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cette flétrissure des vieux siècles, et, à leur suite, marchèrent des écrivains vulgaires, manoeuvres chargés de corrompre toutes les histoires, sans exception, comme si, pour croire à la liberté moderne, il avait fallu croire à la servitude universelle de tous les peuples.

Mais un grand événement s'annonçait à la France. Le roi était depuis quelque temps affaibli. Au jour de sa fête, le 25 août, l'altération de ses traits parut inquiétante; il continua toutefois quelque temps encore ses travaux et ses promenades. Il y avait en dehors des agitations produites par la politique un sens public, favorable à Louis XVIII; le peuple croyait à sa raison et à ses lumières, condition d'autorité morale en tout pays, et surtout en France. On aimait d'ailleurs cette dignité de roi, si merveilleusement gardée dans tous les passages de la fortune, sur le trône et dans l'exil. Et lorsqu'on soupçonna que la vie de Louis XVIII touchait à son terme, il se fit un serrement de cœur dans tout le peuple; il semblait que ce fut une fin d'empire qui s'annonçait. La maladie devint sérieuse; on publia des bulletins; et la population courut aux Tuileries suivre en silence et avec émotion les progrès du mal. Louis XVIII n'oublia pas, dans ces approches de la mort, la vieille étiquette, cette symétrie de la dignité. Il s'était opposé plusieurs jours à la publication des bulletins. « Vous ne savez donc pas, disait-il, ce que c'est que la dernière maladie d'un roi ! Il faudrait alors fermer la bourse et les spectacles. » Enfin, le 13 septembre, on vit entrer au château le grand aumônier, suivi du premier aumônier, du curé de St-Germainl'Auxerrois et du clergé de la chapelle, cortége solennel, qui annonçait que l'étiquette même était vaincue. A la vue de cet appareil, le peuple se mit à genoux, priant et pleurant; pendant ce temps, la religion apportait sa dernière force à une âme près de quitter la vie. Louis XVIII avait gardé la foi d'un fils de St-Louis, il n'en avait pas eu la piété : la trace de la philosophie du xvIII° siècle était restée sur son intelligence; à l'approche de sa dernière heure, elle s'effaça. Son frère ne le quittait pas depuis deux jours; lorsque le prêtre apparut : « Mon frère, lui dit le roi, vous

avez des affaires qui vous réclament, moi j'ai des devoirs à remplir. » Puis, lorsqu'il fallut lui administrer les sacrements, la famille entière fut appelée avec les grands officiers de la cour; c'était une coutume pour les rois de ne s'en aller de la vie qu'avec cette solennité, comme pour attester qu'ils mouraient comme il convenait à des rois très-chrétiens.

Le roi vécut deux jours encore, Paris était morne ; les églises se remplissaient de fidèles priant pour le roi ; les fêtes du dimanche furent interrompues; le lundi, le peuple des faubourgs déserta les barrières; enfin, le 16, à huit heures du matin, le roi expira après une tranquille agonie. Il y eut au palais des scènes d'émotion et de larmes. Le comte d'Artois était à genoux près du lit; il baisa la main de son frère en pleurant et sanglotant; à sa douleur s'ajoutait une pensée triste, il sentait qu'il était roi !

Louis XVIII devait laisser dans l'histoire une renommée diverse. Né au milieu de toutes les décadences, et ayant été touché par les altérations qui avaient affecté à la fois les choses et les hommes, les mœurs et les lois, il avait retenu une dignité personnelle et une sorte de fierté, qui sembla souvent faire contraste avec la liberté des idées et la facilité des opinions. Il était entré dans le premier mouvement de la révolution française, comme s'il eût cru concilier les nouveautés qu'elle apportait au monde avec les habitudes et les besoins d'étiquette, qui faisaient alors toute la grandeur des cours. Ses écrits et ses controverses portent ce double caractère; c'était la suite d'une longue erreur, qui, en dégageant la royauté des lois générales d'une société libre et chrétienne, l'avait condamnée à se faire elle-même principe et raison absolue de son existence et de son pouvoir, de sa volonté et de ses actes.

Et c'est par là que s'expliquent les contradictions de la politique de Louis XVIII, mélange d'idées nouvelles et de pratiques anciennes, heurtant par cela même ceux qui ne croyaient qu'à la puissance des nouveautés, et ceux qui ne croyaient qu'à la sainteté des traditions. De là la double opposition à laquelle son règne fut en butte, opposition

de sour, et opposition de révolution, où l'aristocratie prêtait main forte aux partis démocrates contre un système mixte de constitution, qui armait et irritait à la fois toutes les espèces de vanités.

Louis XVIII eut d'ailleurs résisté difficilement au double courant d'opinions et d'intérêts, qui dès son retour avait enveloppé son pouvoir. Aussi l'histoire l'honore pour avoir gardé, en de telles contradictions, un caractère toujours égal de dignité: ainsi avait-il été grand dans l'exil; ainsi le fut-il sur le trône. Malade, infirme, marchant à peine, roulé dans son fauteuil par des valets, il imposait par le regard et par la parole, et les hommes que la guerre avait élevés, les vieux maréchaux de l'Empire, les ministres et les serviteurs de la Révolution, ceux qui avaient le moins connu la soumission et l'idolâtrie des cours, s'étonnaient de l'espèce de fascination qui les mettait aux pieds d'un vieillard qui n'avait jamais tenu une épée.

En cela, l'autorité des siècles se faisait sentir, autorité à laquelle affectent vainement de se soustraire les rebelles. et les sceptiques; mais le caractère personnel du Roi ajoutait à cet ascendant et à ce respect. On croyait à la supériorité de son esprit, et il avait rendu sa vie imposante par la force avec laquelle il en avait porté les adversités. Son règne se passa à adoucir, par la dextérité de la conduite, les difficultés qu'il s'était créées par l'établissement d'un gouvernement de discussion. Il avait eu, dès le début, à réparer de longues souffrances. La gloire de l'Empire avait coûté à la France bien des pertes et bien des maux. Louis XVIII consola les peuples par une autorité bienveillante; il remit l'ordre dans l'administration et l'économie dans les finances. En six ans, les tributs de la guerre étaient payés, Paris avait retrouvé l'éclat des plus beaux jours, la France avait reconquis sa puissance devant l'Europe. Louis XVIII était lettré et affectait de l'être; il encouragea les écrivains, renouvela l'Institut et raviva les écoles. Les arts parurent renaître; la poésie prit un essor inconnu; co règne est une époque de vie nouvelle. Par malheur, la prospérité n'est pas toujours ce qui suffit aux peuples, si une

TOM II.

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passion secrète reste blessée, celle de l'orgueil. La Révolution avait laissé dans les âmes un sentiment d'égalité inconciliable avec un besoin général de domination. C'est par là que les partis eurent prise sur une portion considérable de la Nation. Louis XVIII, avant de mourir, put pressentir le travail qui pouvait produire des malheurs nouveaux. Quelques émotions de rue avaient troublé son gouvernement, et il avait mis de la fermeté à les contenir. Mais les passions survivaient, et peut-être il se complaisait à penser que le génie de son frère serait insuffisant à les désarmer. Plus d'une fois il jeta des présages sur l'avenir'. C'était une façon de se donner de la gloire; et du moins sa complaisance ne heurtait point les jugements publics; nul ne contestait sa supériorité; l'Europe comme la France louait sa sagesse; il mourut entouré d'hommages

1 Voyez les Mémoires de M. de la Rochefoucault. — 1846.

CHAPITRE VII.

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Charles X roi. Passage pacifique. Impressions diverses; la faveur

succède aux hésitations.

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- Ses premières paroles et ses premiers

actes. Titres nouveaux. Heureux débuts de règne.

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Tout

-

le peuple court à la rencontre du roi. Point de hallebardes!· Visites du roi aux Invalides, à la Bourse, à la Madeleine, à SainteGeneviève. Session des chambres; discours. Manéges des partis ennemis. Reconnaissance de l'indépendance de SaintDomingue. - Vote d'une indemnité pour les émigrés. — Résumé de cette loi.Questions agitées sur l'effet de l'indemnité.-Défiances des partis. - Constitution d'une classe moyenne.-Laffite et Casimir Perrier. Erreurs de politique. Sacre du roi. Serments et solennités.. Fêtes à Paris. - La trève du sacre. Mort du général Foy. — Révolution dans le Nouveau-Monde. Mort de l'empereur Alexandre.-Avénement de Nicolas.-Haines religieuses; ardeur nouvelle des oppositions. Les jésuites et la congrégation. Dénonciations de Montlosier. - Le jubilé à Paris. -Etrange mêlée. - Controverses sur les principes de 1682. L'abbé de Lamennais. · Son livre de la Religion considérée, etc. - Il est traduit devant les tribunaux; sa défense par Berryer. - Délibération des lois; loi sur St-Domingue, lois sur les substitutions. - Troubles nouveaux. Révolution de Grèce. L'AnLa liberté de la presse n'a plus de frein. Essai de compression, projet de loi; révolte universelle. Arrêt de la cour royale sur le mémoire de Montlosier. Nouveau mémoire aux chambres. - Discussion aux chambres; renvoi au conseil des ministres.-Tout s'égare; l'Académie fait de l'opposition; le ministère répond par des actes de colère. - La loi sur la presse est retirée. Illuminations dans Paris. Revue de la garde nationale. A bas les jésuites! Dissolution de la garde nationale. Fureur des écoles; le professeur Récamier à peine sauvé de la mort. - La session s'achève parmi les désordres. Mort de Manuel. Soins de la dignité na- Voyages du roi. tionale. Affaire de Grèce. - Insulte faite au consul de France par le dey d'Alger. O Conduite de la France. Combat de NaDissolution de la chambre. Élections nouvelles. Troubles La police mise en cause.

gleterre favorise les révolutions.

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