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Aussi le 5 novembre, le Roi ouvrant la cession de 1821 à 1822 put prononcer des paroles rassurantes. «Partout, dit-il, les passions se calment, les défiances se dissipent. >> Il annonçait une prochaine diminution de la contribution foncière, et, portant le regard sur l'orient, il témoignait le vœu que la prudence et le bon accord de toutes les puissances missent un terme aux calamités en conciliant les droits de la religion, de la politique et de l'humanité.

La session n'allait pas moins s'ouvrir par un brusque retour de politique.

La réaction qui s'était faite en France et en Europe dans la marche des esprits et dans la conduite des affaires, avait accru l'exigence du parti royaliste. Le rôle accepté par M. de Villèle au conseil des ministres, où il était entré comme ministre d'Etat sans portefeuille, ainsi que M. Cor bière, avait paru mal répondre à la dignité d'un parti qui devait n'être aux affaires que pour les conduire. Châteaubriand, nommé ambassadeur à Berlin, n'avait fait qu'y paraître, et il était revenu prendre ses allures naturelles de mécontentement et d'opposition. Le renouvellement de la Chambre avait d'ailleurs grossi la droite, et on avait vu reparaître quelques noms royalistes qui avaient brillé dans les anciens combats contre les restes des partis révolutionnaires, et entre autres Delalot, écrivain politique qui avait eu son éclat et sa renommée. Dès la première discussion de l'adresse, qui allait répondre au discours du Roi, la droite fit sentir sa force et son vouloir. Elle résolut de s'emparer de la majorité, fut-ce par une lutte peu motivée; ce fut un tort, mais elle réussit dans son dessein. M. Delalot fit introduire dans l'adresse une phrase qui ressemblait à une offense; la voici : « Nous nous félicitons, Sire, de vos relations constamment amicales avec les puissances étrangères, dans la juste confiance qu'une paix si précieuse n'est point achetée par des sacrifices incompatibles avec l'honneur de la nation et la dignité de votre

couronne. »>

Un orage éclata dans la Chambre à ces paroles; et le centre vit se lever contre lui les deux oppositions extrêmes,

coalition d'exemple pernicieux, déterminée par des motifs contraires : la gauche voyant dans la défiance qui était exprimée une déclaration suffisante de sa politique, la droite pensant témoigner de la sorte son regret de ne pas voir le Gouvernement s'engager dans les luttes armées contre l'anarchie. Telle est la facilité des partis de parlement à se complaire mutuellement par des artifices; à force de ruse, ils perdent souvent la bonne foi et la dignité.

Le roi, bien qu'il eut créé le régime constitutionnel, ne savait point s'accoutumer à la nullité conventionnelle que ce régime impose au monarque. Il était roi, et toute injure faite à ses ministres blessait sa fierté. Le président de la Chambre Ravez et les deux secrétaires furent seuls admis à présenter l'adresse au roi, et lorsqu'on voulut la lui lire, « Je connais, dit-il, l'adresse que vous me présentez... Dans l'exil et la persécution, j'ai soutenu mes droits, l'honneur de ma race et celui du nom français. Sur le trône, entouré de mon peuple, je m'indigne à la seule pensée que je pusse sacrifier l'honneur de la nation et la dignité de ma couronne. J'aime à croire que la plupart de ceux qui ont voté cette adresse n'en ont pas pesé toutes les expressions; s'ils avaient eu le temps de les apprécier, ils n'eussent pas souffert une supposition que, comme roi, je ne dois pas caractériser; que, comme père, je voudrais oublier. »

Ainsi Louis XVIII gardait sa dignité devant les oppositions, si ce n'est que, par rapport à la Charte, sa plainte manquait d'exactitude, et, par rapport à la royauté même, sa langue affectait une forme de paternité peu propre à imposer à la méchanceté cachée des partis.

Les deux oppositions, d'ailleurs, par cette coalition d'un moment, avaient ébranlé le ministère, et le pouvoir n'avait plus qu'à choisir le côté où il tomberait. A gauche, c'était la révolution; à droite, c'était la monarchie : le choix fut pour la droite.

M. de Villèle, esprit calme et attentif, avait prévu ce mouvement politique. Dans le vote de l'adresse, il s'était abstenu, se séparant assez des ministres pour paraître im

prouver leur faiblesse, et assez des oppositions pour paraître blâmer leurs connivences.

C'est ce qui appela sur lui la pensée du roi. Le 14 décembre, Paris s'étonna d'apprendre un changement complet de système; M. de Villèle était ministre, et avec lui M. Corbière, M. de Peyronnet, le vicomte Matthieu de Montmorency, le maréchal Victor, duc de Bellune, le marquis de Clermont-Tonnerre. M. Laîné sortit du conseil où il était comme ministre d'Etat, et il rentra dans sa vie de philosophe sans regret et sans murmure. M. de Cases avait été fait ambassadeur à Londres; il envoya sa démission; Châteaubriand fut nommé à sa place.

Ainsi les royalistes entraient triomphalement aux affaires. Tout leur était propice. Une majorité considérable se constituait d'elle-même entre le côté droit et les centres, laissant en dehors un petit nombre d'esprits impétueux qui allaient continuer de pousser en deux sens la politique à des limites extrêmes, soit de révolution, soit de monarchie. Et hors des chambres, l'opinion publique se tournait vers les réformes qui promettaient la sécurité et le bien-être. Les travaux d'industrie et de commerce redoublaient d'activité; les arts de l'esprit avaient repris un éclat qu'ils n'avaient point connu depuis le xvIII° siècle. Les lettres florissaient; les académies rivalisaient; les théâtres se réformaient; des sociétés littéraires s'instituaient; de grandes écoles s'ouvraient; et, dans cette activité générale de l'esprit humain, de grands talents venaient d'éclore; une poésie nouvelle était apparue. Quelques noms brillaient entre tous les autres : Lamennais et de Maistre occupaient le sacerdoce et le monde; Lamartine et Victor Hugo éblouissaient les salons par leurs premiers jets de génie; les lettres, tout en franchissant parfois les vieilles limites, indiquaient un travail puissant et novateur; le nom de la Restauration, en un mot, désignait, dès lors, une ère éclatante de prospérité et de poésie, et il était beau pour les royalistes, en prenant possession du gouvernement, de pouvoir donner l'impulsion à cet esprit de renouvellement et de création.

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Les factions toutefois restaient armées de leurs haines et de leurs complots. Elles avaient fini par pénétrer dans l'armée, et l'année s'achevait par la découverte de conjurations qui devaient éclater en plusieurs lieux à la fois elles se rattachaient à la conjuration déjà découverte en 1819. A Béfort, il y eut un commencement d'explosion; le lieutenant du roi, Toustain, arrêta les conspirateurs. A Saumur, l'école de cavalerie devait se mettre en révolte et proclamer Napoléon II. Les conjurés furent déférés au conseil de guerre. A Toulon, on découvrit des organisations prêtes à éclater; un capitaine, nommé Vallée, était le chef du complot. Ainsi, tandis que la politique ramenait l'État à ses conditions naturelles, les partis attisaient la haine et ourdissaient des trames. Les royalistes allaient avoir à justifier leur entrée au ministère en affermissant les lois, en contenant les passions, et faisant renaître la sérénité.

CHAPITRE VI.

Exaltation des partis. Entreprise du général Berton. Désordres en divers lieux à l'occasion des missions. -Désordres à Paris.

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Complot militaire à La Rochelle. Ordre dans le vote du budget; deux législatures. M. Frayssinous, grand-maître de l'Université. Poursuite des complots. Les sociétés secrètes; cause célèbre, réquisitoire de Marchangy. Condamnation des accusés del La Rochelle. L'Espagne en proie à l'anarchie. - Congrès de Vérone. Rôle de la France au congrès. Matthieu de Montmorency et Châteaubriand. - Politique de M. de Villèle. Les politiques et les fanatiques. - Agitations libérales. - Apprêts de guerre contre l'Espagne révolutionnaire. Discours du roi. Exaltation des opinions; double direction des partis. Paroles de Manuel à la chambre. Expulsion de Manuel. Le duc d'Angoulême à l'armée française des Pyrénées. — Entrée en Espagne. Proclamation du duc d'Angoulême. Incident sur la Bidassoa. Coup de canon sur le drapeau tricolore... Marche rapide de l'armée. Divers combats. Le duc d'Angoulême à Madrid. Périls politiques. Conflits avec les royalistes d'Espagne. clamation du prince. - Il institue une régence pour le roi captif. Marches et nouveaux combats. Ordonnance fameuse d'Andujar. Irritation du parti royaliste. Siége de Cadix. Beaux faits d'armes. La Révolution sent son pouvoir mourir. — Les cortès veulent négocier. Bombardement de Cadix. Délivrance de Ferdinand. Scènes touchantes. Modifications ministérielles å Paris; le duc d'Angoulême rentre en France. — Desseins de politique; la chambre est dissoute. - Mort de Pie VII. Session des chambres. Projet de conversion de la rente. Emportement des opinions. Opposition à la chambre des pairs. Châteaubriand hors du ministère. - Eclat des oppositions royalistes. - Censure des journaux. Égarement des opinions. Maladie du roi. Il

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meurt. Jugement sur Louis XVIII.

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Pro

Le premier effet de l'avénement d'un ministère royaliste fut d'irriter et d'exalter les partis révolutionnaires.

On venait de saisir des complots armés. Bientôt se découvrirent tous les périls que faisaient courir à la société poli

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