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ainsi dire pas ces systèmes. Elle vivait dans une sphère supérieure. Elle aima et favorisa l'agriculture, parce que la possession de la terre intéressait l'aristocratie. Elle prodigua les faveurs douanières aux grands manufacturiers, parce que leurs voix, unies à celles des propriétaires, étaient prépondérantes dans la Chambre des députés. Elle accepta l'administration impériale, parce qu'il n'était pas possible d'imaginer un instrument mieux approprié au gouvernement monarchique. Au milieu des luttes parlementaires de la droite et de la gauche, dans ces joutes brillantes où le génie de 1789 avait sans cesse à refouler les assauts de l'esprit féodal, son cœur pencha le plus souvent vers la droite. Louis XVIII, avec son bon sens quelque peu sceptique, résista à cette tendance jusqu'au jour où l'assassinat de son neveu ne lui permit plus de tempérer les sentiments de sa famille. Charles X s'y abandonna plus volontiers; cependant le comte de Villèle, qui fut la personnification du second de ces systèmes, comme le comte Decazes avait été la personnification du premier, fut loin de satisfaire tous les voeux de ses amis. Les projets, les lois, les débats se concentrèrent donc autour des questions politiques, pendant que la France, longtemps silencieuse, sentait se réveiller en elle l'amour des lettres.

Le plus grand bienfait dont la Restauration dota l'industrie fut sans. contredit la paix. Elle la fit régner pendant quinze ans. La France multiplia ses manufactures, et la manufacture commença à se transformer par l'emploi des machines. Les relations commerciales avec l'étranger se renouèrent et la richesse nationale s'accrut.

La classe bourgeoise en recueillit la meilleure part. La classe ouvrière en eut aussi une. Toutefois la répartition fut très inégale; pendant que quelques groupes d'ouvriers bénéficiaient d'une légère élévation des salaires, d'autres, frappés par la concurrence des machines, étaient réduits à aller ailleurs offrir leurs services au rabais, ou à végéter d'une existence misérable, s'ils persistaient dans leurs vieux errements. Toutes les évolutions économiques font des victimes, même celles qui aboutissent à un progrès; car toutes froissent des intérêts et déplacent des conditions. L'évolution du travail présentait ce singulier phénomène, transitoire d'ailleurs, d'augmenter la prospérité publique et de diminuer le bien-être d'une minorité de producteurs.

De généreux citoyens s'appliquèrent à venir en aide aux classes pauvres, créèrent les caisses d'épargne, fondèrent quelques sociétés de patronage et commencèrent à répandre sur le peuple le bienfait de l'instruction: c'était un des fruits de la liberté. Le gouvernement ne se préoccupa que du dernier de ces moyens de moralisation; c'était, il est vrai, de beaucoup le plus important alors; mais après l'avoir pour ainsi dire, adopté sous le ministère Decazes, il s'en défia sous l'administration du comte de Villèle, le sacrifia à des préjugés cléricaux, et quand il eut reconnu son erreur, il n'eut plus le temps de la réparer.

Si l'on excepte le système protecteur, la Restauration n'apporta rien de nouveau à la législation du travail et des travailleurs de l'industrie. Sa sollicitude était tournée vers d'autres objets. Il est juste d'ajouter que la grande manufacture était à ses débuts, que les problèmes qu'elle soulève étaient à peine posés, que les économistes qui les étudiaient n'étaient pas d'accord, et que les systèmes socialistes, nés du spectacle de cette activité laborieuse et de ses misères, n'étaient pas de nature à convertir les ministres. A chaque jour sa tâche ; à chaque génération sa part dans l'œuvre des institutions politiques.

Néanmoins la Restauration ne satisfit pas les vœux de la moyenne bourgeoisie dont elle entendait les réclamations, mais dont elle n'aimait pas l'esprit. Elle n'entendit même pas les plaintes de la classe ouvrière, placée trop loin d'elle, et elle ne sut jamais à quel point elle était impopulaire. Elle se crut assez forte par le seul principe d'une légitimité de droit divin que les mœurs de la France n'admettaient plus, et n'ayant pour point d'appui qu'une idée abstraite et une petite minorité de riches propriétaires, elle tomba dès qu'elle eut prêté, par sa faute, à l'insurrection de la bourgeoisie soutenue par la classe ouvrière la puissance morale de la légalité.

APPENDICE

PIÈCE A

DIRECTION GÉNÉRALE

DE L'AGRICULTURE, DU COMMERce et des artS ET MANUFACTURES

Conseil général des manufactures.

Copie du procès-verbal de la 11o séance du 14 juillet 1814.

Monsieur le directeur général préside la séance.

MM. Aubertot, Darcet, Decrétot, Féray, Lecour, Maillé, Rambourg, Richard, Salleron et Ternaux l'aîné.

La lecture du procès-verbal de la séance du 7 juillet n'occasionne aucune réclamation.

L'ordre du jour appelle les différents rapports sur les moyens de parvenir à un tarif convenable des droits d'entrée et de sortie.

M. Féray lit le rapport de la commission des cotons; il est approuvé et inséré au procès-verbal ainsi qu'il suit :

<«< Monsieur le directeur général,

« Messieurs du Conseil général des manufactures,

« Le moment où l'on s'occupe de réviser l'ancien tarif des douanes et d'en établir un nouveau, mieux approprié à nos besoins, à nos relations commerciales avec l'étranger, ce moment tant souhaité pour le commerce, si heureux pour nos manufactures, doit être marqué par un retour entier et complet aux principes.

«Il était réservé à Louis XVIII de relever le courage abattu des négociants français, de rendre aux manufacturiers la confiance nécessaire pour rétablir dans leurs ateliers toute l'activité dont ils sont susceptibles, et ce but, que le monarque porte dans son cœur, n'a besoin pour être rempli que de bonnes lois réglementaires, que sa sagesse ne manquera pas d'accueillir. « Les douanes qui nous occupent aujourd'hui devraient, d'après leur institution, être exclusivement consacrées au soutien et à l'encouragement de l'industrie nationale. Dans le principe, elles n'ont pu être et n'ont été élablies que pour favoriser le commerce national contre les essais et les usurpations du commerce étranger; mais malheureusement, les fonds provenant de cet établissement utile ont été détournés du but salutaire de leur institution. Le génie de la fiscalité s'est emparé des douanes pour se créer des ressources, aux dépens même du commerce qu'elles avaient été appelées à

protéger. Leurs produits n'ont plus été considérés que comme une branche du revenu public, et l'intérêt de notre balance a été tellement méconnu ou sacrifié que des hommes, d'ailleurs réputés bons administrateurs, n'ont plus jugé le commerce que pour le rapport qu'il avait avec les douanes, et non les douanes elles-mêmes par les avantages qu'elles devaient offrir à notre com

merce.

«Que l'on rende aux fonds provenant des droits de sortie ou d'entrée la direction naturelle qu'ils doivent avoir dans les canaux de l'industrie; que le gouvernement ne les regarde plus comme une branche de son industrie ; que désormais il ne les applique qu'aux besoins du commerce qui les réclame, c'est alors que les manufacturiers, chimistes, mécaniciens, navigateurs, commerçants et colons seront assurés de trouver toujours des ressources pour accélérer leurs entreprises ou leurs découvertes.

<«< Le gouvernement, en consentant à n'être que dépositaire des fonds des douanes, en se bornant à les distribuer avec une intelligence éclairée, à les reverser avec un actif discernement de manière à vivifier nos manufactures et à accroître nos exportations, verra bientôt s'élever, par l'augmentation des impôts de consommation à l'intérieur, un revenu d'une bien autre importance que le faible produit des douanes auquel il aura donné une direction si utile.

<«< Faire quelques concessions à l'industrie nationale pour assurer sa prospérité, c'est semer pour recueillir.

« C'est par un pareil système de protection, suivi avec constance, que l'Angleterre a fait arriver son commerce à un si haut degré de splendeur, et que ce commerce est aujourd'hui, pour son trésor public, une mine inépuisable. « Le but originaire de l'institution des douanes étant rétabli, ces principes étant bien reconnus, il reste à poser les bases d'après lesquelles seront assis les droits d'entrée et de sortie, dont se composent les revenus et à déterminer les Draw-backs, et les primes de toutes espèces, qui emploieront les fonds restant après le prélèvement des frais de perception et des traitements des administrateurs.

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<< Partant de points admis et qui nous ont paru entrer tout à fait dans les vues de M. le directeur général, nous établissons ici les principales divisions d'après lesquelles on peut classer nos relations commerciales:

« 1o L'admission en franchise de tous droits des matières premières comprenant tous les objets susceptibles de reproduction en France. Nous en exceptons, en faveur des colonies françaises, les articles pour lesquels elles se trouveraient en concurrence avec l'étranger.

«< 2o La prohibition de tous les objets fabriqués à l'étranger. Un très petit nombre d'exceptions pourrait seulement avoir lieu pour certains articles sur lesquels il serait reconnu qu'un droit à l'entrée est suffisant pour protéger l'industrie régnicole.

« 3o Le transit à travers le royaume et sous acquit-à-caution des articles qui seront admis à l'entrée en payant les droits.

« 4o Le transit pur et simple, ou la libre exportation des productions étrangères qui sont admises sans droits en France, sauf quelques modifications qui pourront être discutées au Conseil.

«5° La sortie des matières premières indigènes, en payant un droit dans

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