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monter sa machine, et plaçait probablement l'autre chez un banquier qui rendait cet argent en prêts à l'industrie; ou mieux encore, dès qu'il avait l'espérance de s'ouvrir des débouchés, il ramenait cette dernière partie à sa destination primitive, et agrandissait sa manufacture. Il n'avait adopté cette machine que parce qu'il en tirait plus de profits; de ces profits, une part servait à augmenter son bien-être, et l'autre, retournant à l'industrie, devait contribuer à accroître la demande du travail. Cette analyse, quoique imparfaite, était cependant démonstrative.

Néanmoins dans ces diverses phases du capital,il y avait déplacement; de là souffrance. Quand Sismondi déclarait que le mal était moins dans la machine elle-même que dans la brusque rupture de l'équilibre social, il était dans le vrai ; ' quand il ajoutait qu'il n'oserait pas prescrire un remède, il était prudent. Son tort était de croire à une déperdition de capital qui n'existait pas. Loin de là, il y avait même d'ordinaire, comme nous venons de dire, accroissement, et après un certain temps, accroissement sur place, c'est-à-dire que l'industrie dont la machine avait accru les profits et mis les produits à la portée d'un plus grand nombre de consommateurs, avait chance de se développer, et comme l'industriel dont nous avons cité l'exemple, de réclamer plus d'ouvriers que sous l'ancien système. L'expérience commençait à confirmer sur quelques points cette théorie en France. Mais la plupart des publicistes, préoccupés des faits qui se présentaient d'abord à leurs regards, étaient encore trop peu familiarisés avec l'observation scientifique des phénomènes économiques pour pousser jusque-là leur analyse.

On reprochait aussi à la machine d'être le principal instrument de la division du travail, et par suite d'asservir et d'abêtir l'homme. On ne comprenait pas que si tout travail est une peine, la peine est moindre pour tourner la manivelle d'une pompe que pour monter sur sa tête les seaux remplis à la source, pour surveiller la trémie d'un moulin que pour moudre le grain entre deux pierres. Loin de s'abêtir, l'homme s'élève; il fait moins avec ses bras, plus avec son intelligence; c'est pourquoi, dans certains cas, la femme et même l'enfant pouvaient prendre sa place à la manufacture. Cette machine si puis.

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1. SISMONDI, Nouv. princ, d'économie polit., t. II, p. 287.

2. « Je l'avoue, après avoir indiqué où est à mes yeux le principe, où est la justice, je ne me sens point la force de tracer les moyens d'exécution. » Ibid., t. II, P. 364.

3. C'est un des griefs qu'a surtout mis en relief, à une époque postérieure, EUG. BURET. V. de la Misère des classes laborieuses, t. II, p. 38 (voir le livre suivant). - Par cette division, dit SISMONDI, l'homme a perdu en intelligence, en vigueur de corps, en santé, en gaieté, tout ce qu'il a gagné en pouvoir de produire la richesse. C'est par la variété de ses opérations que l'âme se développe... » Ibid., t. I, p. 395, édit. de 1827.

sante n'asservit ni n'humilie l'homme; car c'est l'homme qui l'a construite et l'homme qui la fait mouvoir. Le marteau-pilon, qui pétrit des masses énormes de fer en lançant des gerbes d'étincelles, peut, quand l'ouvrier veut, casser une noisette ou fermer une montre sans l'écraser. Ce qu'exige la machine, c'est la précision, l'assiduité, la vigilance, toutes qualités morales. « Il faut du temps pour former de tels hommes, disait à un économiste un grand usinier en lui montrant avec orgueil ses ouvriers, et ce sont les machines qui les forment. L'homme qui laboure avec des boeufs pense lentement comme il agit; celui qui travaille à la vapeur pense vite, agit vite; et pour rester au niveau de sa tâche, pour rester maître de son œuvre, il se fait plus fort, plus rapide et plus puissant que la machine dont il s'aide. 1»

Il ne manquait certes pas d'esprits éclairés, même sous la Restau. ration, pour dire aux ouvriers que la machine rehaussait leur dignité en accroissant leur puissance; que le sentiment moral ne pouvait que gagner lorsque le tisserand sortait de sa cave humide et sombre. pour travailler dans une grande manufacture aérée où nul ne pouvait rester oisif, mais où il se tenait droit, debout devant son métier, l'œil à tout et la main libre. Le baron de Gérando s'exprimait ainsi après J.-B. Say « Voyez dans combien de professions déjà, par la seule émancipation de l'industrie, appuyée, d'une part, sur la formation des capitaux, de l'autre, sur l'intervention de l'intelligence dans le travail, c'est-à-dire sur l'instruction industrielle, le mérite réel du travail s'est accru, et avec lui la dignité et le bien-être du travailleur ! A l'homme-machine qui tournait la meule ou broyait le grain dans un mortier, qui se courbait sur la rame d'une galère, ont succédé le meunier, le matelot. Le portefaix est chaque jour remplacé par le conducteur; l'homme de peine par le constructeur d'instruments; l'ouvrier, qui n'use que de son bras, par celui qui mesure, calcule et combine. A l'emploi de sa force musculaire, l'ouvrier joint chaque jour, de plus en plus, une action plus noble, le jeu de ses facultés intellectuelles. Il luttait contre la matière par une action matérielle; maintenant il la soumet, lui commande. » Mais ces idées ne devaient triompher dans l'opinion que lorsque les machines auraient ellesmèmes, par la force des choses, complètement triomphé dans l'industrie.

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Jusque-là, ce qui apparaissait, c'est que les machines étaient liées. intimement à la grande industrie, et que le progrès des unes condui

1. M. Schneider à M. Fr. Passy visitant le Creusot. Voir M. FR. PASSY, Leçons d'économie politique, t. II, p. 267.

2. De Gérando, de la Bienfaisance publique, t. III, p. 297. Il n'entre pas dans le sujet du présent ouvrage de faire la théorie des machines; nous devons nous borner à indiquer le sens des opinions contraires qui s'entrechoquaient alors. Il n'est pas superflu cependant de reproduire en note l'énumération sommaire des con

sait à l'extension des autres. Si la machine présentait des avantages, elle imposait des obligations de gros capitaux, un vaste marché, la concentration des ouvriers sous le toit de la manufacture. Dans la lutte qui s'engageait, la supériorité serait évidemment du côté des grands élablissements, et la victoire devait leur rester. Envisagée exclusivement à ce point de vue, la transformation n'était pas sans inspirer de légitimes regrets. La vie de famille a un parfum de moralité qu'on respire rarement dans les fabriques et qu'on n'y respirait pas alors. Dans la manufacture, le mari, la femme, les enfants travaillaient séparément, sans se voir, sans exercer aucune autorité les uns sur les autres, obéissant à des contremaîtres étrangers, ne se retrouvant que le soir, dans une maison restée vide, sans souper préparé d'avance. La femme n'apprenait pas l'art de rendre son intérieur agréable, le mari allait chercher des distractions au cabaret, et l'enfant prenait des goûts d'indépendance prématurée. C'était là un grand mal, mais qui n'était pas entièrement incurable.

Le temps devait peu à peu faire connaître certains remèdes ; il est réservé à la civilisation de les appliquer en donnant aux patrons plus de sollicitude pour leurs ouvriers et aux ouvriers une intelligence plus nette du rôle des machines. Aujourd'hui, au commencement du xxo

ditions et des conséquences des machines que nous avons souvent expliquées dans notre enseignement :

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siècle, les ouvriers se plaignent encore des machines lorsqu'elles s'introduisent dans leur propre atelier et qu'ils pensent qu'elles modifient les conditions du travail à leur désavantage. Ils ne récriminent plus guère d'une manière générale contre l'emploi des machines, mais ils sont portés à lui refuser une part dans les bénéfices de la production.

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Naissances illégitimes et débauche (641).

Assistance (642).

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Caisse d'épargne (644). Mutualité et patronage (647). — L'enseignement mutuel et l'enseignement simultané (649). La politique du gouvernement à l'égard des écoles libéraux et les congréganistes (652). Le ministère Martignac et l'ordonnance de Guernon Ranville (657). Les salles d'asile (659). Le Conservatoire des arts et métiers (659). — L'École centrale des arts et manufactures (661). Les questions ouvrières sous la Restauration (662).

Naissances illegitimes et débauche. Certains dangers des agglomérations commençaient à se manifester. Le progrès moral n'était pas au niveau des progrès matériels. Il devait en être ainsi à une époque de transformation où nombre d'existences étaient froissées, déplacées, où une portion de la population des campagnes se trouvait tout à coup attirée dans les villes et s'entassait dans des manufactures construites à la hâte.

L'enregistrement des naissances illégitimes grossissait. Dans les cinq premières années de la Restauration (1814-1818) on en comptait 55,000 à 63,000, soit 62 sur 1,000 naissances en moyenne; de 1826 à 1830, le total varia entre 72,000 et 69,000, soit 72 p. 1,000. Les départements où se pressait la population industrielle étaient au nombre. des plus compromis; la Seine, le Rhône, la Seine-Inférieure, la Gironde, les Bouches-du-Rhône, le Nord, avec Paris, Lyon, Rouen, Bordeaux, Marseille, Lille, figuraient dans les premiers rangs, tandis que les départements agricoles de la Bretagne étaient classés parmi les derniers. On objectait, il est vrai, que le département des Landes,

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1. Moyenne du nombre des naissances illégitimes sur un total de 1,000 naissances de 1821 à 1831 :

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GAILLARD, Recherches administratives, statistiques et morales sur les enfants

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