Page images
PDF
EPUB

suffisant à sept personnes, mais il est parfait à neuf » ; les individus qui le composent, tout en ayant les mêmes goûts qui les conduisent à exercer le même travail ou à prendre le même plaisir, doivent se distinguer par des nuances qui les classent au centre, à l'aile supérieure, à l'aile inférieure, etc., et qui mettent en jeu la cabaliste. « Une série est une ligue de divers groupes échelonnés en ordres ascendants et descendants, réunis passionnément par identité de goût pour quelque fonction 1. » L'attraction passionnée en est le seul lien, et « dispense de recourir aux véhicules de besoin, de morale, de raison, de devoir et de contrainte >> dont usent les civilisés. Voici, comme exemple, la « série de la culture des poiriers », vers laquelle seront attirés naturellement ceux qui aiment ce fruit et qui se composera de 32 groupes symétriquement disposés dans l'ordre suivant:

Avant-poste, formé de 2 groupes, cultivant les coings et bâtardes dures. Aileron ascendant. . 4 poires dures à cuire. poires cassantes.

Aile ascendante.

CENTRE..

Aile descendante.

[ocr errors]
[ocr errors]

6

[ocr errors][ocr errors][merged small]

Aileron descendant. 4
Arrière-poste. . . . 2

POIRES FONDANTES.

poires compactes.

poires farineuses.

nèfles et bâtardes molles 2.

Le centre forme « la tonique », c'est-à-dire le caractère le plus général de la passion; les extrémités forment les contrastes entre lesquels le centre maintient l'équilibre. Entre tous les groupes il y a rivalité, émulation ils se liguent les uns contre les autres, et la « cabaliste >> reçoit ainsi une complète satisfaction; c'est ce que veut dire Fourier en les appelant dans son langage obscur des «< séries engrenées et mécanisantes compactes de groupes émulatifs et cabalistiques donnant plein essor à la cabaliste et vivement intrigués par les rivalités internes et externes ». Fourier est convaincu qu'ainsi « on arriverait à une per1. Ibid., p. 52.

2. Le nombre des groupes n'est pas immuable dans la pensée de Fourier ; ce qui lui importe, c'est que la série des nuances s'y trouve pour suffire au jeu de la mécanique des passions. Un groupe, dit-il, serait mal équilibré à six sectaires formant les divisions 2, 2, 2; son centre serait aussi faible en nombre que chaque aile; or il faut en principe renforcer le centre et faire les ailes inégales » (ce qu'il ne fait pas pourtant lui-même dans l'exemple précédent). « Les séries se distribuent de la même manière que les groupes; elles opèrent sur les groupes conime ceux-ci opèrent sur les individus. Elles doivent contenir au moins cinq groupes ». Nouv. monde industriel, p. 71 (éd. de 1829). Il donne lui-même comme exemple dans ce passage une série de poiristes ainsi composée :

Ambigu.

Aile ascendante.

Centre. .

Aile descendante.

Pivot

4 groupes cultivant coings, sortes bâtardes

[blocks in formation]

fection générale de l'industrie, par exigence et raffinement universel des consommateurs, sur les comestibles et vêtements, sur le mobilier et le plaisir. >>

Chaque genre d'occupation donne naissance à une série semblable et satisfaction à une passion particulière; mais, pour que l'harmonie existe, il faut qu'il y ait « compacité », c'est-à-dire rapport étroit entre les travaux de chacun des groupes d'une même série 1. Dans l'intérêt de la cabaliste, les diverses séries ont entre elles les mêmes rivalités que les groupes dans la série et que les individus dans le groupe. La phalange elle-même est une série de 16 groupes et de 32 chœurs, classés d'après l'âge, commençant à la « transition ascendante >> par les << bambins el bambines », finissant à la «< transition descendante >> par les << patriarches » et flanquée d'un complément ascendant de «< nourrissons, poupons et lutins » et d'un complément descendant de malades, infirmes et absents 2.

1. Fourier y insiste; il déclare que des groupes voisins qui cultiveraient l'un le beurré, l'autre le martin sec, manqueraient de compacité, tandis que trois groupes cultivant les trois espèces de beurré seraient dans de bonnes conditions, et qu'ils auraient la propriété primordiale, influence des groupes extrêmes égale à la double influence du groupe moyen. » (Ibid., p. 52 et 54.) Cependant, dans la phalange d'essai, il admet ce qu'il nomme des « séries hongrées ». 2. La Phalange distribuée en 16 tribus et 32 chœurs :

[merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small]

Mais le travail le plus attrayant deviendrait monotone s'il était trop prolongé. Aussi les séances sont-elles courtes'. Au bout d'une heure ou deux, les séries déposent leurs outils et se rompent; chacun court s'engrener dans une nouvelle série, et tel qui vient de cultiver des choux va pendant deux autres heures forger le fer ou enseigner la grammaire. Ces mouvements se font au son de la musique, gaiement; car tous les « Harmoniens» ont le cœur content, et la «< papillonne » trouve à son tour satisfaction dans ces changements. Et comme Fourier ne veut rien lui refuser, il imagine les parcours, << genre de jouissance tout à fait inconnu aux civilisés » qui permettra de goûter à la hâte et presque en même temps une foule de plaisirs variés. Partout règne ainsi l'émulation, voire même une rivalité intense qui aiguise la passion et triple les forces 2, le tout d'ailleurs sans danger pour l'harmonie, car « l'égoïsme et les discordes individuelles sont absorbées dans les accords des masses ».

Quant à la «< composite, » elle serait bien exigeante si elle n'était pas également satisfaite par un tel assemblage. En harmonie, on dort peu. Nos petites maîtresses d'aujourd'hui prendront l'habitude de se lever dès 4 heures du matin et même dès 3 heures 1/2 et 3 heures en été le riche Mondor n'aura pas moins de dix-neuf occupations dans sa journée, y compris les cinq repas; le pauvre Lucas devra se

1. Il prescrit les courtes séances les plus longues sont bornées à deux heures. Sans cette disposition, un individu ne pourrait pas s'engager dans une trentaine de séries; dès lors les accords de répartition et le mécanisme d'attraction industrielle seraient anéantis: les longues séances entraveraient la passion dite Papillonne, manie de volliger de plaisir en plaisir, l'une des trois qui doivent diriger toute série passionnée, et ménager un contre-poids aux excès, par option sur double plaisir à toute heure de la journée. Nouv. monde industriel, p. 65 (éd. de 1879).

2. « L'émulation, le perfectionnement industriel et par suite les bénéfices croissent en raison de l'exactitude qu'on met à échelonner les nuances de penchants, et former de chaque nuance autant de groupes dont se compose la série.» Assoc. dom. agricole (cité par M. GIDE, p. 158).

3. Le Nouveau monde industriel, sect. II, notice 3, chap. x.

-

4. Journée de Mondor en été (Le Nouveau monde industriel, p. 81). Sommeil de 10 h. 1/2 du soir à 3 heures du matin. - A 3 h. 1/2, lever, préparatifs - A 4 heures, cours du lever public, chronique de la nuit. 4 h. 1/2 le Délité 1er repas suivi de la parade industrielle. A 5 h. 1/2, séance au groupe de la chasse.- A 7 heures, au groupe de la pêche. - A 8 heures, le déjeuner, les gazettes. A 9 heures. séance à un groupe de culture sous tente. - A 10 heures, séance à la messe. A 10 h. 1/2, au groupe de la faisanderie. A 11 h.1/2, à la bibliothèque.

-

à 1 heure,

le dîner. - A 2 h. 1/2, au groupe des serres fraîches.- A 4 heures, au groupe des plantes exotiques. A 5 heures, au groupe des viviers. A 6 heures, le goûter à la campagne. A 6 h. 1/2, au groupe des mérinos. A 8 heures, la Bourse. A 9 heures, le souper 5o repas. A 9 h. 1/2 cours des Arts, concert, bal, spectacle, réceptions. - A 10 h. 1/2, le coucher.

Journée de Lucas au mois de juin. A 3 h. 1/2 lever, préparatifs. A 4 heures, séance à un groupe des écuries. - A 5 heures, à un groupe de jardiniers. A 7 heures, le déjeuner. A 7 h. 1/2. au groupe des faucheurs. A 9 h.1/2 au groupe des

contenter de quatorze occupations, dont huit séances dans des groupes divers de travail ; c'est d'ailleurs un minimum 1. Tous les changements se feront sans fatigue et presque sans perte de temps; car dans l'intérieur, on n'aura qu'à traverser des galeries vitrées et chauffées, et pour se rendre aux champs, on aura des voitures toujours prêtes.

Comme on dépensera beaucoup de forces, on fera cinq repas par jour, quand l'Harmonie sera complète 2.

Toute contrainte est bannie du phalanstère. On n'oblige pas les enfants à suivre l'école, et les parents, qui n'ont pas à se mêler de l'éducation de leurs enfants, peuvent les gâter sans remords . S'instruit qui veut; mais tous le veulent. Les enfants, « bambins et bambines »>, errent librement de tous côtés, dans les champs, dans les ateliers, en compagnie de leurs bonnins et bonnines ». Ils voient les séries à l'œuvre ; ils s'ingénient à les imiter et s'exercent avec des joujoux *. Bientôt se développent en eux le goût des arts et l'habileté des mains. Ils fréquentent de même les écoles et les cours, par curiosité d'abord, par passion ensuite, chacun suivant ses aptitudes et tous avec le désir de primer et surtout de n'être pas raillé par leurs camarades à cause de leur insuffisance. C'est ainsi que chacun, sans effort, apprend à connaître sa vocation, que le spectacle de cette diversité fait naître à la fois chez les enfants du phalanstère une foule de vocations, aujourd'hui étouffées dans leur germe par l'éducation étroite des civilisés, et que l'émulation les pousse à obtenir des grades honorifiques dans un grand nombre de séries dont ils aspirent à devenir membres .

[ocr errors]

légumistes sous tente. A 11 heures, à la série des étables. - A 1 heure, le dîner.A 2 heures, à la série des silvains. A 4 heures, à un groupe de manufacture.- A A 8 heures, à la Bourse. A 8 h. 1/2, le souper.

6 heures, à la série d'arrosage.

[ocr errors]

-

A 9 heures, fréquentation amusante. A 10 heures, le coucher.

1. « Le jeu des trois passions mécanisantes exigeant de courtes séances, il faut pour le courant de la journée au moins 14 séances, savoir une majorité de 8 séances en plaisirs composés, 5 en plaisirs simples, pour délassement des composés, plus un ou deux parcours, genre de jouissance tout à fait inconnu des civilisés (le parcours est l'amalgame d'une quantité de plaisirs goûtés successivement dans une courte séance, enchaînés avec art).- Nouv. monde industriel, p.414 (éd. de 1829) 2. lbid., p. 68 et 69. Si Lucas que nous venons de citer ne fait que trois repas, c'est qu'il n'est qu'un des villageois entrés au début.

3. On verra que les pères, en Harmonie, n'ont d'autres fonctions paternelles que de céder à l'impulsion naturelle, gâter l'enfant, flatter toutes ses fantaisies. L'enfant sera suffisamment réprimandé et raillé par ses pairs. Lorsqu'un poupon ou bambin a parcouru dans la journée une demi-douzaine de pareils groupes et essuyé leurs quolibets, il est bien pénétré de son insuffisance,bien disposé à consulter les patriarches et vénérables qui ont la bonté de lui donner des leçons. Assoc. dom. agricole. 4. Voir l'histoire des bambins Nisus et Euryale et du bonnin Hilarion. Nouv. monde industriel, p. 193.

5. Pour passer dans les choeurs des chérubins, il faut subir quatre épreuves, et de plus produire le brevet de licencié dans cinq groupes, de bachelier, dans sept, de néophyte dans neuf. Il s'agit d'enfants de quatre ans et demi. « A partir des chéru

[ocr errors]

Même régime en amour. Fourier dénonce l'infériorité et l'asservissement des femmes comme un des vices de l'état civilisé. « L'extension des privilèges des femmes est le principe général de tous les progrès sociaux. » A seize ou dix-sept. ans, si les jeunes gens se sentent « quelque penchant pour la liberté amoureuse », ils entrent dans la série des « damoiseaux et damoiselles ». S'ils se sentent au contraire, une grande force de continence ils préféreront s'enrôler dans la série très honorée des « vestales et vestels ». Mais à partir de dix-neuf ans, liberté entière pour tous; c'est alors qu'on fréquente « les séristères de haut degré en amour », et les deux tiers au moins des femmes s'engagent dans la corporation des « bacchantes » et des bayadères ». Ce n'est pas que Fourier proscrive le mariage qui satisfait une des passions de la nature humaine; mais il le règle de telle façon qu'il n'impose aucune chaîne aux époux. Une femme peut avoir à la fois : 1o un « époux » dont elle a deux enfants; 2o un « géniteur » dont elle n'a qu'un enfant ; 3° un « favori » qui a vécu avec elle avant le mariage, et qui après conserve ses prérogatives; 4° de simples «< possesseurs », qui ne sont rien devant la loi. Les hommes ont les mêmes droits. Fourier s'applaudit beaucoup de ces combinaisons de <«< mœurs phanérogames », qui auront pour effet, dit-il naïvement, d'établir « une grande courtoisie et une grande fidélité aux engagements », et qui prévenant l'excès de population, mettront les Harmoniens à l'abri des périls qui menacent les civilisés.

Car Fourier redoutait, comme Malthus qu'il cite, l'excès de population qui aurait détruit l'équilibre de l'organisation phalanstérienne; il ne voulait pas plus de 1,800 personnes par lieue carrée, soit une densité d'un peu plus de 100 par kilomètre carré. Qu'aurait-il fait de certaines régions qui en renfermaient déjà davantage? Quoi qu'il en soit de cette objection qu'il ne s'est pas faite, il comptait que sous le régime d'Harmonie, la nature opposerait d'elle-même quatre digues à l'excès de population: la vigueur des femmes (car, dit-il, à la ville ce sont les femmes délicates qui sont d'une fécondité outrée); les mœurs phanérogames (qui, comme l'expérience le montre, dit-il encore, sont un obstacle à la procréation); le régime gastrosophique (car la bonne chère est une cause de stérilité); l'exercice intégral (car une grande activité physique de tout le corps distrait des désirs vénériens). « Au bout de trois générations d'Harmonie, les deux tiers des femmes seront stériles, comme il arrive de toute fleur que les raffinements de culture ont élevée à une grande perfection. »

>>

bins, l'enfant s'élèvera par le seul effet de l'attraction et de l'émulation. A cinq ans, il sera ce qu'est chez nous l'homme de quinze. » Nouv. monde ind., p. 190 et 201. 1. Nouv. monde ind., p. 226. Les vestels et vestales sont très considérés, et FOURIER explique comment ils ont chance de devenir géniteurs et génitrices de princesses et de princes.

2. Voir Théorie des quatre mouvements, p. 184 et suiv.; Nouv. monde ind., p. 335, et

« PreviousContinue »