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constructeurs, des métallurgistes, des chimistes et à donner à cet enseignement la sanction de diplômes d'ingénieur et de brevets de capacité; cette école allait devenir, à côté de l'école polytechnique, et non sans quelque esprit de rivalité, une des grandes institutions pédagogiques de la France.

En province, le préfet du Bas-Rhin demandait dès 1819 la création. d'un cours de dessin à Mulhouse; l'année suivante un cours de chimie pratique s'ouvrait à Strasbourg, à l'usage des chefs et ouvriers des manufactures de la ville 1.

Les questions ouvrières sous la Restauration. Les questions sociales relatives à la classe ouvrière n'étaient donc pas demeurées entièrement stationnaires sous la Restauration. Cette classe elle-même avait augmenté en nombre. Malgré les interruptions inévitables des mortes-saisons et des crises, le travail en général ne faisait pas défaut. Comme sous l'Empire, beaucoup d'ouvriers étaient fortement organisés dans les divers rites du compagnonnage où ils trouvaient à la fois le bénéfice de la mutualité et les inconvénients de la rivalité. Durant la Restauration, on cite deux schismes qui se produisirent dans le sein du compagnonnage. La Rochelle était une ville où les compagnons menuisiers allaient peu d'ordinaire et que fréquentaient au contraire les aspirants, c'est-à-dire ceux qui n'étaient pas encore admis. En 1823 cependant, des compagnons en quête d'ouvrage y vinrent et prétendirent prendre, de droit, les places occupées par leurs inférieurs. Ceux-ci ne s'étant pas empressés de les leur céder parce que la Rochelle ne figurait pas sur la liste des villes de réception, la chambre du compagnonnage de Bordeaux érigea la Rochelle en ville de réception. Les aspirants évincés par ce procédé firent scission et fondérent la Société des menuisiers indépendants. En 1827 se forma une autre société d'indépendants, celle des cordonniers dont les promoteurs furent deux compagnons auxquels leur compagnonnage avait refusé, au sortir de prison, l'indemnité réglementaire.2

Les compagnons n'appartenaient pas en général à la grande industrie; aussi sentirent-ils très peu alors la transformation qui commençait à s'opérer. Dans la manufacture proprement dite au contraire où elle se faisait sentir, les ouvriers étaient isolés, et des troubles moraux se produisaient. Déjà quelques esprits supérieurs et des amis. de l'humanité commençaient à comprendre de quelles forces morales

1. Arch. nationales, F2 95118.

2. Ces deux cordonniers, à la suite d'une rixe contre des compagnons d'un autre métier, avaient subi un an de prison. Les règlements portaient que ceux qui faisaient de la prison pour avoir soutenu les droits de la corporation recevaient à leur sortie 1 franc par jour de prison. Le bureau ne voulut leur en donner que la moitié; ils refusèrent et rompirent avec la corporation. Secret des compagnons cordonniers révélé, 1858. Cité par M. LÉON de Saint-MartIN, op. cit., p. 103.

il fallait doter cette catégorie de travailleurs pour lui permettre de marcher de pied ferme dans la carrière nouvelle où elle entrait, et plaçaient en première ligne l'instruction, l'épargne et la prévoyance. L'instruction primaire, débattue avec passion pendant quatorze ans, triomphait en principe l'année même où éclatait la révolution de Juillet; l'épargne avait trouvé son premier point d'appui; la prévoyance devait trouver le sien dans les sociétés de secours mutuels, lorsque, épurées par l'expérience, elles offriraient les principaux avantages du compagnonnage sans en avoir les inconvénients.

Mais ces problèmes étaient récents alors; ils ne se dressaient pas encore comme une menace contre l'organisation sociale. La classe éclairée ne s'en préoccupait pour ainsi dire pas ; la question des deux méthodes d'enseignement eut seule le privilège de la passionner. La classe ouvrière elle-même ne s'élevait pas à de hautes vues sur ses propres destinées et ne constituait pas encore un parti politique. Le gouvernement de la Restauration ne fit presque rien pour résoudre ces problèmes, non seulement parce que les hommes qui occupaient le pouvoir avaient des intérêts différents, mais parce les questions ellesmêmes n'étaient pas encore mûres. Le progrès des institutions humaines est le fruit du temps et de la nécessité.

1. Voir p. 649.

CHAPITRE VI

L'OPPOSITION DANS LA CLASSE OUVRIÈRE

SOMMAIRE. Rapports des patrons et des ouvriers dans la petite industrie (664). Le souvenir de Napoléon dans les ateliers et les sentiments à l'égard des Bourbons (667). Le cléricalisme et la congrégation (669). lisme (671).

Béranger et le libéraLes compagnons (673). La chute des Bourbons (674).

Rapports des patrons et des ouvriers dans la petite industrie. La classe ouvrière, encore incapable de se guider par elle-même vers sa fin propre, manquait presque partout d'une direction supérieure.

Dans la grande industrie, les manufacturiers, quoique étant alors pour la plupart de mœurs assez simples, vivaient loin de leurs ouvriers auxquels ne les rattachait pas un lien de patronage. On pouvait rencontrer quelques exceptions honorables; mais en général la discipline morale des ateliers était encore à créer.'

Dans la petite industrie, il subsistait quelques souvenirs des anciennes coutumes. Ouvriers et patrons ne s'étaient pas tout à fait détachés les uns des autres. Ils travaillaient au même établi, et la communauté des travaux entretenait une certaine communauté de sentiments. Il leur arrivait de partager les mêmes plaisirs. A Paris, quand venait l'automne, une petite fête inaugurait parfois la reprise des veillées : on la nommait le pâté de veille. D'autres occasions, telle que la fête du patron, réunissaient parfois aussi à la même table les ouvriers et le maître, et même la famille du maître. Comme les goûts étaient à peu près les mêmes, les uns et les autres pouvaient se rencontrer le dimanche dans les mêmes lieux, au Pré-Saint-Gervais ou dans un cabaret de la banlieue. Cette familiarité avait ses avantages; toutefois elle n'était pas sans inconvénient, parce que le patron manquait d'autorité morale, qu'il se laissait entraîner au plaisir par l'ouvrier,

1. Des manufacturiers pensaient avoir encore sur leurs ouvriers les droits dont ils avaient joui avant 1789. Par exemple, le 6 décembre 1817, on trouve une plainte de fabricants de Tours (Roze Abraham) à l'administration préfectorale contre un fabricant qui leur avait « soutiré des ouvriers ». Arch. du dép. d'Indre-et-Loire. Communiqué par M. de Grandmaison, archiviste.

quand lui-même n'entraînait pas l'ouvrier, et que la dissipation pouvait avoir ainsi plus d'un moyen de dérober des heures au travail.

Dans la soierie de Lyon, on disait que les rapports entre les fabricants et les chefs d'atelier étaient devenus moins difficiles qu'au temps de la corporation. Chez les uns et les autres les sentiments religieux étaient toujours vivaces; les barrières de l'apprentissage et des droits. de réception étant tombés, l'ouvrier avait la liberté de s'établir, et beaucoup, dès qu'ils le pouvaient, avaient hâte de le faire, la plupart ne tenant que deux métiers, un pour le mari et un pour la femme, de sorte qu'il y avait relativement peu de compagnons; ceux-ci d'ailleurs étaient généralement logés dans l'atelier et faisaient en quelque sorte partie de la famille. Les femmes, autrefois exclues, tenaient des métiers et trouvaient d'autant plus facilement du travail que les étoffes unies avaient pris plus d'importance. La liberté permettait aussi aux fabricants de monter des métiers pour les unis dans la campagne ; on en signalait déjà autour de Lyon à l'exposition de 1819. 1

1

Le salaire paraît avoir continué à s'élever quelque peu dans certaines industries, démentant les prédictions sinistres de ceux qui voyaient dans les machines la ruine de l'ouvrier. 2

Dans l'industrie parisienne, le pain, quoiqu'il fût un peu plus cher sous la Restauration que sous l'Empire, se maintint, à Paris, durant la période de prospérité, de 1818 à 1828, entre 3 et 4 sous la livre, 3

1. Hist. de la fab. lyonnaise, par M. PARISET, p. 275 et 278.

2. Nous n'avons pas pour cette période de séries de salaires dans l'industrie mécanique. Nous en avons pour l'industrie parisienne en 1824 et en 1829; nous les donnons en appendice. Voici, en outre, pour le bâtiment à Paris quelques indications, fournies par les publications de l'Office du travail : Salaire moyen par heure de travail :

1825

Maçon..

Tailleur de pierre

Menuisier

Garçon maçon.

1806

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En voici quelques autres empruntées à une statistique qui a été dressée en 1826 par le sous-préfet d'Autun (Archives du dép. de Saône-et-Loire) :

1o Cristallerie du Creusot: manœuvres, 1 fr. 10; ouvriers maçons 55 francs par mois; ouvriers verriers, beaucoup plus; maîtres verriers, 150 à 200 francs; souffleurs, 70 à 100 francs.

2o Usines de Bonnier et Mesvrin: ouvrier, 1 fr. 25 à 12 francs, moyenne 2 fr. 25. 3o Forge Olivet à Autun: forgerons (logés et chauffés) 650 franes par an; aides 300 francs, bûcherons 1 fr. 25 à 1 fr. 75.

4o Papeterie de Monthelon, 52 francs par mois.

5 Autres salaires : 60 à 70 francs par mois, ouvriers; 40 à 45 francs, manoeuvres ; 0 fr. 60 par jour, fileuses.

6 Fabrique de rasoirs; 2 francs à 2 fr. 50 pour 20 ouvriers, 0 fr. 75 à 1 franc pour 10 autres.

3. La moyenne annuelle varia entre 25 centimes 38/100 le kilogramme en 1821,

L'abondance du travail rendait ces prix légers à la classe ouvrière, pendant que la diminution de valeur de certains produits lui permettait de se procurer déjà quelques jouissances auparavant inaccessibles pour elle. Le paysan connaissait peu l'usage de la viande ; à la ville, le travailleur en mangeait presque tous les jours, et comme l'industrie attirait la population des campagnes vers les manufactures urbaines, la consommation de la viande de boucherie augmentait. 1

Il y eut toutefois une crise alimentaire très pénible en 1817. L'occupation du territoire par les alliés et des pluies diluviennes en 1816 avaient entièrement compromis la récolte du blé ; la vigne avait coulé. Le prix moyen de l'hectolitre de froment en France, qui avait été de 24 fr. 08 en 1811-1815, s'éleva à 45 fr. 46 au mois de juin 1817 et beaucoup plus haut dans certains départements (81 fr. dans le Haut-Rhin). A Paris, le pain ne monta pas au-dessus de 1 fr. 25 les 2 kilogrammes parce que l'administration dépensa, en indemnités aux boulangers, 24 millions pour l'empêcher de dépasser ce niveau; aussi le préfet de police dut-il, comme la Convention au temps du maximum, interdire la sortie du pain parce que les paysans de la banlieue venaient s'approvisionner à Paris. En Picardie, en Bourgogne, le pain de 4 livres se vendit jusqu'à 4 et 5 francs. Les marchés furent envahis par la foule affamée; il y eut des violences, des arrestations, des condamnations, même à mort. Les propriétaires, le roi, les alliés eux-mêmes vinrent au secours des malheureux. Le duc de Richelieu, qui était alors ministre et qui pendant l'émigration avait été le fondateur d'Odessa, fit venir directement de Russie et des Etats-Unis 1 million 1/2 d'hectolitres et offrit des primes à l'importation: palliatifs insuffisants.

La population s'accroissait 2; les mariages étaient plus fréquents; et dans aucune période l'excédent annuel des naissances sur les décès n'a été aussi grand. La situation matérielle de la classe ouvrière, et 28 centimes 48/100, en 1824; en 1820, la moyenne fut de 41 centimes 87/100, c'està dire un peu an-dessus de 4 sous la livre.

1. Elle était en moyenne de 8 kilogrammes 85/100 par tête et par an en 1812; on calculait qu'en 1834 elle s'était élevée à 12 kilogrammes 37/100.

2. La population était à peine de 30 millions en 1814; le recencement de 1831 donna 32.569.223 habitants.

3. L'année 1814 compta peu de mariages (193,000), parce que l'année 1813 avait eu énormément de mariages prématurés ; par contre, les mariages furent nombreux en 1815 et 1816 (246.000 et 249.000); l'équilibre se rétablit à peu près en 1818, après la disette; depuis cette année, les mariages, sauf quelques crises, ont suivi sous la Restauration une progression à peu près constante; il y en avait eu 213,000 en 1818; il y en eut 251,000 en 1829; il y en avait eu jusqu'à 262,000 en 1823, à l'époque de la plus grande prospérité.

4. La moyenne de l'excédent des naissances sur les décès a été dans les périodes suivantes : De 1800 à 1814, de 122.000 De 1815 à 1830, de 188,000

De 1831 à 1840, de 149.000

La natalité de 1815 à 1830 a varié de 32.9 à 29.9 naissances par 1,000 habitants

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