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confié à des congrégations religieuses; les autres défendant l'enseignement mutuel, votant même des fonds et déplorant les atteintes. portées par le gouvernement lui-même à l'instruction populaire. 1

En effet, l'instruction avait été intimement liée, en 1824, aux affaires ecclésiastiques par la création d'un nouveau ministère, et l'ordonnance du 8 avril 1824, en supprimant l'autorité des préfets et des comités cantonaux, avait directement mis les instituteurs dans la main des évêques. L'enseignement mutuel fut suspecté, inquiété; et, quelque énergie qu'il mît à se défendre, il perdit la plus grande partie de ses écoles. Celles des frères et des sœurs augmentèrent en nombre; en affichant la gratuité pour tous, et en se classant parmi les établissements de charité, elles éloignaient ceux auxquels une apparence d'aumône répugnait.'

Le ministère Martignac et l'ordonnance de Guernon-Ranville. — En 1828, sous le ministère Martignac, l'Université et l'enseignement mu

1. En 1821, les frères sont demandés ou encouragés par les départements suivants: Allier, Basses-Alpes, Hautes-Alpes (appeler les frères en les invitant à se servir de la méthode mutuelle), Aude, Bouches-du-Rhône, Charente (le département donne 10,000 fr. pour les frères), Eure (le département donne 20,000 fr. pour établir les frères à Evreux), Landes (appeler les frères pour établir la concurrence), Maine-et-Loire, Nièvre (donne 5,000 fr. pour avoir une école de frères dans chaque arrondissement), Oise, Orne, Pyrénées-Orientales, Sarthe, Deux-Sèvres, Tarn, Var, Vendée, Vienne. La plupart demandent en même temps la suppression de la rétribution universitaire. Plusieurs désirent, comme les Deux-Sèvres, qu'on encourage à la fois les deux méthodes. En 1822, 24 départements demandent qu'on confie l'instruction publique à des congrégations. -- En 1823, sur la demande du conseil général de la Seine-Inférieure, fut créée à Rouen une école normale pour les instituteurs laïques dirigée pour les frères des écoles chrétiennes. En 1824, 9 départements demandent des écoles de frères. En 1826, 22 départements demandent des frères. A cette époque, la direction avait été confiée aux évêques; la Haute-Marne, la Seine-Inférieure, Seine-et Oise, l'Yonne, l'Aisne, Eure-et-Loir, le Gers demandent le rétablissement des comités cantonaux ou de l'autorité rectorale. En 1828, sous le ministère Martignac, les congrégations enseignantes ne sont plus réclamées que par 7 départements; l'Ardèche insiste pour une « éducation religieuse et monarchique, seule garantie de la tranquillité et de la durée de la société ». Parmi les 7 départements, le procès-verbal des Bouches-du-Rhône constate que les congrégations y sont demandées par 10 voix contre 9. Quelques départements repoussent les écoles normales; d'autres en demandent. Voir plus loin, en note, la loi du 25 mai 1825 sur les congrégations de femmes.

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2. A Paris, la distribution des prix, qui réunissait toutes les écoles, se faisait avec solennité; la Société en profitait pour chercher à recruter de nouveaux membres. En 1826, il y avait 19 écoles mutuelles à Paris, avec 3,880 élèves et 1,114 dans le reste du département de la Seine. Moniteur de 1826, p. 1564. En 1827, le duc d'Orléans en fonda une à Neuilly où était sa résidence. Moniteur de 1827, p. 1253. 3. 700 écoles mutuelles disparurent. Rapport au roi sur la situation de l'instruction primaire au 1er janvier 1828, p. 5.

4. A Paris, on comptait, en 1826, 40 écoles de charité pour les garçons, 40 écoles pour les filles; le total des enfants de l'un et de l'autre sexe qui les suivaient était de 12,125.

tuel, dont la fortune était liée à celle des idées libérales, reprirent faveur. L'Université recouvra un grand-maître et un chef éclairé dans Vatimesnil, des professeurs éminents et regrettés dans Guizot, Cousin, Villemain, et elle fut autorisée à exercer sa surveillance sur une partie des petits séminaires. L'instruction primaire fut remise sous l'autorité académique et soumise à la surveillance d'un comité mixte composé de neuf membres, un membre du clergé, le maire, etc., de manière à établir une sorte d'équilibre entre l'autorité ecclésiastique et l'autorité laïque. Le vingtième du produit de la rétribution universitaire devait être employé pendant cinq ans aux besoins de l'enseignement primaire. Cet enseignement, encouragé, se développa de nouveau.

La tentative d'une conciliation entre le libéralisme et la royauté échoua. Mais l'élan était devenu tel, que Guernon-Ranville, ministre de l'instruction publique dans le cabinet Polignac, imitant ses collègues qui cherchaient à ressaisir l'opinion par le développement des travaux publics ou par des victoires, résolut de donner satisfaction aux besoins de son temps. Rappelant que l'instruction primaire avait été un des premiers et des plus touchants bienfaits de la Restauration », il rendit l'ordonnance du 14 février 1830 qui devait l'étendre à toutes les communes et en assurer la durée.

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« Sire, disait-il, ce bienfait a été grand; mais il est loin de répondre aux besoins de tous vos sujets; il est loin de satisfaire le vœu le plus cher de votre cœur. Beaucoup de communes sont privées de tout moyen d'instruction; d'autres ne sont pas sans alarmes sur l'existence future des écoles qu'elles possèdent; il en est dont la population demande un genre d'instruction plus relevé. Enfin, le sort des instituteurs appelle aussi l'intérêt de Votre Majesté. » En conséquence, les écoles seront divisées en trois classes et le minimum du traitement des instituteurs sera fixé par le conseil général; les conseils municipaux seront appelés à délibérer sur le traitement de l'instituteur, sur la fondation d'écoles, sur la rétribution scolaire et sur les admissions gratuites. Les communes pauvres s'entendront avec les communes voisines; les conseils généraux interviendront au besoin pour seconder les plus dépourvues de ressources, et l'État pourra affecter à ce service le vingtième de la rétribution universitaire. Cette ordonnance fondait l'instruction primaire en France. Les conseils municipaux devaient, dans la session prochaine de mai, délibérer sur les moyens de pourvoir aux dépenses.

1. Ordonn. du 21 avril 1828. L'ordonnance porte que les instituteurs ne pourront être privés de leur brevet que par décision du conseil académique; qu'à l'égard des frères (art. 10) le recteur remettra à chacun d'eux un brevet de capacité sur le vu de sa lettre d'obédience.

2. Moniteur de 1830, p. 183.

3. Déjà l'allocation budgétaire avait été portée de 50,000 francs à 100,000 pour 1829, à 300,000 pour 1830.

Mais une ordonnance n'avait pas le pouvoir d'obliger les communes en matière d'impôt et l'argent était le nœud de l'affaire. Les 300,000 fr. somme inscrite au budget de 1830 pour l'instruction primaire, ne pouvaient servir qu'à quelques encouragements. D'ailleurs l'ordonnance vint trop tard. La révolution de Juillet emporta la monarchie, et avec elle le projet de Guernon-Ranville que les conseils généraux n'avaient même pas eu le loisir de discuter. Sans la révolution l'ordonnance aurait pu être suivie d'une loi et le comte de Guernon-Ranville aurait eu l'honneur,qui est échu à Guizot, d'être le premier organisateur de l'enseignement primaire en France.

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Les salles d'asile. Les salles d'asile, qui font partie de l'instruction populaire quoiqu'elles n'aient été rattachées que plus tard au ministère de l'instruction publique, commencèrent aussi à apparaître durant cette période. Au xvII° siècle, le pasteur d'un village des Vosges, Oberlin, avait imaginé de réunir, sous la garde de conductrices, des enfants en bas-âge que leurs parents ne pouvaient pas surveiller. L'Angleterre avait adopté cette idée, si conforme aux besoins de sa population ouvrière, et cinquante de ses villes possédaient déjà des salles d'asile lorsque le baron de Gérando fit connaître cette utile institution. Une femme qui se dévoua à sa propagation, Mme Millet, alla en Angleterre étudier le mécanisme de l'institution, et les premières salles d'asile furent créées à Paris par Cochin, en 1827. Mais le clergé se défiait des emprunts faits à la protestante Angleterre, et les salles d'asile sortirent à peine des ténèbres sous la Restauration. Le Conservatoire des Arts et Métiers. Le comte Decazes rendit pendant son ministère un service signalé à l'instruction des classes laborieuses. Par l'ordonnance du 26 novembre 1819, il transforma ou plutôt compléta le Conservatoire des Arts et Métiers, fondé sous la République, en y introduisant, à l'instigation du baron Ch. Dupin qui avait été témoin en Angleterre des efforts faits pour développer l'instruction professionnelle, un enseignement nouveau. Le ministre voulait, à la petite école qui avait beaucoup décliné depuis la chute de l'Empire, ajouter « un enseignement public et gratuit pour l'application des sciences aux arts industriels », qui permit au Conservatoire « d'atteindre complètement le but de sa fondation ». « Le Conservatoire des Arts et Métiers, disait l'ordonnance, a rendu depuis son institution d'importants services, mais il y a manqué jusqu'ici une haute école d'application des connaissances scientifiques au commerce et à l'industrie. Voulant pourvoir à ces besoins, remplir le vœu des hommes éclairés et contribuer de notre pouvoir aux moyens d'accroître la prospérité nationale... Article 1er. Il sera établi au Conservatoire des Arts et Métiers un enseignement public et gratuit pour l'application des sciences aux arts industriels. » En conséquence trois chaires furent créées, une de mécanique qui fut confiée (2 décembre 1819) au

baron Ch. Dupin, une de chimie industrielle à Clément Désormes, une d'économie industrielle à Jean-Baptiste Say, « ancien manufacturier ». Les trois professeurs auxquels on donnait la parole étaient alors défenseurs de la liberté commerciale, au moment même où le système protectionniste se fortifiait dans la Chambre. Douze bourses triennales furent fondées pour être affectées à des « jeunes gens peu fortunés ayant des dispositions pour les arts industriels ». Un conseil d'administration fut institué et composé d'un président, pair de France. inspecteur (c'était le duc de la Rochefoucald), de l'administrateur el des trois professeurs, et un conseil de perfectionnement, composé, outre les cinq membres susdits, de six membres de l'Académie des sciences (Berthollet, Chaptal, Mirbel, Gay-Lussac, Arago, Molard) et de six manufacturiers, négociants ou agriculteurs (Ternaux, Darcet, B. Delessert, Scipion Perrier, Widmer de Jouy, Welter).

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Les cours ouvrirent le 25 novembre 1820. Le 2 décembre, le baron Charles Dupin fit sa première leçon, dans laquelle il montra l'importance de l'instruction et particulièrement de l'étude des sciences appliquées pour la classe ouvrière. « On a prétendu que les simples ouvriers employés dans les arts mécaniques ne devaient recevoir que les moindres notions sur tout ce qui pourrait développer leur esprit, exercer leur intelligence et faciliter leur mémoire. On a regardé presque avec horreur, et comme un progrès abominable, l'idée de montrer à lire, à écrire et surtout à compter aux ouvriers. Comme s'ils pouvaient devenir moins bons artisans en acquérant des moyens meilleurs

1. Nous avons parlé déjà de J.-B. Say. Clément Désormes était un chimiste distingué. Ch. Dupin fut, à cette époque, un des plus ardents promoteurs de toutes les institutions favorables à la classe ouvrière. Il avait débuté sous l'Empire (Voir Discours et leçons sur l'industrie, le commerce, etc., 2 vol. in-8, 1825). Il poussa ses camarades de l'Ecole polytechnique et les manufacturiers à ouvrir des cours dans les provinces. « En rendant plus heureuse la masse du peuple, nous lui rendons plus cher l'état social où l'a placé la Providence », t. II, p. 160. Il publia (1827), par livraisons à 75 centimes, le Petit producteur français, dans lequel il démontra, entre autres vérités, l'erreur de la balance du commerce et s'égaya aux dépens de « M. Prohibant ». - (l Vous raisonnez en jeune homme, répartit M. Prohibant. Lorsque vous aurez mon âge, vous aurez eu le temps d'apercevoir les bienfaits du privilège; et pour peu qu'il vous favorise, vous verrez, mon cher monsieur Lefranc, à quel point il est agréable et légitime. » << Mais, monsieur Prohibant, çe ne peut jamais être que le petit nombre qui savoure ainsi les agréments du privilège et des prohibitions; par conséquent, le plus grand nombre des citoyens, la masse, en souffre toujours. >> - «Faites-moi le plaisir, repartit M. Prohibant avec un air très capable, de ne prononcer jamais devant moi les noms de masse et de citoyens cela sent la révolution. » Le Petit producteur, IV partie, p. 54. 2. Ordonn. du 25 novembre 1819. Voir Recueil des lois, décrets, ordonnances, arrélés, décisions et rapports relatifs à l'origine, à l'institution, à l'organisation et à la direction du Conservatoire des Arts et Métiers et à la création des cours publics de cet établissement. Imprimerie nationale, 1889.

de connaître ce qu'ils ont fait, ce qu'ils font et ce qu'ils ont à faire ! ...'» Il ajoutait que pour les chefs et les sous-chefs surtout, il importait d'avoir des connaissances scientifiques sur les procédés de leur métier. Il se promettait de mettre à leur portée les problèmes de la mécanique et il tint parole. Plus de 600 personnes assistaient, dit-on, à cette lecon.

En 1829, une chaire de physique appliquée aux arts fut créée et confiée à Pouillet. Le Conservatoire des Arts et Métiers devint la Sorbonne de l'industrie. Il eut pour mission non seulement de répandre les connaissances générales de la science sur lesquelles sont fondés les procédés de l'industrie et de l'art agricole, mais d'étudier les plus importants de ces procédés, de faire connaître les documents et les perfectionnements, et de stimuler par là l'esprit d'invention.

L'idée de cours populaires des sciences appliquées se propageait. Ch. Dupin stimulait ses camarades de l'école polytechnique. A Metz où ils se trouvaient en grand nombre à l'école d'application, Bergery, Poncelet, Woizard, Bardin ouvraient des cours; Morin à Nevers, Tabareau à Lyon, les ingénieurs de la marine dans les ports. « Plus de 50,000 artisans des villes maritimes, lisait-on dans un rapport, suivent avec assiduité les cours dont l'effet sera de substituer les leçons d'une théorie et d'une pratique éclairée aux procédés de la routine.3» Par une circulaire de novembre 1825, le ministre de l'intérieur invita les préfets à provoquer la fondation dans les villes, aux frais du budget communal, de cours d'application de la géométrie et de la mécanique aux arts industriels, comme celui du baron Dupin. En 1826, des cours de cette espèce étaient professés dans trente-trois villes.

L'école centrale des arts et manufactures. L'enseignement industriel donna lieu à d'autres fondations pendant cette période. Les écoles d'arts et métiers avaient été maintenues; 'en 1826, le nombre des places au concours fut porté de 500 à 600 et les programmes furent remaniés. * A Paris fut fondée en 1822, sous la direction de A. Blanqui, l'École supérieure de commerce; en 1829, des savants, Dumas, Lavallée, Olivier, Peclet, réunirent un capital d'environ 200,000 francs et fondèrent l'École centrale des arts et manufactures qu'ils destinaient à former par un enseignement scientifique et technique des mécaniciens, des

1. Discours et leçons sur l'industrie, le commerce, la marine et sur les sciences appliquées aux arts, par le baron Ch. DUPIN, t. II, p. 13. Dans son douzième discours (p. 149), Ch. Dupin a tracé le plan de son enseignement.

2. En 1822 la grande salle fut construite pour contenir le nombreux auditoire. 3. Voir le rapport sur l'enseignement, Exposition de 1867, Xe groupe, p. 312. 4. Ordonn. du 26 avril 1817.

5. Ordonn. du 31 décembre 1826.

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