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l'érable et la racine de buis dans les objets de luxe, l'acajou n'eut pas sous le règne de Louis XVIII de rival sérieux, et le progrès du placage augmenta considérablement sa clientèle dans la petite bourgeoisie. '

On aimait l'allégorie: manie aussi puérile dans les arts industriels que dans la littérature. On remplaçait, dans un boudoir, les colonnes par des torches d'acajou à flamme de cuivre; on soutenait les rideaux avec un couple de colombes ou avec l'arc et les flèches de l'Amour. Voulait-on faire un lit d'une grande élégance? Sur un large socle d'acajou on plaçait une conque dorée supportée par un cygne et traînée par un dauphin. L'ébéniste pensait avoir fait une œuvre d'art: il n'avait construit qu'un meuble incommode. Un modèle de table de nuit, recherché à cette époque, représentait un mausolée carré, en acajou, avec l'épitaphe somno en lettres de bronze antique servant de veilleuse ce funèbre meuble ne témoigne pas du goût des artistes industriels.

Il y a cependant une partie de l'ameublement qu'on traitait avec plus de grâce que durant l'époque impériale: c'est la draperie. On visait moins à la richesse qu'à la légèreté, et on réussit. La mousseline et la percale blanche, ornées de franges ou de pompons, en firent la plupart du temps les frais, et leurs plis abondants dissimulèrent la lourdeur des lits qu'elles recouvraient. 2

Jacob restait ce qu'il avait été sous l'Empire, l'ébéniste le plus en renom; en 1827 il exposait, outre ses meubles d'une très bonne fabrication, une collection de riches parquets. Werner, renommé aussi, était un des ébénistes qui avaient fait des efforts pour introduire les bois indigènes, frêne rosé, aune, orme, platane, etc., et faisaient un emploi fréquent et souvent heureux des marbres français.

Quand fleurit le romantisme, plusieurs ébénistes, Jacob lui-même, suivirent pourtant un peu le courant, taillant leurs meubles en ogives et les ornant d'entablements en machicoulis; Bellangé et Gouf se signalèrent en ce genre à l'exposition de 1827.

Les lits, les commodes, les secrétaires et les bureaux, les tables, les guéridons, les fauteuils, les bergères et les canapés, les psychés étaient les articles courants du mobilier fabriqué à Paris et dans quelques grandes villes. La plupart échappaient à la critique parce qu'ils n'avaient pas de style, n'étant qu'un simple travail de menuiserie recouverte d'un placage en acajou. Dans les petites villes et dans les rares campagnes où l'on faisait le meuble, c'étaient encore de beaucoup les bois indigènes qui dominaient.

<<< Les bronzes et les ouvrages de dorure forment l'une des branches

1. A l'exposition de 1819 on voyait déjà des bois de placage donnant dix-huit feuilles dans un pouce d'épaisseur exposés par Lefèvre.

2. Voir à la Bibliothèque nationale (Département des Estampes) la collection de la Mésangère, deuxième et troisième volumes.

du commerce de Paris », dit le rapporteur du jury de 1819. « On peut dire, ajoutait plus tard celui de 1834, que nos ateliers ne comptent point de rivaux en Europe. »

Les fabricants qui tenaient la tête dans le bronze d'art étaient Thomire, Lenoir-Ravrio, Denière, Galle, Fauconnier, presque tous connus. déjà sous l'Empire. Leurs sujets en général étaient tirés de la mythologie ou de l'histoire ancienne, ou étaient des allégories, Denière avait exposé en 1827, à côté d'un grand Parnasse en bronze d'une exécution très soignée, une bonne réduction de la Madeleine de Canova; il fut décoré de la Légion d'honneur. Les bronzes dorés pour églises occupaient, dans les expositions comme dans les ateliers, une large place. On en faisait aussi beaucoup pour pendules, flambeaux et autres garnitures de cheminée.

Dans l'orfèvrerie, la maison Odiot gardait le premier rang, comme sous l'Empire; elle s'était mise aussi, pour les ornements d'église, à la reproduction du gothique. Biennais, Cahier, Fauconnier, Lebrun, etc., etc. venaient au second. Le plaqué, qui était presque à son début au commencement de la Restauration, avait pris beaucoup d'extension en 1827.

La joaillerie et la bijouterie française étaient toujours renommées. A Septmoncel on taillait les pierres fines et plus encore le strass, que l'on montait à Paris. On faisait des bijoux en plaqué d'or, des bijoux en jayet, des bijoux en acier. Broches, bracelets, diadèmes, ferronnières, colliers, boucles d'oreilles, boutons de chemise, chaînes de montre pour les femmes, pour les hommes, étaient les articles courants de la bijouterie; on recherchait les chaînes jaserons, les bijoux en cannetille et filigrane, les camées, les diamants et les roses, les pierres fines de couleur et les perles. Ce qui manquait trop souvent dans la bijouterie comme dans l'orfèvrerie et le bronze, ce n'était pas le travail de l'artisan, car ces objets de luxe étaient encore presque tous d'un prix élevé, c'était la véritable originalité, c'est-à-dire l'art du dessin et le goût appropriés à l'industrie.

Un progrès qu'il ne faut pas passer sous silence quand on parle de l'industrie des métaux, parce qu'il a été un acte d'humanité, c'est l'invention du fourneau d'appel de Darcet, qui mit les doreurs à l'abri des émanations mercurielles.

La richesse industrielle sous l'ancien régime et sous la Restauration. Il ne faut pas que cet exposé des principaux produits de l'industrie donne une idée exagérée du progrès accompli. Depuis le commencement du siècle, l'industrie marchait en avant d'un pas accéléré, mais elle avait eu à remonter toute la pente qu'elle avait descendue pendant la Révolution. Il fallut des années pour revenir au point de départ, c'est-à-dire pour reconstruire ou rouvrir les ateliers détruits ou fermés,

pour ramener au travail une génération que la politique, la guerre ou le chômage en avait distraite, pour reformer des capitaux qui ne se conservaient, se reproduisaient et s'accroissaient que par un labeur continu et grâce à la sécurité du lendemain, et que la crise de la fin de l'Empire, sévissant moins de vingt ans après la crise de la Convention, avait en partie anéantis. Nous avons dit combien la société de 1786 était florissante, combien aussi elle était gênée, en raison même de son développement, dans les formes étroites de sa législation surannée. La société nouvelle était constituée sur des principes assez libéraux et sur une base assez large et solide pour supporter les développements de l'avenir tant que ces développements seraient ceux de la liberté du travail ; mais, comme elle avait eu presque tout à recréer ou à restaurer, elle s'était trouvée au début moins riche que sa devancière.

Les chiffres du commerce extérieur semblaient même indiquer qu'elle serait restée pendant plus de dix ans au-dessous du niveau atteint par l'ancien régime. Car, vers la fin du règne de Louis XVI, le commerce extérieur de la France avait dépassé 1 milliard de francs; sous l'Empire, avec des frontières beaucoup plus étendues, il ne monta qu'une fois jusqu'à 933 millions; sous la Restauration, il ne dépassa le milliard qu'en 1827, et l'importation, qui fournissait principalement les matières premières du travail, ne remonta qu'en 1830 au niveau de 1788. Il est vrai que le commerce intérieur que nous n'avons pas les moyens de mesurer, s'était vraisemblablement accru plus rapidement parce que la population avait augmenté, particulièrement celle des villes; que le paysan était devenu propriétaire depuis la Révolution, que la production agricole, autant du moins que la statistique officielle permet de l'apprécier, était en progrès *.

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Sous l'ancienne monarchie, la viabilité, qui en facilitant les relations commerciales, stimule l'échange, et par l'échange la production, était encore fort imparfaite, quoique sensiblement améliorée durant la seconde moitié du xvm° siècle. L'Empire qui considérait les grandes routes comme un instrument non seulement de commerce, mais de

1. Voir le chapitre précédent.

2. Voir Hist. des classes ouvrières et de l'industrie en France avant 1789, E. LEVASSEUR, t. II, p. 552.

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Le recensement de 1806, le dernier de l'Empire, avait donné 29,107,420.

Il y a eu dans l'intervalle d'autres évaluations officielles qui n'ont pas été des recensements. Voir la Population française, par E. LEVASSEUR, t. I, p. 313.

4. La production des céréales avait augmenté; on avait récolté en moyenne en 1817-1818 (on n'a pas les résultats de 1819), 53 millions d'hectolitres de froment, 35 millions d'hectolitres d'avoine, etc.; en 1827-1829, on récolta 60 millions d'heclolitres de froment, 42 millions d'hectolitres d'avoine.

gouvernement et de guerre, en avait complété le réseau et organisé l'administration. La Restauration, préoccupée des intérêts de l'agriculture, des mines et des grandes usines, poussa avec vigueur la construction des canaux commencée par l'ancien régime et continuée par Napoléon. La circulation des voyageurs et des marchandises devint plus facile, sans être encore très active 3.

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Quel était le rapport exact de la richesse industrielle de la France en 1786 et en 1830? Nul ne saurait le dire avec précision; mais il est vraisemblable que la société nouvelle, quoique ayant un plus vigoureux essor grâce à la science et à la liberté, ne possédait pas encore sous la Restauration un capital matériel beaucoup plus considérable que la société du temps de Louis XVI. *

1. Décret du 16 décembre 1811.

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2. Lois du 5 août 1821 et du 14 août 1822. C'est en vertu de ces lois que furent construits les canaux du Rhône au Rhin, de la Somme et de Manicamp, des Ardennes, le canal latéral à l'Oise, les canaux de Bourgogne, d'Arles à Bouc, de Bretagne, du Nivernais, du Berri, le canal latéral à la Loire, en tout 2,835 kilomètres.

3. Les services de diligences étaient encore très insuffisants et bien imparfaits quand on les compare aux moyens de communication du xxe siècle. Beaucoup de villes n'avaient pas de voitures publiques; on s'y servait de chaises à porteur. Paris en 1827 avait seulement 1,000 fiacres et 700 cabriolets (Moniteur de 1827, p. 1421). 4. Les termes d'une comparaison générale manquent. On possède à la fin de l'ancien régime (année 1788) l'inventaire que Tolozan, intendant du commerce, a essayé de dresser de la richesse industrielle de la France et qui se totalise par 931 millions 1/2 de livres pour la production industrielle et par 60 millions pour les arts et métiers; mais l'inventaire de Tolozan est incomplet et le total paraît être audessous de la réalité. La statistique que donne CHAPTAL dans son ouvrage sur l'industrie française et dont les chiffres sont empruntés en général à l'enquête de 1812, donne un total de 1 milliard 820 millions de francs, dont 22 p. 100 en produits minėraux, 42 en produits du règne végétal, 28 en produits du règne animal, 8 en autres produits; dans le total le fer figure pour 190 millions, le coton pour 191 1/2, le lin et chanvre pour 243, la laine pour 238, la soie pour 107, les cuirs et peaux pour 144. Les statistiques de Tolozan et de Chaptal sont les deux seules que le chef du bureau de statistique Moreau de Jounès cite dans la Statistique de la France, industrie,comme antécédents de l'enquête de 1840-1845.

CHAPITRE IV

LES MACHINES

SOMMAIRE.

Progrès dans les arts relevant de la chimie et de la physique (626). Les machines (627). Sentiments des manufacturiers et des ouvriers à l'égard des machines (629). Doctrine de Sismondi (631). Nécessité et avantages des machines (634). · Doctrine des économistes libéraux (636).

Progrès dans les arts relevant de la chimie et de la physique. Sous la Restauration comme sous l'Empire, ce que l'industrie présentait de plus nouveau et de plus digne de remarque, c'était moins encore les produits que les moyens de produire. La science continuait à éclairer le travail et armait peu à peu la manufacture de procédés et d'instruments qui lui communiquaient une puissance inconnue à l'ancien régime. « On doit, disait avec un juste sentiment de reconnaissance Costaz dans son rapport de 1819, placer au premier rang les progrès des sciences exactes et les nombreuses découvertes faites depuis trente ans en physique, en chimie et en mécanique; ces découvertes déterminent presque toujours la création ou le perfectionnement de quelque branche d'industrie. » Nous en avons exposé dans le chapitre précédent les résultats.

Un des principaux effets avait été la réduction des prix de revient. Sur les porcelaines, par exemple, la diminution était de 60 p. 100 au moins, de 25 p. 100 sur les draps, presque de 30 p. 100 sur les fils de coton. Les calicots, qui en 1816 se vendaient 2 fr. 60 à Saint-Quentin, n'étaient plus payés que 70 centimes en 1831, et les mérinos, qui en 1805 avaient valu 70 francs le mètre à Reims, n'en valaient pas 10 en 1830. C'étaient là d'importants résultats; car abondance et bon marché sont deux des fins essentielles de l'industrie, qui se propose d'accommoder au service de l'homme, avec le moins d'effort possible, la plus grande somme de produits naturels : l'accroissement du bienêtre des travailleurs en est d'ordinaire une conséquence.

Une part du mérite revenait à la chimie qui avait rendu déjà de grands services sous l'Empire. Derosne travaillait pour les raffineries, où il introduisait l'usage du noir animal et du sang desséché. L'usine

1. Rapport de COSTAZ, avant-propos, p. xix.

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