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avec sa population rare et leur faible industrie, accusait une moralité inférieure à celle du Nord, que le Haut-Rhin, malgré Mulhouse, le Gard, malgré Nimes, restaient beaucoup au-dessous de la moyenne; que d'ailleurs les villes portaient la responsabilité d'un grand nombre de faules qui, commises en d'autres lieux, venaient se cacher dans leur sein. Ces réserves, la dernière surtout, étaient justes. Néanmoins il était impossible de nier l'influence fâcheuse des grandes agglomérations et de la manufacture qui, sans souci du danger, où étaient jetés pêle-mêle, près des séductions du luxe, des jeunes filles ne gagnant qu'un modique salaire et des hommes n'ayant pas de famille ou se souciant peu de rentrer dans leur maison pour y entendre les plaintes de la femme et les cris des enfants.

Aussi voyait-on prospérer le cabaret où se dissipait en quelques heures une partie du salaire de la semaine, et qui amenait trop souvent des rixes avec l'ivresse. On constatait que sur 903 meurtres commis de 1826 à 1830, 446 l'avaient été à la suite de querelles chez le marchand de vin. 1

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Les séductions était fréquentes: de là, les naissances illégitimes, et ce qui est pis, des enfants abandonnés. Nombre de femmes mariées suivaient ce funeste exemple et trouvaient plus commode de se débarrasser de leurs charges de famille que de lutter contre la misère. L'administration, guidée par une charité imprévoyante, s'était d'abord montrée très facile pour les admissions, et en cinq ans, le nombre des enfants trouvés avait augmenté de plus de 17,000. Sur les réclamations de tous les conseils généraux, elle se décida à déployer plus de sévérité. Des radiations eurent lieu; les départements y trouvèrent une économie notable, et les enfants une famille; néanmoins le nombre des abandons resta encore de beaucoup supérieur au total des naissances illégitimes. 2

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Assistance. La Restauration fut charitable. Moins rigide que l'Empire, elle supprima, à la demande des conseils généraux, une grande partie des dépôts de mendicité; 3 elle simplifia le système des secours à domicile; elle organisa, à Paris, les bureaux de bienfaisance arrondissement et créa un bureau de placement pour les enfants sor

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trouvés, les enfants naturels et les enfants, 1837. L'auteur faisait remarquer que, parmi les sept départements qui avaient le plus de naissances illégitimes, cinq occupaient les premiers rangs pour le produit des patentes.

1. Voir Congrès de bienfaisance de Bruxelles en 1855, p. 267.

2. En 1826, il y eut encore plus de 100,000 enfants trouvés; le nombre des naissances illégitimes était de 72,000.

3. De 1814 à 1818 seulement, 26 dépôts de mendicité sur 59 furent supprimés à la demande des conseils généraux: presque tous eurent successivement le même sort ou furent convertis en maisons de correction. Voir E. BURET, t. I, p. 230. 4. Ordonnance du 2 juillet 1816.

tis des hospices. Elle institua des bals, des quêtes au profit des pauvres, des distributions, plus somptueuses qu'utiles, à la fête du roi ; dans plusieurs circonstances, des princes et princesses de la famille. royale allèrent solennellement visiter et soulager des malheureux. *

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Cette sympathie pour la souffrance qu'avivait le sentiment religieux n'eut que trop d'occasions de s'exercer. Paris comptait en temps ordinaire environ 60,000 indigents inscrits, soit le dixième de la population, et à cette armée régulière de l'indigence s'ajoutaient de nombreuses recrues quand survenait un hiver rigoureux, un chômage, une disette. Celle de 1817 fut surtout terrible; le prix moyen annuel du blé monta à 38 fr. 85 l'hectolitre. Le gouvernement fit venir des blés (1,460,000 bectolitres) de l'étranger, d'Odessa principalement, et dépensa 70 millions; il ouvrit des ateliers de charité ; il fit taxer à Paris le pain au-dessous du prix de revient.

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Mais le secours pallie le mal présent, sans en trancher les racines, et lègue au lendemain les embarras de la veille. On doit exiger davantage d'une société civilisée qui tend au progrès. Bien qu'ils ne se préoccupassent pas très vivement de ces questions que le temps n'avait pas encore posées d'une manière impérieuse, les hommes de la Restauration, dans le gouvernement et hors du gouvernement, tentèrent de louables efforts pour obtenir davantage et pour faire pénétrer dans

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Voir DUCHATEL, de la Charité.

2. Voir, par exemple, la visite faite par Madame aux ouvriers, Moniteur de 1819, p. 329. L'hiver de 1829-1830 fut très rude. La Seine gela deux fois. Le Moniteur, en janvier 1830, enregistre beaucoup de dons faits par la charité. Le roi donna 60,000 francs qui servirent à acheter du pain, du bois, des sabots. Une représentation à l'Opéra fut donnée et un bal au profit des pauvres. Le préfet et les maires envoyèrent 3,000 francs pour prix de leur loge.

3. 62,705 en janvier 1830, dont 11,596 dans le XII arrondissement. Voir Moniteur de 1830, p. 173.

4. Le rapport de la commission des subsistances porte que, sur ces 1,460,000 hectolitres, 1,017,000 furent employés pour Paris, 353,000 pour les départements, 84,000 pour le ministère de la guerre.

la classe ouvrière l'épargne, la prévoyance et l'instruction, trois sources vives auxquelles se trempe la moralité humaine.

La Caisse d'épargne. -- L'Angleterre, qui nous avait devancés sur la route du progrès industriel, avait en plus d'un genre des modèles à proposer à notre imitation. Dans les dernières années du xvine siècle, une femme charitable, Mme Wakefield, avait eu l'ingénieuse pensée de créer une banque des pauvres à l'usages des femmes et des enfants de son village, moins pour faire fructifier leur argent que pour leur fournir un moyen de le conserver; elle avait, dès 1790 (ou 1806), établi à Tottenham (Middlesex) une caisse d'épargne. Plus anciennement même, l'Allemagne avait eu (dès 1765 et 1773), deux caisses créées dans un but semblable; la Suisse, dès 1787. En Angleterre, des caisses furent fondées dans un grand nombre de villes avec un tel succès qu'en 1817 elles tenaient en dépôt 360 millions. Il est difficile pour le pauvre de faire des économies; quand le pain et le gîte payés, il reste encore quelque monnaie dans sa bourse, il croit avoir tant de bonnes raisons pour la dépenser! D'ailleurs il en reste si peu qu'il ne croit guère pouvoir en faire un placement fructueux!

A la campagne, le paysan pouvait enlasser sou sur sou dans l'espérance d'acheter quelque lopin de terre qu'il ambitionnait; rien ne le détournait de cette pensée au milieu du calme dans lequel il vivait, et à moins d'être vicieux, il était facilement économe. Il n'en est pas ainsi en général pour l'ouvrier des villes. Il n'a ni les mêmes racines dans le sol, ni la même espérance, et il est de tous còlés entouré de séductions. Il est bon qu'une âme charitable le dérobe à ses propres tentations, recueille ses épargnes à mesure qu'elles se forment et l'encourage même, par un intérêt quelconque, à les lui confier. C'est l'objet que se proposait la caisse d'épargne. Elle est pour ainsi dire l'école primaire du capital; elle doit, à ce titre, être classée au nombre des plus bienfaisantes institutions qui aient été imaginées pour l'avantage des classes pauvres. Les sommes qu'elle reçoit, elle les soustrait à une consommation non seulement improductive, mais quelquefois pernicieuse. Elle inculque l'habitude morale, quelque modique que soit le présent, de faire la part de l'avenir, et elle forme à la prévoyance des hommes qui, étant les moins riches, ont le plus besoin de cette vertu. Enfin elle aide les gens laborieux à franchir la période la plus difficile de l'existence, celle où, ne possédant rien encore, ils cherchent à créer leur premier capital. Ce n'est pas au chiffre des dépôts existant dans une caisse d'épargne qu'il faut mesurer son importance et ses bienfaits, c'est surtout au nombre des déposants et au total des sommes successivement déposées, qui, en majeure partie, ne lui ont été confiées qu'en attendant un emploi utile.

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Des écrivains firent connaître cette institution en France, 1 et quelques hommes généreux, appartenant presque tous au parti libéral, parvinrent à lui donner droit de cité. Une société anonyme se forma, en 1818, sous le nom de Caisse d'épargne et de prévoyance; elle obtint l'autorisation royale et ouvrit le 1er décembre des bureaux installés sans frais dans le local de la Compagnie royale d'assurances. Benjamin Delessert était le principal créateur de cette société, et le vénérable La Rochefoucauld, que l'on trouvait partout où il y avait une bonne action à faire, en fut le premier président.

« Cette caisse, disait l'acte de fondation, est destinée à recevoir en dépôt les petites sommes qui lui seront confiées par les cultivateurs, ouvriers, artisans, domestiques et autres personnes économes et industrieuses. » Elle recevait en effet toute somme depuis 1 franc, sans fraction de franc, et se chargeait d'administrer les épargnes jusqu'à concurrence de la somme nécessaire pour acheter au dépositaire une rente de 50 francs; chaque versement ne devait pas excéder 300 francs et le compte d'un déposant ne devait pas excéder 3,000 francs. Elle donnait un intérêt variable, fixé au commencement de chaque année, qui, compté par mois, s'ajoutait à la fin de chaque mois au capital. Elle remboursait tout ou partie des fonds déposés, huit jours après avoir été prévenue. Elle présentait de sérieuses garanties; tous ses fonds devaient être employés en achat de rentes; elle était administrée par vingt-cinq directeurs dont les fonctions étaient gratuites et qui étaient pour la plupart au nombre des plus riches capitalistes de

Paris.

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1. Au commencement du XVIIe siècle (1611) un lieutenant civil au siège royal de Troyes, Hugues Delestre, avait rédigé le premier plan du mont-de-piété français qu'il avait dédié à la reine et qui était celui d'une caisse d'épargne; mais ce plan n'avait jamais été exécuté. Vers la fin du règne de Louis XVI, quelques tentatives avaient été faites dans ce sens : bureau d'économies en 1787, compagnie de cumulation en 1788. A l'Assemblée constituante La Rochefoucauld avait dans un de ses rapports demandé l'institution d'une caisse d'épargne (V. livre 1er, ch. 1, p. 70); mais l'institution n'avait pas eu lieu (La caisse Lafarge, quoique dénommée caisse d'épargne et de prévoyance, n'était pas une caisse d'épargne.) La loi du 19 mars 1793 (art. x) portait : « Pour aider aux vues prévoyantes des citoyens qui voudraient se préparer des ressources à quelque époque que ce soit, il sera fait un établissement public sous le nom de caisse nationale de prévoyance sur le plan et l'organisation qui seront déterminés » ; mais il n'y eut pas d'organisation. Les premiers statuts de la Banque de France (24 pluviôse,an VIII) annonçaient l'ouverture d'une caisse de placement et d'épargne; mais elle ne fut pas créée et il n'en est plus question dans les statuts de 1808. Voir le rapport de M. A. DE FOVILLE Sur l'économie sociale, à l'exposition universelle de 1889.

2. L'acte de société est du 22 mai; l'autorisation royale, du 29 juillet 1818 (Moniteur de 1818, p. 1049). Parmi les membres fondateurs qui donnèrent chacun 150 francs de rente à la Caisse pour former son capital de garantie, on comptait Laffitte, Boucherot, Périer, Barillon, Busoni, Lefebvre, Caccia, Guiton, Delessert, Davillier, Vernes, Pillet-Will, Hottinguer, Lainé, Vital-Roux, etc,

3. L'intérêt fut de 5 p. 100 pour la première année,

Les débuts, sans être éclatants, furent de nature à prouver que l'institution réussirait : dans le dernier mois de l'année 1818, quoique la caisse n'ouvrit que le dimanche et le lundi, il y eut 505 versements donnant un total de 54,867 francs. En 1829, le succès était devenu certain dans l'année, 6.278,134 francs furent déposés en 138,722 versements.

L'exemple porta ses fruits. Des caisses furent ouvertes dans treize autres villes. Le gouvernement prêta son appui à cette œuvre,la plus belle de celles qu'une charité intelligente ait inspirées dans cette période. I autorisa les caisses à acheter, au nom des déposants, des coupons de 10 francs de rente, bien que les moindres coupures fussent alors de 50 francs: 3 mesure destinée à sauvegarder, en partie du moins, les caisses qu'une demande considérable de remboursements, en temps de baisse, eût ruinées, si elles eussent été obligées de vendre à vil prix des titres représentant au moment du dépôt et de l'achat des sommes beaucoup plus fortes. La hausse avait aussi des dangers pour des établissements qui, ne faisant aucune spéculation ni aucun bénéfice,désiraient échapper aux fluctuations du marché d'argent; l'État pouvait rembourser à 100 francs des titres achetés au dessus du pair, et causer aux caisses un déficit considérable. Elles obtinrent une seconde ordonnance par laquelle le Trésor s'engagea à prendre en comple courant tous leurs fonds avec intérêt de 4 p. 100. Le maximum du dépôt fut abaissé à 2,000 francs par livret.

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En retenant 1/2 p. 100 pour frais d'administration et en donnant aux déposants un intérêt de 3 1/2 p. 100, la caisse acquit la fixité qu'elle souhaitait. Mais elle liait, ainsi que l'expérience l'a montré plus tard, trop intimement sa destinée à celle du gouvernement. Les

1. A Bordeaux (Ord. du 24 mars 1819), à Metz (Ord. du 17 novembre 1819), à Rouen (Ord. du 30 mars 1820), à Marseille (Ord. du 3 janvier 1821). à Nantes (Ord. du 23 janvier 1821), à Troyes (Ord. du 1er août 1821), à Brest (Ord. du 27 août 1821), au Havre (Ord. du 16 janvier 1822), à Lyon (Ord. du 1er septembre 1822), à Reims (Ord. du 23 avril 1823), à Beaucaire (Ord. du 7 avril 1828), à Nîmes (Ord. du 6 mars 1828), à Rennes (Ord, du 27 janvier 1830).

2. Voici le témoignage que rendait à ce sujet le comte Roy, en 1829: « Parmi les associations formées depuis 1814 dans un but de bienfaisance et d'utilité publique, il en est peu qui aient un objet plus utile que celles qui, en créant des caisses d'épargne et de prévoyance, ont offert des moyens de conservation et d'accroissement aux petites économies des classes peu aisées de la société.» Moniteur de 1829, p. 921.

3. Ordonn. du 30 octobre 1822.

4. Dans le cas d'une demande de remboursement, les caisses restituaient aux déposants leurs titres de rente et n'étaient exposées à perdre que sur les placements inférieurs à 10 francs de rente.

5. Ordonn. du 3 juin 1829. Cette ordonnance les autorisait seulement pour les années 1829 et 1830, mais sans les obliger en rien. « Dans tous les cas, leurs relations avec le Trésor ne sont pas obligatoires. Une liberté entière leur est maintenue. Moniteur de 1829, p. 921.

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