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Après le 9 thermidor d'autres idées prévalurent. Le comité d'instruction publique, sous l'inspiration de Daunou et de Siéyès, reprit, en le réduisant, le plan du 26 juin 1793 dont ils étaient les auteurs, et Lakanal en fut encore le rapporteur. « La France ne gémirait pas aujourd'hui sur le vide de l'instruction publique si les principales bases du plan que nous vous présentons n'avaient été rejetées sur la motion du tyran Robespierre, que vous avez arrêté sur les marches du trône pour l'envoyer à l'échafaud. » Le plan fut voté (loi du 27 brumaire an III-17 novembre 1794).Il devait y avoir au moins une école primaire par mille habitants (ce qui était tout à fait insuffisant, un très grand nombre de communes n'ayant pas ce nombre d'habitants), et chaque école devait avoir un instituteur et une institutrice nommés par le peuple (excepté durant la période révolutionnaire) et recevant de la République un traitement uniforme de 1,200 livres (et même 1,500 dans les villes de plus de 20,000 habitants) pour les instituteurs et de 1,000 pour les institutrices. Ils devaient enseigner la lecture, l'écriture, le calcul, les éléments de l'histoire et de la géographie, les premières notions de la physique, la Constitution et la morale républicaines, la gymnastique, et employer une partie du temps à des ouvrages manuels et à des travaux domestiques. Lakanal s'employa activement à organiser l'application de la loi; il le fit avec un esprit libéral, sans exclure même les anciens prêtres. Lakanal et quatre autres représentants furent envoyés en mission dans les départements pour hater cette organisa

tion 1.

Ce ne fut pas le dernier mot de la Convention. La Constitution de l'an III, adoptée le 6 fructidor, contenait un chapitre consacré à l'instruction. D'après le plan général de la commission des onze chargée d'élaborer cette Constitution, l'instruction devait être une des lois organiques de la République. Daunou lut un long rapport (24 juin 1795) dans lequel il traitait des écoles primaires, des écoles centrales, des écoles spéciales, de l'Institut national, des encouragements et des fêtes. Ce ne fut que quatre mois après qu'il put reprendre la question; dans son exposé il rendit hommage aux auteurs des premiers projets. « Nous n'avons fait que rassembler leurs idées éparses en les raccordant aux principes de la Constitution républicaine, nous nous honorons de recommander ce projet des noms de Talleyrand, de Condorcet et de

1. Les documents relatifs à cette mission, qui se trouvent aux Archives nationales, F 3010, présentent pour la plupart un triste état des écoles. Voir l'École sous la Révol. franç., par VICTOR PIERRE, p. 134 et suiv.

2. C'est le titre X de la Constitution; il comprend 6 articles: « ART. 296. Il y a dans la République des écoles primaires où les élèves apprennent à lire, à écrire les éléments du calcul et ceux de la morale. La République pourvoit aux frais de logement des instituteurs préposés à ces écoles.»> — « ART. 300. Les citoyens ont le droit de former des établissements particuliers d'éducation et d'instruction... »

plusieurs autres écrivains. Nous n'avons laissé que Robespierre, qui vous a aussi entretenus d'instruction publique et qui jusque dans ce travail a trouvé le secret d'imprimer le sceau de sa tyrannie stupide, par la disposition barbare qui arrachait l'enfant des bras de son père, qui faisait une dure servitude du bienfait de l'éducation, et qui menaçait de la prison, de la mort les parents qui auraient pu et voulu remplir eux-mêmes le plus doux devoir de la nature, la plus sainte fonction de la paternité... Nous nous sommes dit liberté d'éducation domestique, liberté des établissements particuliers d'instruction; nous avons ajouté liberté des méthodes instructives. >>

Mais en écartant les visées ambitieuses de ses devanciers il aboutissait à un plan beaucoup trop étriqué. Dans chaque canton, une ou plusieurs écoles primaires dans lesquelles on enseignerait « à lire, à écrire, à calculer, et les éléments de la morale républicaine >> ; un local avec jardin fourni à l'instituteur par la commune; pour tout traitement, la rétribution scolaire dont le taux serait fixé par l'administration départementale et dont le quart des élèves pourrait être dispensé pour cause d'indigence: telle était la loi du 3 brumaire an IV (25 octobre 1795), qui fut votée sans débat dans l'avant-dernière séance de la Convention 1.

Deux mois auparavant Grégoire avait dénoncé, non sans exagération il est vrai, le triste résultat de la destruction de l'ancienne organisation pédagogique, à la place de laquelle on n'avait mis que des plans sur le papier: « L'éducation n'offre plus que des décombres. Il nous reste vingt collèges agonisants. Sur près de 600 districts, 67 seulement ont quelques écoles primaires 2. » C'est qu'en effet la Révolution avait privé de leurs revenus les établissements, petits ou grands, dirigés par des prêtres ou des congréganistes; elle avait dispersé les congrégations et les avait exclues de l'enseignement public, elle avait écarté même des laïques, d'abord en exigeant le serment civique, ensuite en proscrivant les personnes 3.

Fondations pédagogiques. En matière d'école primaire, les plans

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1. Réimpression du Moniteur, t. XXII, p. 9. Pour tout ce qui concerne l'instruction, voir le Vandalisme révolutionnaire, par E. DESPOIS et surtout l'article Convention et autres par M. GUILLAUME dans le Dictionnaire de pédagogie et d'instruction primaire. L'article Convention est un recueil complet des projets et des lois sur l'instruction durant cette période.

2. Déjà sous la Terreur le Comité de salut public avait reçu nombre de doléances des municipalités qui ne pouvaient trouver d'instituteurs. Le 22 germinal an II, ce comité avait écrit au comité d'instruction publique pour lui signaler « l'embarras qu'éprouvent les municipalités pour trouver des instituteurs dont, dans plusieurs départements, la rareté se fait sentir ». L'Ecole sous la Révol. franç., p. 79.

3. Le supérieur général des frères des écoles chrétiennes fut emprisonné pendant quinze mois à Lyon. L'Ecole sous la Révol. franç., par VICTOR PIERRE, p. 40.

successivement adoptés par la Convention avaient abouti en définitive à un avortement. Les auteurs des projets étaient des théoriciens qui érigeaient en loi ce qu'ils croyaient désirable, sans se préoccuper du possible. Ils avaient à peine traité les questions de préparation des maîtres, de construction des écoles, et ils avaient négligé la question financière, la plupart faisant peser toute la dépense sur le budget de l'État qu'alimentait alors sans limite la presse aux assignats.

Cependant la Convention n'avait pas négligé entièrement le côté pratique. Elle fonda l'Ecole normale qui était destinée à former des instituteurs ; mais le programme et surtout les visées du rapporteur Garat dépassaient l'école primaire. Le nombre des élèves envoyés par les départements fut de plus de 1,300, ce qui ne permettait pas un enseignement individuel; aussi la moindre partie des élèves put-elle assister aux cours, qui ne durèrent que quatre mois 2.

La Convention fit composer des livres élémentaires. En juin 1793, elle ouvrit un concours pour la publication de ces livres, sans succès il est vrai. Cependant quelques volumes furent édités; un des premiers fut l'Annuaire du cultivateur de Romme. Elle dressa mensuellement un recueil des actes héroïques qu'elle fit imprimer et distribuer dans les écoles publiques. Elle institua des fêtes nationales dont elle essaya, d'une manière plus pédante que fructueuse, de faire une école de morale et de patriotisme pour la jeunesse.

Vous avez fondé l'Ecole normale, les écoles primaires s'organisent de toutes parts; les livres élémentaires sont composés; il vous reste un pas à faire pour monter tout le système de l'instruction nationale», disait un rapporteur, lorsqu'après le 9 thermidor le discrédit des théories égalitaires eut permis à des projets plus modernes de se produire à la tribune la Convention décréta en février 1795 l'établissement des écoles centrales. Celles-ci étaient destinées à recevoir les enfants au sortir des écoles primaires et à leur donner une instruction générale appropriée aux carrières industrielles. Les langues mortes, selon le vœu fréquemment exprimé depuis Condorcet, y cédaient la première place aux sciences. Il devait y avoir une école par

1. Décret du 9 brumaire an III (30 octobre 1794). Voir le Centenaire de l'Ecole normale (1795-1895), livre II, l'Ecole normale de l'an III, par M. Durvy,

2. C'est en 1808 seulement qu'a été créée réellement l'Ecole normale supérieure pour la préparation des professeurs de l'enseignement secondaire.

3. Séance du 25 février 1795, Réimpression du Moniteur, t. XXIII, p. 558. 4. Chaque école avait treize professeurs, savoir: un professeur de mathématiques, un professeur de physique et de chimie expérimentales, un professeur d'histoire naturelle, un professeur de méthode des sciences ou d'analogie et d'analyse des sensations et des idées, un professeur d'économie politique et de législation, un professeur de l'histoire philosophique des peuples, un professeur d'hygiène, un professeur d'arts et métiers, un professeur de belles-lettres, un professeur de langues anciennes, un professeur de langues vivantes les plus appropriées aux

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300.000 habitants, puis, d'après la loi du 3 brumaire an IV, une école par département. Chaque école devait avoir sa bibliothèque publique ; les professeurs, nommés et jugés par un jury central, devaient, indépendamment des leçons ordinaires, faire chaque mois une conférence publique, et les élèves pauvres qui se distingueraient le plus dans la fête de la Jeunesse devaient recevoir une pension pour fréquenter l'école de leur département 1. Sur ce point, le désir de propager l'instruction dont était animée la Convention aboutissait à une institution, critiquable dans son fonctionnement, insuffisante sous le rapport des humanités, mais pratique et propre, avec les modifications que l'expérience y aurait apportées, à préparer à la carrière industrielle.

L'œuvre accomplie était en somme peu de chose,à côté de l'institution rêvée. Si les meilleures parties des plans de Condorcet, de Lakanal, de Daunou avaient pu alors être sérieusement appliquées, la France n'aurait pas attendu une génération encore pour avoir une organisation de l'enseignement primaire public.

Les beaux-arts. Le zèle de la Convention pour la propagation des lumières se manifesta par d'autres créations, qui ont été des nouveautés ou des transformations d'établissements de l'ancien régime : le Conservatoire des arts et métiers, dont nous avons déjà parlé, le Salon, le Musée du Louvre, l'Institut 2.

L'Académie de peinture était un privilège,et à ce titre elle avait des envieux. Un jour, en février 1793, son local fut envahi par une bande. La même année (décret du 8 août 1793) la Convention supprima toutes les Académies: ce qui n'empêcha pas l'Académie de peinture de tenir son école. Mais l'autorité passa en d'autres mains : d'abord à une Commune des arts, qui constituée par décret 3 sous l'influence de David, organisa le Salon de 1793. En ventôse an II, le Club révolutionnaire des arts ou Société républicaine, se forme et s'installe au Louvre; David en est l'inspirateur. En brumaire, un jury national des arts est institué, jury de cinquante membres dont Proudhon et Gérard font partie, dans lequel David a encore la haute main. Enfin, par les décrets du 5 fructidor an III et du 3 brumaire an IV, la Convention créa l'Institut national chargé de donner aux lettres et aux arts la direction suprême.

localités, un professeur des arts du dessin. La loi du 3 brumaire an IV ne mentionne que les professeurs pour les trois sections successives de l'enseignement: 1re section dessin, histoire naturelle, langues anciennes, langues vivantes (facultatif); 2o section, mathématiques, physique et sciences; 3o section, grammaire générale, belles-lettres, histoire, législation.

1. Voir la discussion dans la Réimpression du Moniteur, t. XXIII, p. 558, et le décret du 7 ventôse an III (25 février 1795).

2. Voir le Vandalisme révolutionnaire, par E. DESPOIS, et Histoire du luxe, t. IX, par BAUDRILLART.

3. Décret du 7 juillet 1793, lequel fut rapporté peu de temps après.

Mais elle n'y faisait qu'une place étroite aux beaux-arts, qu'elle confondait dans une même classe avec les lettres; parmi les peintres figuraient David, Vien, Vincent, Regnault; parmi les sculpteurs, Pajou et Houdon; parmi les architectes, Peyre et Gaudoin.

La Constituante (décret du 26 juillet 1791) avait ordonné la réunion des « monuments des sciences et des arts » dans le palais du Louvre. La Convention décréta (27 septembre 1792) la création dans les galeries de ce palais d'un Muséum qui fut en effet ouvert le 18 novembre 1793, mais à peine installé dans une seule pièce, le salon Carré 1. Le Musée des antiquités et monuments fut aussi créé par la Convention et confié à la direction d'Alexandre Lenoir, qui parvint à le défendre contre la malveillance pendant toute la durée de l'empire.

La Convention se faisait en somme une haute idée du rôle social des arts. Si les temps étaient trop troublés pour qu'elle pût la réaliser, il est juste cependant de lui tenir compte de ses intentions. Il ne faut pas oublier les efforts qu'à plusieurs reprises elle a faits pour arrêter le vandalisme qui démolissait les châteaux et mutilait les églises, les prix qu'elle décerna à l'occasion du Salon, les concours qu'elle ouvrit pour la construction d'édifices publics, les commandes qu'elle fit afin d'encourager et de soulager les artistes dont beaucoup, se trouvant sans travail, étaient tombés dans la misère 3. A l'occasion du concours qu'elle ouvrit le 15 prairial an II et à la suite duquel cent soixante-huit prix furent décernés, le Conservatoire du Muséum célébrait la mission nouvelle des arts dans le langage emphatique du temps: « Les arts vont prendre un libre essor! C'est du sein du volcan qui lance la foudre sur les tyrans que s'élancent à l'envi les arts qui doivent chanter et transmettre à la postérité les travaux sublimes du peuple libre *. »

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Mendicité et secours publics. Les systèmes égalitaires ne se préoccupaient pas d'atténuer par des secours publics les effets de l'indigence. Ils croyaient la biffer d'un trait de plume. «La société, disait Robespierre dans l'article 11 de son projet de Déclaration des droits de l'homme, est obligée de pourvoir à la subsistance de tous ses membres, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens d'exister à ceux qui sont hors d'état de travailler. » Les vieillards de

1. L'administration changea plusieurs fois sous la Convention. L'une d'elles, le Conservatoire du Muséum, refusa d'admettre les tableaux hollandais et les Boucher comme indignes. Il est juste d'ajouter que leurs successeurs eurent le jugement plus éclectique et plus sain. - L'Art français sous la Révolution et l'empire, par M. BENOIT, p. 113.

2. Décret du 4 juin 1793, voté sur la proposition de Lakanal, qui punit de deux ans de fers la dégradation des édifices publics; décret du 24 octobre 1793, sur la proposition de Chénier; décret du 14 fructidor an II.

3. Décrets du 17 vendémiaire et du 7 floréal an III. Tous les ans jusqu'en 1801, 40,000 francs furent affectés à des encouragements aux artistes.

4. Cité par M. BENOIT, l'Art français..., p. 235.

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