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CONTEMPORAINE

QUATORZIÈME ANNÉE

2 SÉRIE.-TOME QUARANTE-SIXIÈME

LXXXime DE LA COLLECTION

PARIS

BUREAUX DE LA REVUE CONTEMPORAINE

1, RUE DU PONT-DE-LODI, 1

1865

Les auteurs et les éditeurs se réservent tous droits de traduction et de reproduction.

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FANFAN D'MA

SEIGNEUR DE BEAUVAL

TABLEAU DE MŒURS LORRAINES

QUATRIÈME PARTIE'

XVIII. - LE ROMAN DE L'ERMITE ET LES VISIONS DE FANFAN D'MA

En ce temps-là, le personnage qui nous a introduits dans la vallée où nous vivons depuis plusieurs mois, cet esprit curieux que nous avons vu d'abord au sommet des collines, puis devant un pupitre noir sur lequel il nous fut permis de lire le titre de ce récit, écrivit de longues lettres dont quelques fragments trouveront ici leur place.

Ermitage de Saint-Gengoult, 6 mai.

« Je ne sais, ma parfaite moitié, si ta tâche s'est remplie avec autant de douceur que la mienne. Elle était bien plus vaste, bien plus attrayante; par les Vosges, la Suisse, le Tyrol, l'Allemagne, tu t'en allais moissonner la petite plante sans nom encore dans les trésors alpestres, la légende attachée au manoir en ruines, la chanson tyrolienne et l'idylle allemande. Un immense horizon s'ouvrait devant toi, tandis que l'ermite abaissait sur ses yeux son capuchon de bure. Qu'as-tu fait ?... Je ne sais. Tes lettres sont rares et courtes. Tu n'as pas le temps de songer, car si tu songeais, tu songerais à

* Voir 2 série, t. XLV. p. 293 Jivr, du 31 mai 1865); p. 482 (livr. du 15 juin); p. 024 livr. du 30 juin'.

.

moi. Moi, j'ai beaucoup de temps, beaucoup de pensées, beaucoup de plaisir ! Le temps, je le gaspille, et les pensées aussi. Le plaisir, je le savoure; mais je désespère de le faire partager; il vient d'événements si petits, de choses si communes !

» L'été, l'automne, l'hiver, le printemps, voilà quel fut mon spectacle depuis notre séparation. Je crois l'avoir consciencieusement décrit. Mais je t'avais promis des choses moins monotones. Une petite églogue devait naître au milieu de tout cela par mes soins.... La vallée lui faisait un cadre charmant; un peu de vie en harmonie avec elle, voilà tout ce qu'il me fallait. Hélas! là était précisément l'écueil; car si l'élément poétique abonde au village, dans la nature qui nous environne, les êtres et la vie viennent, à chaque pas, mêler à l'idéal de fort grossières réalités. C'est un singulier contraste, qui pourrait avoir son côté piquant, si l'on savait bien dire. A défaut de cela, j'en conviens, il peut être choquant. Pour ma part, j'ai pris philosophiquement mon parti des petits mécomptes de l'imagination, et résolu de respecter la vérité, quoi qu'il en pût advenir, pensant d'ailleurs qu'en jetant les fleurs de mon idylle sur la vie rude et la trempe peu flexible des gens qui doivent y figurer, j'imite la nature qui s'évertue bien à parer nos coteaux, et n'empêche point qu'on voie çà et là le sol pierreux, raboteux, épineux, mais riche. Donc, j'ai laissé mes héros tels qu'ils sont, et ne sais pas encore même s'ils seront les héros d'un poême quelconque, fût-ce d'un humble poême en prose.

» J'attends pour déchirer mes notes ou continuer d'écrire. Walty aimera-t-il Fifine? Welty aime Fifine depuis longtemps. Il l'aimait avant que je le connusse; il l'aimait par les yeux, puis, peu à peu, elle a rempli son esprit, elle a gagné son cœur..... Pauvre enfant! Cela lui est venu comme une fièvre, comme une maladie, sans qu'il s'en doutât. Mais Fifine aimera-t-elle le berger? Cette question m'embarrasse plus que la première. Je les ai pesées toutes les deux bien longtemps.

>> Quoique, chaque jour, ils foulassent le même sentier, au coteau des vignes, il y avait si peu d'apparence que mes deux héros se rencontrassent jamais dans le chemin de la vie, encore moins dans celui de la pensée ! Dans le premier, l'héritière était trop au-dessus du vagabond pour s'abaisser jusqu'à lui; dans le second, mon pauvre Walty montait si haut qu'il se perdait dans les nues! Bref, aux yeux du vulgaire, il était de tous points indigne de Fifine; aux miens, Fifine était indigne de lui..... Oui, en vérité, malgré ses beaux yeux, sa fraîcheur et ses dents de perles, Fifine, au milieu de ses plats amoureux, le cœur fermé par la vanité, l'esprit hébété par de grossières illusions, ne méritait pas le culte qu'il lui rendait.

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