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épargnes des petits se noyèrent dans la dette flottante, et l'État, en assurant à la caisse un intérêt souvent onéreux pour lui, fit légèrement incliner sur la pente de l'assistance publique une institution qui aurait dû n'avoir jamais d'autre cachet que celui de la prévoyance libre, se suffisant à elle-même sous la garantie de l'État, comme dans d'autres

pays.

Mutualité et patronage. - La Société pour le placement des jeunes apprentis fondée en 1821, la Société des amis de l'enfance fondée en 1828, la Société philanthropique tendaient à exercer un patronage plus personnel et déployaient à l'envi leur zèle. La dernière surtout, qui avait commencé son œuvre sous le règne de Louis XVI et qui l'avait continué pendant la Révolution et l'Empire, s'appliquait à stimuler chez les ouvriers le sentiment de la prévoyance, à fonder parmi eux des sociétés de secours mutuels, et réussissait à en faire naître un certain nombre.

A Paris et dans quelques villes de province s'étaient constituées ou reconstituées des confréries ou sociétés d'assistance dont plusieurs étaient, comme avant 1789, composées de gens de la même profession, mais qui n'avaient aucune des attributions de monopole des anciennes communautés d'arts et métiers. Elles semblent avoir été en général composées exclusivement de maîtres ou du moins de bourgeois. Ainsi à Lyon, où le sentiment religieux exerçait une grande influence sur les esprits, les plâtriers, les peigniers, les fabricants d'étoffes de soie, les maîtres veloutiers, les marchands de vin et d'autres avaient demandé, dès la promulgation du Code pénal, l'approbation des statuts de leur confrérie. « Les maîtres qui voudront faire partie de la société, lit-on dans un de ces statuts, doivent se pénétrer que pour y être admis il faut qu'ils se conforment aux principes prescrits par la morale et la religion, et que le devoir des associés est de se faire du bien, de s'aimer comme frères et de ne faire à autrui que ce qu'ils voudraient qu'il fût fait à eux-mêmes. » Le maire de Lyon crut même devoir régler par ordonnance (6 novembre 1822) le régime de ces sociétés, et il les plaça sous une surveillance étroite de la police. La mutualité n'était pas encore organisée sur des données scientifiques; ces sociétés vivaient pour ainsi dire au jour le jour, à Lyon comme à Lille, dépensant chaque année la recette qui provenait des droits d'entrée et des cotisations, ayant des frais d'administration relativement excessifs et célébrant leur fête annuelle dans des banquets trop coûteux. 1

1. Dans un document postérieur (enquête de 1839), on voit qu'à Lyon 82 sociétés de ce genre étaient connues. Les 74 qui donnèrent alors un état de situation comprenaient 3,729 membres et possédaient un avoir de 130,920 francs. Voir Exposition universelle de 1889, Comité départemental du Rhône. Rapports, notes et documents de la section d'économie sóciale et d'assistance, p. 142 et suiv.

La société de secours mutuels était pour les ouvriers et les petits employés une excellente institution que le temps devait développer. Elle était alors à la recherche de ses véritables principes et elle était condamnée à d'autant plus de tâtonnements que la plupart des ouvriers, ne prenant conseil que d'eux-mêmes, promettaient, dans leur inexpérience, plus qu'ils ne pouvaient tenir. Comme les « Mutuellistes » de Lyon, associés en 1827, ils garantissaient, sur la remise d'une modique cotisation, non seulement contre la maladie, mais contre les infirmités, la vieillesse, le chômage. Aussi beaucoup de ces sociétés ne tardèrentelles pas à être débordées par les dépenses et ruinées. Le gouvernement s'en préoccupait peu. Il en fut cependant question deux fois d'une manière solennelle; la première fois, à l'occasion du baptême du duc de Bordeaux, où une distribution de 5,000 francs fut faite le 6 mai 1821 par le préfet, le comte de Chabrol, aux sociétés du département de la Seine, la seconde fois dans un rapport lu à l'Institut sur les caisses d'épargne où, tout en signalant les imperfections présentes, on rendait à l'institution ce juste témoignage: « Le principe de l'assurance mutuelle, qui en forme la base, sera dans l'avenir un des principaux éléments des progrès de la civilisation. » Cependant il s'en forma une centaine à Paris, de 1818 à 1825, en partie sous l'influence de la Société philanthropique; il s'en forma 27 à Lyon; la Société de prévoyance de Metz s'organisa en 1825. En 1852, il existait en France au moins 337 sociétés qui avaient été fondées de 1814 à 1830.

Le clergé ne restait pas inactif. L'esprit de charité, plus que celui de prévoyance, inspirait ses œuvres et le conduisait naturellement au patronage des classes pauvres. L'abbé Legris-Duval fondait ou plutôt restaurait la maison du Bon-Pasteur dans laquelle on admettait, au sortir de l'hôpital et de la prison, les jeunes filles égarées. Les frères et les sœurs de Saint-Joseph pénétraient dans les prisons; à Lyon, ils avaient fondé la « Solitude » pour des femmes qui avaient subi une

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1. DUCELLIER, Histoire des classes laborieuses, p. 368. 2. Voir LAURENT, Soc. Phil. Cependant la caisse de secours des ouvriers mineurs fut organisée sous le patronage du préfet avec les fonds de l'État (27 juin 1817, 28 mai 1818).

3. Un petit nombre seulement de sociétés se présentèrent alors. En leur remettant une médaille commémorative, le préfet de la Seine disait : « Rien ne nous a paru plus digne d'encouragement que les associations de prévoyance,de secours mutuels et d'union formées entre certains ouvriers. » Moniteur de 1821.

4. Le rapport dit qu'il existait alors environ 200 sociétés de ce genre à Paris. Moniteur de 1830, p. 495.

5. Voir le rapport de la commission supérieure des expositions. LAURENT (le Paupérisme, I, 274) montre que le nombre des sociétés existant en 1852 était notablement supérieur au nombre de celles qui se sont fait connaître; un relevé administratif fait en 1820 mentionne 184 sociétés qui se sont fait alors connaître.

6. Fondée en 1821. Voir DE GÉRANDO, de la Bienfaisance publique, t. III, p. 414.

condamnation et la « Providence Saint-Joseph » dans laquelle ils recevaient les jeunes détenus et leur apprenaient à travailler; ils étaient parvenus à faire subsister en grande partie la maison avec les produits de leur travail. A Paris, le curé Desgenettes avait fondé aussi une <«< maison de la Providence » pour les jeunes orphelines, qu'il admettait soit comme internes, soit comme externes, et dont il faisait des ou vrières, des sous-maîtresses, quelquefois des religieuses, selon leur vocation. L'œuvre de Saint-Joseph cherchait à former parmi les ouvriers des associations religieuses en empruntant quelques-unes des formes du compagnonnage; l'institut Saint-Nicolas tentait l'éducation professionnelle dans les faubourgs de Paris. 3 D'autres associations, l'association Sainte-Anne, l'œuvre de Saint-Jean au Gros-Caillou, visaient le même but par des moyens divers.

Il appartient aux classes éclairées de prêter l'appui de leur moralité et de leurs conseils à ceux que le malheur de la naissance ou le défaut d'éducation a laissés sans guide, faibles et ignorants, ou qu'il a déjà pervertis. Le cœur le commande. Sous la Restauration, l'intérêt parlait comme le cœur ; car cette masse d'ouvriers dont le nombre croissait chaque année, pouvait, faute d'une bonne direction, créer des dangers au gouvernement et à la société. Le clergé, qui vit près du peuple, le comprenait, et son zèle avait de bons effets; il en aurait eu de meilleurs si la politique, alors trop mêlée à la religion, n'avait inspiré à l'ouvrier des grandes villes une défiance instinctive pour tout ce qui lui était présenté par la main d'un prêtre.

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L'enseignement mutuel et l'enseignement simultané. La question de l'instruction primaire, négligée sous l'Empire, avait été soulevée durant les Cent-Jours par Carnot et n'était plus retombée dans l'oubli. Deux méthodes se trouvaient en présence.

La Société pour l'encouragement de l'instruction élémentaire en France a été fondée après les événements de 1814; dirigée par des hommes de cœur, comme le baron de Gérando et le comte de Laborde, elle travaillait avec ardeur à propager ses doctrines et à créer des écoles. Il fallait une instruction à bon marché, donnée par un petit nombre de maîtres; car l'argent et le personnel manquaient. L'Angleterre offrait un modèle dans la méthode rapportée, disait on, de l'Inde, et propagée par Bell et par Lancaster'; on la

1. DE GERANDO, de la Bienfaisance publique, t. III, p. 101. 2. Ibid., p. 100.

3. Voir DUCELLIER, Histoire des classes laborieuses, p. 375.

4. L'Anglais Bell (1753-1822), qui avait fait sa fortune dans l'Inde, avait vu dans la campagne de Madras une école où les enfants apprenaient, réunis par groupes dont chacun était dirigé par un élève de là l'idée de sa méthode, « Monitorial system, qu'il appliqua quelque temps en Angleterre (1791-1796) et qu'il essaya de faire connaître par un livre publié en 1798. Un instituteur quaker, Lancaster (1778

nommait méthode d'enseignement mutuel, parce que le maître ne donnait ses leçons directes qu'à un nombre restreint d'enfants, que ces enfants à leur tour, avec le titre de moniteur, groupant en cercle les enfants moins avancés, leur apprenaient, suivant leur propre degré d'avancement, ce qu'ils avaient appris eux-mêmes, pendant que le maître présidait et exerçait la surveillance sur tous les cercles, soit en personne, soit par l'intermédiaire d'un moniteur général. Un instituteur pouvait ainsi tenir sous sa direction plusieurs centaines d'élèves et les occuper tous d'une manière continue en même temps, ce qui lui eût été impossible par la méthode simultanée, et à plus forte raison par la méthode individuelle: de là une grande économie et un avantage considérable. S'il est vrai que l'on ne sache bien que ce qu'on a enseigné, les enfants les plus studieux étaient dans une bonne condition pour s'instruire: la dignité de moniteur soutenait leur zèle; l'espoir de parvenir à cette dignité, le désir d'être inscrit au tableau d'honneur et d'occuper ou de garder un bon rang dans le cercle, classé chaque jour et à chaque exercice d'après le mérite, animait les autres; c'étaient là les avantages du système. Une école mutuelle devait être une petite république gouvernée par l'émulation. Malheureusement il était difficile de faire régner l'ordre dans de pareilles républiques, et le succès de la méthode dépendait d'un zèle et d'une habileté qu'on ne trouvait que chez peu de maîtres Le moniteur, en classant son cercle, avait souvent des préférences et commettait des injustices; c'était un enfant, et il aimait à jouer; l'œil du maître n'était pas partout à la fois, et on était exposé à perdre beaucoup de temps aux changements d'exercice, qui étaient fréquents afin de ne pas fatiguer l'attention, et qui, pour éviter la confusion, se faisaient en cadence, au bruit des chants. La Société pour l'encouragement de l'instruction élémentaire comprit que dans un pays où rien encore n'avait été fondé, les avantages du système mutuel l'emportaient sur les inconvénients, et avec tous les libéraux, elle prècha l'application de la méthode lancas

trienne. 1

1838), appliquait une méthode analogue dans l'école de Southwark, qu'il avait peut-être d'abord empruntée au livre de Bell, et avait publié en 1805 une première brochure à ce sujet ; Lancaster avait 1,000 élèves dans son école qu'il dirigeait sans un seul sous-maître. Les deux pédagogues se disputèrent le mérite de l'invention et les deux églises, celle des anglicans et celle des quakers, rivalisèrent d'ardeur pour faire triompher chacune leur système, fondèrent des écoles et des sociétés (National society fondée en 1811) pour la propagation de la méthode. Lancaster passa en Amérique. Bell dépensa près de 3 millions de sa fortune pour cette œuvre. Il vint à Paris en 1816. Ces deux hommes ont été les promoteurs de l'enseignement mutuel, qui d'ailleurs avait été déjà pratiqué avant eux, dès le xvr® siècle par Valentin Friedland, en France par Jacqueline Pascal, par Mme de Maintenon à Saint-Cyr, par Herbaut à la Pitié en 1747, par Paulet sous Louis XVI. Voir dans le Dict. de pédagogie, les mots Bell, Lancaster, Enseignement mutuel.

1. Voir entre autres ouvrages, Guide des fondateurs et des maitres pour l'établis

A l'exemple de l'Angleterre, la Société pour l'instruction élémentaire ouvrit en 1820-21 deux écoles d'adultes « pour les sujets qui dans leur enfance ont été privés des avantages de l'instruction ». Il en existait déjà dans le Haut-Rhin et la Moselle; il s'en ouvrit quelques autres à Bourg-la-Reine, à Maison, à Troyes, à Marseille, à Paris, à Lyon. En 1830, avant la révolution, Paris comptait douze écoles d'adultes donnant l'instruction à près de 200 hommes et à autant de femmes. A Lyon, la Société pour l'instruction élémentaire du Rhône, qui fondait des écoles en concurrence avec l'enseignement des frères, fut reconnue d'utilité publique en 1829. '

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Les congrégations, dans leurs écoles, recommandaient le système de l'enseignement simultané tel que l'avait réglé l'abbé de La Salle avec un mélange d'enseignement individuel. Les frères de la doctrine chrétienne, qui devaient être au moins trois, dont deux chargés de l'enseignement, dans chaque école, furent invités au début à adopter cette méthode; ils ne pouvaient y adhérer; chaque frère instruisait seul ses élèves qui écrivaient tous sous sa dictée et répétaient ses leçons, soit ensemble, soit successivement. Les enfants n'exerçaient aucune action les uns sur les autres ; toute l'instruction tombait des lèvres du maître. Ce système, qui laissait l'autorité intacte, pouvait donner de meilleurs résultats quand le nombre des maîtres était assez grand pour que chaque classe eût le sien et ne fût composée que d'élèves de même force. Mais ce n'était pas le cas ordinaire, surtout dans les écoles laïques, et on pouvait reprocher au système le double inconvénient d'occasionner plus de perte de temps encore que son rival, les enfants restant une partie de la journée sans direction, et d'exiger un personnel beaucoup plus nombreux.

Dans la réalité, le plus grand nombre des écoles primaires de France, dirigées par des maîtres peu éduqués, ne suivaient ni l'une ni l'autre

sement et la direction des écoles élémentaires de l'un et de l'autre sexe, basés sur l'enseignement mutuel, avec des gravures et des tableaux, Paris, 1816, et Précis de la méthode d'enseignement mutuel pour les nouvelles écoles élémentaires, par NYON membre de la Société d'enseignement élémentaire, Paris, 1816.- Vingt après Cousin qualifiait la vogue pour l'enseignement mutuel de « popularité déplorable ».

1. Exposition de 1867, Groupe X. Rapport de POMPÉE, p. 191. Cependant Odilon Barrot, après la révolution de Juillet, ne trouvait à Paris que 10 écoles d'adultes avec 351 élèves.

2. Lorsque le comte de Chabrol, alors préfet du Rhône, proposa au supérieur général des frères des écoles chrétiennes d'adopter le système mutuel, celui-ci répondit: Si nous enseignons la lecture, l'écriture, le calcul, etc., c'est pour attirer les enfants aux instructions sacrées de la religion: voilà notre but suprême. Tout le reste, séparé de ce but, n'est rien pour nous. Or, dans le plan proposé, non seulement nous ne voyons pas que la religion domine, mais nous y apercevons une opposition directe à nos principes, une subversion totale de nos règlements, sans lesquels cependant nous ne pouvons pas exercer en corps religieux. » Cité par F. DE RESBECQ, l'Enseignement primaire catholique, p. 37.

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