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méthode et pratiquaient ce qu'on a appelé la méthode individuelle qui est pour ainsi dire l'absence de méthode et qui consiste à faire travailler chaque enfant l'un après l'autre ou à peu près.

Le clergé se prononça énergiquement contre la méthode qui venait d'un pays protestant et qui se présentait en concurrence avec la sienne. L'enseignement mutuel et l'enseignement simultané devinrent des questions de partis, et l'on mit dans une discussion de discipline scolaire toute l'âpreté des débats politiques, les uns accusant les écoles ecclésiastiques d'organiser l'obscurantisme, les autres dénonçant les écoles mutuelles comme des foyers d'immoralité où l'enfant apprenait à secouer le joug de l'autorité et de la religion. 2

La politique du gouvernement à l'égard des écoles: libéraux et congréganistes. Les deux influences se balançaient alors dans les conseils généraux. 3

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Le gouvernement inclina, selon l'opinion des ministres. vers l'un ou l'autre système.

Sous la première Restauration, Louis XVIII, voulant « répandre le bienfait de l'instruction dans toutes les classes de la société » et « rappeler l'éducation nationale à son véritable objet qui est de propager

1. Dans une circulaire du 31 janvier 1829, Vatimesnil, le premier ministre de l'instruction publique, annonce que des récompenses ne seront données aux anciens instituteurs ou l'exemption du service militaire aux nouveaux que s'ils appliquent soit le mode mutuel, soit au moins le mode simultané. Le mode individuel a été interdit par une autre circulaire du 13 décembre 1830 après la révolution de Juillet.

2. Voici comment, dans une discussion de la Chambre, s'exprimait à ce sujet un député de la droite: «S'il est vrai qu'un enfant de six ans puisse par cette méthode pour laquelle il est sans cesse en mouvement et jase sans cesse, apprendre à lire et à écrire en un an, c'est de l'instruction, non de l'éducation... Si au contraire on les assujettit à la discipline, au silence, à la subordination... » et il concluait en faveur de l'enseignement des frères. Moniteur de 1821, p. 855 et 859. Partisans et adversaires, emportés par l'ardeur de la lutte, étaient enclins à dépasser la mesure dans l'éloge et dans la critique. « Heureuse combinaison qui, ainsi que nous avons eu lieu de l'observer, disait un orateur dans la séance de la Société pour l'instruction élémentaire du 10 janvier 1816, fait du travail un jeu, de la science une lutte, de l'autorité une récompense. » — « Cette méthode, disait un Allemand, faisant tout reposer sur le principe de l'émulation, s'inquiétant peu des dangers qui peuvent résulter de cette excitation systématique de l'amour-propre et de la vanité des enfants, devait produire cet esprit d'inquiétude qui laisse dans toutes les têtes un mécontentement vague, tant qu'on voit quelqu'un au-dessus de soi. » Cité par FONTAINE DE RESBECQ, l'Enseign. prim. catholique, p. 31.

3. Ainsi dans la session de 1817, la Marne, la Lozère, la Meurthe, la Sarthe, l'Oise, l'Indre, la Gironde demandaient l'enseignement mutuel; l'Allier voulait « charger les seules corporations religieuses de l'enseignement des deux sexes »; les BassesAlpes demandaient le rétablissement des frères; la Côte-d'Or voulait que l'instruction leur fût confiée; le Vaucluse voulait qu'on remit l'instruction publique « à des corps religieux », il s'élevait contre le système qui tend à propager les lumières de l'instruction dans les classes inférieures de la société et il dénoncait « les résultats fåcheux qu'il produisait pour l'agriculture », Moniteur de 1817.

les bonnes doctrines, de maintenir les bonnes mœurs »>, affecta à ce service un million sur sa cassette.

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Durant les premières années de la seconde Restauration, l'Université, constamment menacée, n'avait plus de grand-maître et était administrée par une commission provisoire. Mais Royer-Collard en était président, et sincèrement désireux d'améliorer « l'instruction du peuple des villes et des campagnes », cet homme éminent, suivant le conseil de Cuvier, fit rendre l'ordonnance du 29 février 1816 qui resta jusqu'en 1824 le code des écoles élémentaires en France. Cette ordonnance exigeait que toute commune pourvût au moyen de donner l'instruction primaire à ses enfants et à l'entretien de l'instituteur, que l'instituteur fût muni d'un brevet de capacité, de trois degrés, que les garçons et les filles fussent séparés; elle créait des comités cantonaux pour encourager l'enseignement, comités composés du curé cantonal, du juge de paix, du principal du collège et de trois ou quatre autres personnes nommées par le recteur et chargeait les curés ou pasteurs et les maires de la surveillance spéciale des écoles. Aux prescriptions de l'ordonnance, le roi avait de sa main ajouté un article portant allocation sur le budget d'un fonds annuel de 50,000 francs destinés « soit à faire composer et imprimer des ouvrages propres à l'instruction populaire, soit à établir temporairement des écoles-modèles dans les pays où les bonnes méthodes n'ont point encore pénétré, soit à récompenser les maîtres qui se sont distingués par l'emploi de ces méthodes. *» Quelques mois après, Royer-Collard autorisa l'usage de l enseignement mutuel dans les écoles; puis il établit lui-même des écolesmodèles dans vingt-quatre départements et créa des examens spéciaux pour constater la capacité des maîtres."

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1. Voir Mémoires de Guizoт, t. III, p. 57.

2. Législation de l'enseign, primaire en France, par M. GRÉARD, t. I, p. 79 et suiv. 3. « Nous étant fait rendre compte de l'état actuel de l'instruction du peuple des villes et des campagnes dans notre royaume, nous avons reconnu qu'il manque, dans les unes et dans les autres, un très grand nombre d'écoles ; que les écoles existantes sont susceptibles d'améliorations importantes. Persuadé qu'un des très grands avantages que nous pouvons procurer à nos sujets est une instruction convenable à leurs conditions respectives; que cette instruction, surtout lorsqu'elle est fondée sur les véritables principes de la religion et de la morale, est non seulement une des sources les plus fécondes de la prospérité publique, mais qu'elle contribue au bon ordre de la société, prépare l'obéissance aux lois et à l'accomplissement de tous les genres de devoir.... » Préambule de l'ordonn, du 29 février 1816. 4. Voir le Moniteur de 1816.

C'est CUVIER qui, dans un discours à la Chambre, dit que cet article était de la main du roi. Moniteur de 1821, p. 857.

5. En 1817 et en 1818. Voir le Rapport au roi sur la situation de l'instruction primaire, au 1er janvier 1843. En 1817 la commission de l'instruction publique arrêta qu'il y aurait une école mutuelle dans chaque académie et affecta à cet effet une somme de 16,000 francs. Moniteur de 1817, p. 847.

6. Voir le rapport du comte LABORDE, Secrétaire général de la Société pour l'instruction élémentaire. Moniteur de 1816, p. 47.

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La nouvelle méthode se propageait. L'école-modèle, fondée à Paris dans le bâtiment de l'ancien collège de Lisieux et dirigée par Martin, formait non seulement des élèves, mais des maîtres. Les préjugés de quelques instituteurs se dissipaient. En 1818, l'Académie proposa pour sujet du concours de poésie: « Les avantages de l'enseignement mutuel ». De bons livres élémentaires étaient composés. Des sociétés se formaient dans les départements à l'image de la société de Paris" et les écoles se multipliaient. On comptait déjà, en 1817, environ 100 écoles mutuelles renfermant dix à douze mille élèves.

L'appui du président de la commission provisoire avait favorisé cet essor. Celui du comte Decazes, devenu le plus influent des ministres, fut plus efficace encore. « Tous les bons esprits, disait-il à la fin de 1818 dans un rapport au roi, ont été frappés des avantages que présente la nouvelle méthode d'enseignement connue sous le nom d'Enseignement mutuel. Ce qui était en question, il y a deux ans, a aujourd'hui toute la force d'une chose examinée et jugée. »7

L'année suivante, il rappelait aux préfets que l'ordonnance du 29 février 1816 s'appliquait aux congréganistes comme aux laïques, et qu'en conséquence, il fallait, des uns comme des autres, exiger le brevet. *

Les congréganistes résistèrent, et le clergé livra dans les départements des batailles acharnées aux partisans du système lancastrien. Aux écoles mutuelles, dont le nombre, à la fin de 1820, s'était élevé à

1. D'après le rapport de LABORDE, cette école avait en 1816 200 élèves : elle était entretenue aux frais de la ville de Paris qui possédait quatre autres écoles mutuelles, dont une de filles. La plus renommée de ces écoles était celle de la Halle aux draps. M. SARRAZIN et Mile SAUVAN formaient dans des cours normaux des membres pour l'enseignement mutuel. Dans le département du Nord la première école fut créée par la Société des mines d'Anzin en 1817.

2. Les instituteurs craignaient, dit Laborde, que cette méthode n'eût pour résultat de diminuer leur importance et leur nombre.

3. Moniteur de 1818, p. 1075.

4. Entre autres Simon de Nantua par JusSIEU, qui est resté pendant une génération un des meilleurs livres de lecture des écoles.

5. Société de Marseille; société de la Seine-Inférieure, avec le préfet et le recteur comme membres honoraires, etc. Moniteur de 1818, p. 1247 et 1499. Moniteur de 1819, p. 22, 128, 364.

6. Moniteur de 1817, p. 490. C'est à ce propos que le rapporteur répétait ces sages paroles de La Rochefoucauld: « C'est peu sans doute en proportion de ce qui reste à faire; mais une sage lenteur est nécessaire à un succès solide, qui ne doit être, comme l'a fort bien dit M. le duc de La Rochefoucauld, que le fruit de la conviction. >>

7. Moniteur de 1818, p. 1499.

8. La congrégation des frères de la doctrine chrétienne avait défendu à ses membres de se pourvoir du brevet. J'ai, dit le ministre, « la certitude que les frères... se présenteront au recteur de l'académie pour recevoir de lui, sur le vu de leur lettre d'obédience, le brevet et l'autorisation... » Circul. de mars 1819, Moniteur de 1819, p. 321.

1,073, ils opposaient les écoles des frères. En 1817 l'abbé La Mennais fondait à Saint-Brieuc l'ordre des frères de La Mennais qui ouvriraient des écoles en Bretagne. L'instruction profita de cette concurrence qui attira, en quatre ans, 257,000 enfants de plus dans les classes. 2

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Lorsque le comte Decazes fut tombé, la droite, sentant sa force, porta le débat au sein de la Chambre des députés. En 1821, la commission du budget proposa la suppression des 50,000 francs, qui, d'après elle, n'étaient guère employés qu'à soutenir l'enseignement mutuel. 3 Méthode vide, disait un orateur qui n'est prònée que dans le but « d'enlever l'instruction du pauvre aux ministres de la religion ». « Presque tous les hommes religieux et monarchiques, disait Cornet d'Incourt, sont effrayés de la direction donnée au nouveau mode d'instruction. * » L'avocat Piet fut plus violent. « Qu'a-t-on fait, s'écriait-il, depuis l'ordonnance de 1816? Les frères des écoles chrétiennes ont été assujettis à prendre un diplôme de l'Université, malgré leurs statuts, et ils ont été inquiétés sous la loi du recrutement 5... Les faits en ont été au point que dans notre cabinet de jurisconsulte, nous avons été obligé de dire au directeur général: Vous n'avez qu'un moyen à prendre : c'est de vous aller jeter aux pieds du roi ou de sortir de France!... Les frères n'apprennent pas seulement aux enfants à lire, à écrire, à calculer; ils leur apprennent leurs devoirs de chrétien; ils leur donnent la leçon si utile au pauvre qu'ils seront récompensés dans une autre vie de leurs souffrances dans cette vie terrestre; ils leur apprennent qu'ils ont une ressource immuable dans la Providence et que dans le ciel il est un Père qui veille constamment sur eux. »

La droite et le centre accueillirent ce discours par de vifs applaudissements. Le ministère, plus sage, chercha en vain à montrer qu'il s'agissait non pas de favoriser une méthode au détriment de l'autre, mais de propager par tous les moyens l'instruction dans un pays dont, au XIXe siècle, 25,000 communes, sur un total de 37,000, étaient encore dépourvues d'écoles. « Quand on compare, disait le vicomte

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1. D'après Cuvier, les écoles de frères se seraient élevées dans la même période de 60 à 187 et le nombre des villes ayant des écoles aurait passé de 17,000 à 24,000. Moniteur de 1821, p. 857.

2. Moniteur de 1821, p. 857.

3. Delatot prétendit que 40.000 francs étaient donnés aux écoles mutuelles, et le reste aux autres écoles, congréganistes ou non; il ne fut pas contredit. Moniteur de 1821, p. 857.

4. Moniteur de 1821, p. 856. Cornet d'Incourt affirmait que, sur 44,000 communes (nombre exagéré), il y en avait 25,000 qui n'avaient aucun moyen d'instruction. Il trouvait la somme de 50.000 francs trop faible; ce qu'il critiquait, c'était l'emploi. 5. Ce qui n'avait pas lieu sous l'administration du comte de Fontanes. 6. Moniteur de 1821, p. 858.

7. Ce sont au moins les chiffres donnés par Cornet d'Incourt, qui d'ailleurs blâ

Lainé, la somme de plus de 2 millions dans un chapitre, de plus de 1,700,000 francs dans un autre, affectée aux collèges royaux, à la haute éducation, à l'Institut, aux beaux-arts, il est naturel de s'affliger d'entendre proposer la suppression de la somme de 50,000 francs pour le soutien de l'instruction primaire. »

Pasquier, qui tenait encore le portefeuille des affaires étrangères et qui était constamment sur la brèche pour soutenir les assauls livrés au cabinet, parla avec le même bon sens et fit voir l'impérieuse nécessité de l'enseignement populaire dans la France moderne. << Considérez l'état de la société, voyez les changements qui se sont opérés dans vos mœurs, dans vos habitudes. L'homme pour lequel, il y a un siècle ou deux, il était presque indifférent de ne savoir ni lire ni écrire, est aujourd'hui, s'il manque de cette faculté, dans la situation la plus pénible. Il se trouve dès lors repoussé, par la force des choses, de presque tout ce qui peut contribuer à son bien-être, à son bonheur; je dirai plus: il manque souvent, par cela seul, des moyens de pourvoir à sa subsistance. Jugez-en, messieurs, par ce qui se passe journellement chez vous-mêmes, dans vos propres maisons. Par une conséquence nécessaire de nos habitudes, ou si vous l'aimez mieux, de notre luxe, nous exigeons de tous les hommes qui nous approchent, pour première condition, de savoir lire et écrire. Pardonnez-moi cet exemple, il se prend dans une classe fort nombreuse, dans celle de la domesticité. Je vous le demande, il y a cent ans, s'informait-on si un domestique savait lire et écrire ? Voudrait-on maintenant un domestique qui ne sût ni lire ni écrire? Eh bien ! ce que nous demandons dans l'intérieur de nos maisons, il n'y a pas de chef d'atelier public, pas de cultivateur intelligent qui ne le demande à l'homme qu'il doit employer; il n'y en a pas un qui ne préfère l'homme qui sait lire et écrire à celui qui ne sait ni lire ni écrire. (Voix à droite : Non! non!... Voix à gauche et au centre: Oui! oui !) Dès lors, je ne dis pas seulement que c'est un devoir de procurer aux hommes cette faculté, je dis qu'il y aurait barbarie à la refuser, quand on a des moyens de la pro

curer. 2 »

Le crédit fut voté; mais les ministres, désagréables à la droite, durent bientôt céder la place à l'influence exclusive des comtes de Villèle et de Corbière. La lutte continua au sein des conseils généraux; les uns soutenant les congrégations, réclamant contre la rétribution universitaire et demandant que l'enseignement de tout degré fût

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mait l'enseignement mutuel et se montrait peu soucieux de l'exactitude lorsqu'il disait que la France comptait 44,000 communes.

1. Moniteur de 1821, p. 854.

2. Moniteur de 1821, p. 855.

3. De 1821 à 1826 huit ordonnances autorisèrent dans 14 départements des congrėgations enseignantes. Mémoires de Guizor, t. III, p. 58.

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