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4. hiérarchie, l'Institut national, grand corps d'enseignement supérieur et d'études en tout genre (il se composait de vingt classes), avec des cours publics, des bibliothèques, une correspondance entretenue dans les départements « pour tout ce qui serait relatif à l'éducation, à l'enseignement et aux nombreux travaux sur lesquels les savants peuvent être consultés ». Ainsi Paris verrait dans ses 1 murs le monument le plus complet et le plus magnifique qui ait été élevé aux sciences. Cette concentration de tout le grand mouvement des lettres, sciences et arts dans la seule ville de Paris était une faute énorme et une injustice à l'égard des grandes villes de province, qui n'étaient pas dénuées avant 1789 de vie intellectuelle.]

Le comité se proposait de former des hommes robustes, et partout il prescrivait avec raison les exercices du corps; de former des citoyens, et il prescrivait avec non moins de raison l'étude des droits de l'homme et de la Constitution.

D'ailleurs le comité ayant dessein de répandre le bienfait de l'instruction, comptait ne priver la France d'aucune intelligence, d'aucune bonne volonté disposée à assister l'État dans l'accomplissement de cette tâche. Il créait des écoles publiques; mais à côté, il laissait créer sans restriction des écoles privées et il présentait le projet suivant de décret : « Liberté de l'ensEIGNEMENT. Il sera libre à tout particulier, en se soumettant aux lois générales sur l'enseignement public, de former des établissements d'instruction. Ils seront tenus d'en instruire la municipalité et de publier leurs règlements. >>

Le comité, considérant l'instruction comme une dette de la société, ne voulait pas la faire payer à ceux envers qui la société s'acquittait : de là le principe de la gratuité. Plusieurs bailliages l'avaient demandé en 1789; le comité l'avait admis sans conteste, n'hésitant que sur la fimite à laquelle il convenait de l'arrêter. C'était un point délicat. <«< Il doit exister, disait Talleyrand, une instruction gratuite, le principe est incontestable. Mais jusqu'à quel point doit-elle être gratuite? La seule que la société doive avec la plus entière gratuité est celle qui est essentiellement commune à tous, parce qu'elle est nécessaire à tous. Le simple énoncé de cette proposition en renferme la preuve ; car il est évident que c'est dans le trésor commun que doit être prise la dépense nécessaire pour un bien commun; or, l'instruction primaire est absolument et rigoureusement nécessaire à tous 2. >>

Au delà une gratuité plus restreinte subsistait encore, sous forme de pensions nationales décernées aux élèves méritants; «< par là, aucun talent véritable ne se trouvera perdu ni négligé, et la société aura entièrement acquitté sa dette 3 ».

1. Rapport, p. 67.

2. Rapport, p. 18 et 20.

3. « Il faut que quelque part qu'il (le talent) existe, il puisse librement parcourir

La gratuité a souvent pour corollaire l'obligation. Si la société doit donner l'instruction à ses membres, les pères doivent en faire profiter leurs enfants; si la communauté ne doit laisser aucune force intellectuelle ensevelie dans l'ignorance, aucune force intellectuelle ne doit priver la société de ses services. C'était par un raisonnement à peu près semblable que La Rochefoucauld était conduit à sévir contre la mendicité. Talleyrand, s'inspirant du principe de liberté qui caractérisait l'œuvre de l'Assemblée, recula devant cette mesure. << La nation, dit-il, offre le grand bienfait de l'instruction, mais elle ne l'impose à personne. Elle sait que chaque famille est aussi une école primaire dont le père est le chef... Elle respectera donc ces éternelles convenances de la nature qui, mettant sous la sauvegarde de la tendresse paternelle le bonheur des enfants, laissent au père le soin de prononcer sur ce qui leur importe davantage jusqu'au moment où, soumis à des devoirs personnels, ils ont le droit de se décider eux-mêmes. »

C'était aussi dans une pensée de famille, mais par une singulière erreur, que le comité ne demandait qu'un petit nombre d'écoles de département pour les filles et les admettait dans les écoles primaires seulement jusqu'à huit ans, invitant, après cet age, « les pères et mères à ne confier qu'à eux-mêmes l'éducation de leurs filles ».

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Considéré comme déclaration de principe, le plan de Talleyrand est remarquable à plusieurs titres, quoiqu'il affecte une symétrie admi- . nistrative qui n'était pas conforme aux besoins des diverses régions de la France, qu'il sacrifie la province à Paris, qu'il repousse systématiquement l'instruction du sexe féminin et qu'il ne précise rien sur les moyens d'exécution. Comme celui de La Rochefoucauld,il avait le défaut d'être trop vaste et d'imposer à l'État, auquel incombait la dépense, des charges disproportionnées aux ressources dont il disposait alors.

Toutefois le plan de La Rochefoucauld prêtait plus à la critique. Avec l'auteur on peut dire qu'en raison de la solidarité sociale, l'État doit à tous également protection et sécurité, et que de plus, il doit donner, en proportion de ses ressources et de l'état général de la civilisation du pays, l'assistance à ceux qui en ont besoin; mais, il importe d'ajouter que, si la protection est absolue, l'assistance est limitée, d'une part, par la richesse publique, et d'autre part, par les devoirs des individus envers eux-mêmes et envers leur famille. Confondre les deux choses et les faire peser au même titre sur le gouvernement, c'est

tous les degrés de la société ; que l'élève des écoles primaires qui a manifesté des dispositions précieuses qui l'appellent à l'école supérieure, y parvienne aux dépens de la société, s'il est pauvre... et ainsi de degré en degré, et par un choix toujours plus sévère, jusqu'à l'Institut national... Par là, aucun talent véritable ne se trouvera perdu ni négligé, et la société aura entièrement acquitté sa dette. »--- Rapport,

incliner sur une pente qui conduirait vers le communisme. Cette confusion est peu apparente dans le plan de Talleyrand.

Comme le plan du comité de mendicité, celui du comité de Constitution resta à l'état de projet. Il fut bien accueilli par les Feuillants dont il paraît avoir reflété les idées générales. Mais il fut critiqué par les Jacobins, et quand il vint en discussion, le 25 septembre, Buzot demanda l'ajournement, Camus critiqua la création à Paris d'un comité central de l'éducation nationale, et quoique Talleyrand eût réduit de 208 à 35 le nombre des articles à voter, la Constituante, qui était sur le point de se séparer, applaudit aux paroles de Talleyrand, vota l'impression du rapport et prononça l'ajournement du projet à la prochaine législature. Elle se contenta de quelques réformes de détail 2 et laissa subsister provisoirement les écoles des frères et les collèges 3.

1. 25-26 septembre 1791. Voir dans le Dictionnaire de pédagogie et d'instruction primaire, les articles France et Talleyrand-Périgord.

2. Les professeurs astreints au serment civique (27 novembre 1790); l'école de dessin de Paris subventionnée (4 septembre 1790); des écoles gratuites des ponts et chaussées créées (31 décembre 1790, 17 janvier 1791); des écoles de marine dans les principaux ports (30 juillet, 10 août 1791); l'obligation de faire preuve de noblesse pour entrer à l'école militaire, supprimée (30 mars 1790). Lorsque les biens du clergé eurent été mis à la disposition de la nation, la Constituante, par une loi du 28 octobre5 novembre 1790, ajourna la vente des établissements destinés à l'enseignement public.

3. Voir les séances des 1er juillet, 15 août, 13 octobre 1790 et 25 septembre 1791.

CHAPITRE IV

PRINCIPES ÉCONOMIQUES DE LA CONVENTION

SOMMAIRE. Les principes de 1789 et ceux de 1793 (77). Les théories communistes et le droit de propriété (78). L'abolition de la propriété féodale et les biens des émigrés (83). La liberté de l'industrie (85). L'acte de navigation et le commerce avec l'Angleterre (87).

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Les principes de 1789 et ceux de 1793. — La Révolution précipitait sa marche. A peine la Constitution de 1791 venait-elle d'être proclamée et les nouveaux pouvoirs commençaient-ils à s'installer, que déjà les esprits s'agitaient pour d'autres transformations. La Constituante, sage dans les réformes civiles que réclamait depuis longtemps le bon sens public, avait été moins heureuse dans sa réforme administrative et politique. Frappée des dangers de l'absolutisme, elle avait amoindri la royauté jusqu'à la réduire à l'impuissance; elle avait sup- 2. primé la hiérarchie des pouvoirs administratifs, énervé l'autorité judi- 3. 4. ciaire et alarmé les consciences catholiques par l'organisation civile du clergé. Par amour de l'égalité, elle avait repoussé le système des deux Chambres. Une seule Assemblée disposait de tout et entraînait par ses 5. votes la politique tout entière, sans contre-poids pour la maintenir elle-même. A toute époque, une pareille Constitution eût été un danger; dans un temps où les passions bouillonnaient, elle risquait del devenir bientôt impraticable.

Le désintéressement inopportun de la Constituante, qui ne voulut) pas que ses membres fissent partie de la Législative, la rendit plus impraticable encore. La direction des affaires fut abandonnée à des hommes nouveaux, naturellement plus exaltés. En moins d'un au, le courant révolutionnaire emporta Assemblée et royauté, et la Convention se réunit pour fonder la République française. Des Constitutionnels la puissance avait passé aux Girondins ; des Girondins elle passa aux Montagnards; et quand la division eut éclaté au sein de la Montagne, elle demeura aux Robespierristes. Dans la rapide succession d'hommes et de partis que la Révolution dévorait, la victoire, jusqu'au 9 thermidor, resta presque toujours aux plus ardents. Toutefois, entre la Législative et la Convention, il y a plus d'un trait de ressemblance. Girondins et Robespierristes différaient en réalité par les mœurs plus

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que par les principes, et on a, sur plus d'un point, peine à trouver en eux les caractères distincts de deux écoles politiques.

Mais entre la Constituante et la Convention, la différence est plus profonde que les ressemblances, quoique le souffle de Rousseau eût passé sur l'une et sur l'autre, et c'est avec raison que l'on dit: les principes de 1789, et les principes de 1793.

La diversité des tendances s'était manifestée sous la Constituante. Quand dans une de ses dernières séances, l'Assemblée avait sévi contre la municipalité de Soissons, qui laissait le peuple arrêter des voitures de grains, Robespierre avait réclamé, disant que la municipalité avait bien fait, parce que le peuple devait être inquiet sur sa subsistance, et les tribunes avaient applaudi. C'était déjà la doctrine du salut public justifiant l'oppression de la liberté.

La Convention émanait du suffrage universel que la Législative avait proclamé après le 10 août. Cependant la très grande majorité des députés se composa de gens de robe et de cultivateurs; peu de négo ciants, un seul ouvrier, parait-il. Marat les dénonçait, après les élections, à la malveillance populaire: « Qu'attendez-vous des hommes de cette trempe? Ils achèveront de tout perdre si le petit nombre de défenseurs du peuple appelés à combattre n'ont le dessus et ne parviennent à les écraser.Si vous ne les environnez d'un nombreux auditoire,si vous ne les dépouillez du talisman funeste, l'inviolabilité, si vous ne les livrez au glaive de la justice populaire, dès l'instant qu'ils viendront à manquer à leurs devoirs... c'en est fait de vous pour toujours 3. »

Les théories communistes et le droit de propriété. Les théories communistes de Morelly, de Mably, de Brissot de Warville, de

1. Assemblée nationale, séance du 23 septembre 1790, au soir. Voir aussi dans l'Hist. parlem. (t. VII, p. 230) un article de l'Ami du roi, qui trouve Robespierre beaucoup plus logique que l'Assemblée.

2. Noël Pointe Cadet, ouvrier armurier à Saint-Etienne. Voir Histoire socialiste, par M. J. JAURĖS, p. 113.

3. Hist. socialiste, p. 45.

4. Le Code de la nature de MORELLY avait paru en 1755 (deux ans après les Iles flottantes ou la Basiliade). Dans cet ouvrage Morelly pose d'abord comme un axiome que « là où il n'existerait aucune propriété, il ne pourrait exister aucune de ses pernicieuses conséquences ».

5. MABLY a publié en 1768 ses Doutes sur l'ordre essentiel et naturel des sociétés pour réfuter la doctrine de MERCIer de la Rivière ; en 1776 son Traité de législation, et des Droits et des devoirs du citoyen. Lycurgue et Platon sont les modèles qu'il

propose.

6. BRISSOT a publié en 1780 les Recherches philosophiques sur le droit de propriété et le vol. L'auteury expose,avec des arguments grossièrement naturalistes, les appétits de l'homme et de l'animal. Il dit que toute propriété procède du droit du premier occupant, lequel n'est qu'une usurpation. « Qu'on nous montre un endroit de la nature où elle l'ait consacrée. Si le possesseur n'a aucun besoin, si j'en ai, voilà

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