissements à Louviers, à Sedan, à Elbeuf, à Rouen, etc. 2. En 1827, BLANQUI (op. cit., p. 93) se plaint qu'avec ces prix les tailleurs de Paris fassent payer un habit 90 à 130 francs. Il est vrai qu'un peu plus loin (p. 202) il cite les redingotes à 38 francs du magasin du Bonhomme Richard et les habits (p. 205) de 45 à 100 francs du même magasin faits avec des draps Ternaux. Le mètre de drap, de qualité ordinaire, valait 32 à 35 francs en 1806 et 24 à 27 francs en 1819.

naux fut un des premiers à perfectionner la fabrication; il fit venir par Kasan et Moscou des laines du Tibet et il chercha, sans succès réel, à acclimater en France les chèvres du pays. Lui et d'autres fabriquèrent soit avec ces laines, soit avec celle des mérinos français, des châles par le procédé indien de l'époulinage, l'ouvrier exécutant avec des fuseaux un broché à la main. A ce procédé très coûteux ils substituèrent le plus souvent celui du lancé, qui consistait dans un tissage à la navette sur un métier Jacquart. Ils parvinrent à produire ainsi de grandes palmes, des dessins riches et variés; les châles au lancé restèrent le type du cachemire français. Paris excellait dans cette reproduction fidèle des dessins de l'Inde et dans le châle hindou dont la chaîne était en bourre de soie; Lyon faisait le châle Tibet tramé de laine et de bourre de soie et le châle hindou; Nimes, le châle à bon marché. Les Ternaux, les Bosquillon, les Rey, les Deneirouse étaient renommés pour la beauté de leurs produits.

L'industrie des tapis prospérait. Chenavard, de Paris, et Sallandrouze-Lamornaix, d'Aubusson, se distinguèrent dans les expositions et furent décorés. '

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La filature mécanique du lin en était encore aux tâtonnements du début. Le tissage du lin ou du chanvre, pratiqué dans un très grand nombre de départements, se soutenait sans avoir progressé, excepté par l'introduction du métier de Silésie pour la fabrication du linge de table damassé. La batiste, article pour lequel la France avait une supériorité marquée et dont la teinture avait multiplié les emplois, était recherchée, malgré la concurrence de la mousseline, et formait l'objet d'une exportation importante.

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Les étoffes de crin étaient fabriquées à Paris depuis le Consulat.

Le coton avait beaucoup plus progressé que les autres espèces de tissus Cette industrie n'avait été déconcertée qu'un moment, en 1814, par la levée des prohibitions. La facilité de se procurer la matière première fut pour elle le plus puissant des encouragements, auquel s'ajouta la prohibition des tissus étrangers. Sous l'Empire, elle employait 10 millions de kilogrammes par an; elle en employa 30 sous le règne de Charles X. En 1806 la filature mécanique n'allait pas au delà du numéro 60; 3 en 1819 elle atteignait 80, même 100, et, comme chef-d'œuvre d'exposition, 200; en 1823 on alla jusqu'à 291. Toutefois c'était là

1. Ils étaient morts lors de l'exposition de 1827. Sallandrouze père avait transformé sa fabrication d'Aubusson en créant une grande manufacture au bord de la Creuse. Chenavard faisait un tout autre genre, des tapis de feutre et des toiles vernies.

2. Ce métier avait été importé de Silésie pendant la campagne d'Allemagne.

3. Le numéro représente approximativement le nombre de milliers de mètres de fil au kilogramme. La mesure précise de 1,000 mètres à l'écheveau n'a été universellement adoptée en France que par suite de l'ordonnance du 8 avril 1829.

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