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une rareté exceptionnelle : la France tirait encore de l'étranger les fils les plus fins. « Une foule de filatures s'étaient simultanément établies, lit-on dans le rapport de 1834 à propos des dernières années de la Restauration. Il s'ensuivit une baisse rapide dans les prix de tous les produits dont le coton est la matière première. Le crédit se retira des industries les plus compromises (crise de 1827), ce qui aggrava leur détresse; beaucoup d'ateliers fermés soudainement occasionnèrent des pertes immenses. >>

Mais avant cette crise, il y avait eu une période de prospérité dont l'exportation des tissus de coton peut donner une idée en 1822 cette exportation avait été de 14 millions 1/2 de francs; en 1826 elle atteignit 35 millions. Malgré ce résultat qui attestait la valeur de la fabrication française, les tissus de coton étrangers restaient prohibés. Outre les colonnades fortes, percales, jaconas, calicots, velvantines, piqués, basins, coutils, satins et casimirs de coton, mouchoirs, etc., la manufacture française brillait par les tissus fins et légers: mousselines, surtout celles de Tarare, de Saint-Quentin et d'Alençon; gazes, châles ; elle brillait aussi par les guingamps, fort à la mode pendant un temps, par les toiles imprimées et le tulle de coton, fabrication qui s'était établie d'abord à Rouen, à Douai et à Beuvron (Nord) avec des machines. anglaises. Rouen, Bolbec, Saint-Quentin, Lille, Roubaix qui commençait à devenir une ville par ses fabriques de tissus mélangés de laine et de coton, la Haute-Alsace (Guebwiller, Mulhouse, Munster, SainteMarie-aux-Mines, etc.), Tarare, Troyes étaient les centres principaux de l'industrie cotonnière. Le rapporteur du jury de 1827 déclarait avec une confiance quelque peu prématurée que les cotonnades françaises ne redouteraient plus la concurrence. Des médailles d'or furent décernés à Nicolas Schlumberger, de Guebwiller, pour le coton filé; à Clérambault et à Mercier, d'Alençon, pour leurs mousselines; à Arnaud et à Fournier, de Paris, pour le filage mécanique; à Lelong, de Rouen, pour les tissus mélangés; à Javal frères, de Saint-Denis, pour les mousselines et calicots imprimés.

Le blanchiment, les apprêts, la teinture avaient fait aussi des progrès.

L'impression sur tissus de coton, dits indiennes, était une industrie de goût dans laquelle les artistes français devaient réussir et dont le public raffola. Rouen avait la spécialité des articles communs, dont le débit était considérable; l'Alsace, celle des articles fins : en 1827 il sortait de ses 27 manufactures 527,000 pièces de toiles peintes. Les Koechlin, les Dollfus et Haussmann, les Gros, les Schlumberger, les Heilmann consacraient ou fondaient des réputations qui ont eu en Alsace, le privilège de se transmettre de père en fils avec les traditions du travail.

L'impression de luxe se faisait à la planche; on commençait à la

faire, comme en Angleterre, au cylindre pour les articles courants. C'est pour ses impressions que la maison Javal, qui occupait 500 ouvriers et imprimait quarante à cinquante mille pièces de calicot ou de mousseline, obtint la médaille d'or.

La France ne produisait sous l'ancien régime que de la soie jaune ordinaire que l'on décolorait par le décreusage ou le blanchiment à l'esprit de vin; le procédé avait été amélioré par Roard dans les premières années de la Restauration. Mais on commençait à produire aussi la soie blanche de Chine, soie sina, dont la France n'avait été approvisionnée pendant des siècles que par l'importation; quoique les essais d'acclimatation du ver datassent du règne de Louis XVI, les premières réussites ne remontaient pas au delà de la fin de l'Empire. Cette soie blanche figura à l'exposition de 1819; en 1823 et en 1827, elle s'y trouvait en plus grande quantité que la soie jaune. 2 La filature de soie s'était perfectionnée par le tirage des cocons à l'aide des bassines chauffées à la vapeur,imaginé par Gensoul de Lyon, et par les tourneuses de Bonnard de Lyon mues par un moteur unique. En 1827 Poidebard fut décoré pour l'importante magnanerie qu'il avait fondée à Saint-Alban. Le filage de la bourre de soie, qui était très usité en Angleterre et pour lequel la Société d'encouragement avait proposé un prix, commençait à prendre quelque importance.

Lyon était toujours le grand centre de la soierie et continuait à briller par la variété, la richesse et le goût de ses tissus. Les brocarts d'or et d'argent pour ornements d'église étaient un des genres dans lesquels sa fabrique n'avait pas de rivale. Jacquart fut décoré en 1819; son métier, avec lequel on obtenait des combinaisons d'armure et des effets qu'il eût été impossible d'atteindre avec l'ancien métier à la tire, reçut pendant la Restauration plusieurs perfectionnements, entre autres le mécanisme de Depouilly, le régulateur de Dutilleu, et la substitution de petites broches de fer aux lisses qui permit à Maisiat, professeur de fabrique à l'école spéciale de Lyon, de tisser le testament de Louis XVI: chef-d'œuvre qui valut à son auteur, en 1827, une médaille d'or. Les façonnés, les velours légers genre de Hollande, les velours chinés, les damas pour teinture, les gros de Naples, les taffetas, les lévantines, les gazes, les crêpes de Chine, le duvet de cygne, les châles plucheux, les florences, les foulards, les étoffes brochées pour gilet étaient les articles les plus demandés. La prospérité de Lyon pendant

1. Rocheblave, d'Alais, et deux ou trois autres propriétaires avaient seuls continué l'élevage du ver à soie blanche pendant la Révolution. En 1809 le Comité consultatif des arts et manufactures eut connaissance de ce fait, et fit demander et distribuer de la graine. Rocheblave reçut une médaille d'or en 1823.

2. La récolte a été en moyenne (calculée d'après un document des Archives nationales, F 95150) de 4,800,000 kilogrammes; les prix ont été en général plus élevés que sous l'Empire, 3 fr. 60 environ le kilogramme en moyenne. La quantité de soie filée en France a augmenté pendant cette période.

la Restauration dépassa celle de l'Empire, malgré les mauvaises récoltes de soie de 1816-1818 et de 1825; on y compta jusqu'à 27,000 métiers battant. La crise de 1827 lui porta un coup dont elle ne se releva pas de plusieurs années; alors, malgré les efforts ingénieux des fabricants pour varier les produits et solliciter la vente, commença pour la population lyonnaise une période de souffrances: le salaire manqua.

Les châles brochés, qui sous l'Empire, n'avaient été accessibles qu'au luxe opulent, furent mis, vers la fin de la Restauration, à la portée des fortunes modiques et devinrent à Paris, à Lyon et à Nîmes l'objet d'une fabrication importante. 1

Avignon ne faisait guère que le florence, la marceline et le foulard écru. Nimes produisait moins d'étoffes de soie pure que de foulards dans lesquels entrait la soie, la bourre et le coton. Tours conservait la spécialité de l'ameublement; Saint-Étienne et Saint-Chamond celle de la rubanerie, qui grâce au métier Jacquart, à un nouveau mode de teinture et à l'invention des rubans gaze, se développait et dont, en 1823 déjà, on estimait la valeur à une trentaine de millions. Vers 1828 on commençait à fabriquer, à l'instar de l'Allemagne, des peluches de soie qui allaient bientôt être généralement adoptées par la chapellerie.

Malgré la consommation croissante des tulles auxquels le bon marché procurait une clientèle nombreuse, la dentelle et la blonde, que la mode avait un peu délaissées, soutenaient leur réputation au commencement de la Restauration et occupaient une place importante dans la toilette féminine; dans le seul département du Calvados (Caen, Bayeux, etc., qui faisaient de la dentelle de fil et de soie), cette industrie occupait 70.000 personnes, disait-on. Elle en occupait beaucoup aussi à Alençon, dans l'Oise (blonde de Chantilly, etc), dans le Nord (Valenciennes), dans la Haute-Loire (le Puy, etc.). Le tulle de soie, perfectionné par Bonnard, entretenait près de 2,000 métiers aux environs de Lyon. 2

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Industries diverses. - L'usage des pendules se répandait et l'horlogerie en bénéficiait par l'augmentation des ventes à l'intérieur et par l'exportation. Au premier rang parmi les artistes français se plaçait Bréguet qui avait apporté dans l'horlogerie le génie de l'inventeur et la perfection de la main-d'œuvre. On racontait qu'un amiral anglais, ayant emporté en voyage un de ses chronomètres, n'avait constaté à

1. Dict. du comm, et des marchandises, p. 2072, Vo Soieries, par Kauffmann. 2. Pour le progrès des industries textiles à cette époque, voir, entre autres résumés, le baron CHARLES DUPIN, Discours et leçons sur l'industrie, le commerce, la marine, 1825, t. 11, p. 71 et suiv.

3. L'exportation d'horlogerie était en 1823 de 3,418,000 francs et en 1833 de 7,003,000 de francs dont 6,134,000 pour les pendules.

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son retour, après seize mois de route, qu'un retard d'une seconde, et qu'Arnold, le premier horloger d'Angleterre, avait à l'examen du chronomètre Bréguet conçu une telle admiration pour l'auteur, qu'il était venu en France afin de l'embrasser et lui avait laissé son fils, désirant qu'il fût formé à si bonne école. Bréguet, modeste artisan, devint membre de l'Académie des sciences.1 Il n'était pas l'unique horloger renommé de France. Lepaute fils, Wagner étaient cités pour les grandes horloges, Janvier pour les pendules, Pecqueur, Berthoud, Perrelet, Motel pour l'horlogerie de précision, Pons pour la fabrique. de Saint-Nicolas d'Aliermont qui ne livrait pas moins de 6,000 mouvements de pendule par an; les Japy, de Beaucourt, pour les ébauches, c'est-à-dire les mouvements bruts de montre et de pendule. 3 Ces deux frères qui avaient su relever de ses ruines leur fabrique incendiée par l'armée ennemie en 1815, occupaient un millier d'ouvriers, fabriquaient 1,400 à 1,500 douzaines d'ébauches par mois et, dès 1819, ils livraient grâce à des procédés mécaniques, pour 1 fr. 40 à 2 francs des mouvements qui coûtaient auparavant 6 et 7 francs. A Seloncourt, près de Montbéliard, était une autre fabrique du même genre, moins impor tante, celle des frères Beurnier, qui travaillait aussi pour l'exportation beaucoup plus que pour la consommation française. La fabrique de montres de Besançon, dont la création était due à une colonie de Suisses attirée en 1793 par les faveurs du gouvernement, occupait près de 800 personnes, hommes ou femmes, chacun travaillant dans son ménage et mettant en œuvre les ébauches de Beaucourt et de Seloncourt.

Dans la spécialité des instruments de mathématique et de physique, Lenoir, constructeur du cercle répétiteur de Borda, Bertin, auteur d'un baromètre nouveau, d'un cercle mural, etc., Gambey, fabricant de théodolites, etc., Lerebours et Cauchon, fabricants de lunettes astronomiques, Chevalier, opticien, obtenaient les plus hautes récompenses. Le jury de 1823 lui décerna une médaille d'or pour son phare lenticulaire à rotation.

Fresnel, que l'on a justement surnommé le Newton de l'optique, décuplait la puissance d'éclairage des phares par la combinaison des verres lenticulaires. Ampère découvrait les courants d'induction et préparait l'invention du télégraphe électrique. Arago les secondait et leur rendait hommage.

1. Exposition de 1834, t. I, no 12.

2. La fabrique de Saint-Nicolas-d'Aliermont datait de la première moitié du xvi® siècle. Au commencement du XIXe siècle la grossièreté de ses produits lui avait fait presque perdre sa clientèle. Honoré Pons, horloger de Paris, appelé à SaintNicolas-d'Aliermont en 1808, releva la fabrique en donnant aux ouvriers de meilleurs procédés de travail.

3. La fabrique d'ébauches de pendules était située à Badevel,près de Montbéliard.

Dans l'ordre de la musique, les facteurs français étaient parvenus à faire des instruments dignes de rivaliser avec ceux de Londres et de Vienne; Erard et Pleyel étaient célèbres, l'un pour ses harpes et ses pianos, l'autre pour ses pianos.

La fabrication du papier à la mécanique, inventée en 1799 par Robert, ouvrier de la papeterie d'Essonnes, pratiquée en Angleterre, revint en France après 1815,' fournissant d'abord des papiers inférieurs au papier à la main, puis s'améliorant rapidement (collage à la cuve, etc.). Quatre fabricants à la mécanique figuraient à l'exposition de 1827, montrant des papiers de dimension illimitée et d'une épaisseur parfaitement égale dans toutes leurs parties. On put dès lors non seulement fabriquer plus vite et sans tenir compte des formats, mais fabriquer en toute saison.

Les Didot tenaient le premier rang dans l'art de fondeur en caractères et dans l'imprimerie. C'est à cette époque que parurent les premières presses mécaniques.

La lithographie, rivale de la gravure, reproduisait à bon marché les œuvres des artistes et devait contribuer à populariser le dessin. Un Bavarois, Senefelder, avait inventé cet art nouveau (1798). Deux Français s'étaient rendus à Munich pour en étudier les procédés et les avaient rapportés dans leur patrie, où en 1819 ils étaient déjà couramment pratiqués. Engelmann, qui peut être regardé comme le second créateur de la lithographie, et le comte de Lasteyrie, qui a été un des plus ardents promoteurs du progrès des classes laborieuses, avaient fondé, à Mulhouse et à Paris (dès 1814 et 1816) les premières imprimeries lithographiques. En 1827, la lithographie popularisait déjà l'image à bon marché et était même employée pour les cartes de géographie.

La librairie trouvait dans ces inventions le moyen de mieux servir le mouvement intellectuel, malgré les restrictions que les lois sur la presse et la censure avaient mises aux publications périodiques. En 1812 il n'était sorti des presses françaises que 44,000 feuilles d'impression; il en sortit 75,000 en 1825; on comptait alors environ 15,000 presses en activité et plus de 1,100 libraires.

De 1815 à 1820, nombre de manufactures de papiers peints furent

1. Berte et Grenevich, fabricants à Sorel et à Saussay (Eure-et-Loir) furent les seuls exposants en 1819 de papier à la mécanique. Cependant il paraît que quatre fabriques en France en faisaient déjà, lorsque Didot de Saint-Léger rapporta de Londres le procédé. · Voir Moniteur de 1818, p. 1051, 1088, 1100.

2. On n'était pas encore parvenu à débarrasser ce papier de l'empreinte de la toile métallique; il avait un envers.

3. Senefelder publia en 1819 un Cours de lithographie. L'invention du crayon lithographique date de 1805. Le comte de Lasteyrie avait fait de grandes dépenses pour aller étudier la lithographie en Allemagne et installer son atelier à Paris où il se mit en relation avec les artistes, Vernet, Charlet, etc. Le gouvernement lui offrit un brevet de quinze ans il le refusa.

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