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préside à la conservation de l'homme et qui, pour lui, a couvert la terre de ses dons. En effet, la sagesse suprême n'a pu vouloir la fin sans les moyens d'y parvenir. Aussi a-t-elle répandu sur toutes les zones du globe une variété immense de biens pour combler nos besoins et nos désirs. C'est d'elle que nous tenons le sentiment intime et impérieux qui nous porte à veiller activement à notre propre conservation et à notre bienêtre.

Toutes choses furent d'abord communes, parce que toutes étaient également offertes par la main du Créateur, comme destinées indistinctement à notre usage, dans le but de rendre les hommes autant heureux qu'ils peuvent le devenir et qu'ils étaient appelés à l'être.

Au milieu des épaisses ténèbres qui environnent le berceau de l'espèce humaine, on peut faire remonter l'origine du perfectionnement de la chasse, au besoin, dans l'âge pastoral, de garantir les troupeaux de l'atteinte des loups, et d'empêcher les bêtes sauvages de ravager les productions de la terre. Cet art, alors très-exercé, très-utile, fut par conséquent trèshonoré.

Distingué surtout par le don de la parole, fier de sa supériorité et maître du domaine de la terre où il règne par droit de conquête, l'homme donc se rendit redoutable à tous les êtres vivants, qui, cependant, le surpassent en force, en patience, en grandeur de corps, en vitesse, en mille autres avantages, et surtout en celui de se passer mieux que lui de tous secours étrangers. Pour établir sur eux son nécessaire empire, sa fructueuse domination qui est dans les lois de la nature, il étudia, avec une minutieuse persévérance, leur manière de vivre, afin de les surprendre avec plus de facilité. Devenu successivement plus industrieux, il multiplia ses piéges et ses embûches, selon la variété de leur caractère et de leurs allures; dompta le cheval, instruisit le chien, dressa le faucon, prit un arc et des flèches et fit de l'art de détruire depuis l'hôte le plus redoutable des forêts, jusqu'au chantre le plus inoffensif et le

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plus harmonieux du bocage, une science où une théorie raisonnée vient en aide à une pratique persévérante et éclairée.

Cautus enim metuit foveam lupus, accipiterque
Suspectos laqueos et opertum Milvius hamum.

Cet exercice a toujours plu à l'homme; et les auteurs sont unanimes sur ce point, que le redoutable droit de vie et de mort sur les animaux irraisonnables dont la providence a peuplé les campagnes, est une des prérogatives de la créature la plus parfaite qui soit sortie des mains de Dieu.

Les livres saints eux-mêmes ont consacré cette doctrine : Animantia fecit Deus propter hominem hominem autem propter se ipsum.

:

Chrysostome. In Genes. Hom. 28.

A peine sortis de l'arche, les enfans de Noé se livrèrent à la chasse avec ardeur. Dieu leur avait permis d'user, pour leur nourriture, des animaux de la terre, des poissons de la mer et des oiseaux du ciel, de la même manière qu'ils avaient usé des herbes et des fruits. Cette permission était nécessaire pour la conservation de l'ordre dans l'univers.

Il est évident que le pouvoir de l'homme sur les animaux est fondé sur la nature même des choses et qu'il remplit les dispositions du Créateur. La terre est le domaine de l'homme, comme le ciel est le royaume de Dieu. Cependant les disciples de Pythagore n'osaient attenter à la vie d'aucun être vivant : quelques castes d'Indiens regardent encore comme un crime, de donner la mort à aucune espèce de bêtes.

Nemrod qui, le premier, fut puissant sur la terre et qui fonda la superbe Babylone, fut grand chasseur. Erat robustus venator coram Domino. (Genèse, ch. 10. v. 9.) Malheureusement, en tuant les bêtes, il apprit à tuer les hommes.

Dans les ténèbres de l'antiquité, lorsque Dieu renvoya du paradis terrestre Adam et Éve, il les revêtit de peaux : Fecit

quoque Dominus Deus, Adæ et uxori ejus tunicas pelliceas et induit eos. (Genèse, ch. 111. v. 21.)

Ainsi fut donnée à l'homme la première leçon, ainsi lui fut enseigné l'usage qu'il devait faire de certains animaux qui lui offrirent, pour ses vêtemens, une facile res

source.

Esaü fut aussi un habile chasseur. Lorsqu'Isaac mourant voulut lui donner sa bénédiction: Mon fils, lui dit-il, prenez vos armes, votre arc et votre carquois, puis sortez dehors; lorsque vous aurez pris quelque chose à la chasse, vous me l'apprêterez comme vous savez que je l'aime, et vous me l'apporterez afin que j'en mange et vous bénisse avant que de mourir.

Dans tous les siècles, chez toutes les nations, la perfection de cet exercice, qui est un des plus anciens modes d'acquisition que la nature ait enseignés aux hommes, a été en sens inverse de la civilisation. Nos pères, sans doute moins instruits que nous le sommes sur beaucoup de choses, étaient incomparablement plus intrépides, plus adroits chasseurs; et, bien que, sans doute, nous sachions beaucoup, le sauvage de l'Amérique plongé dans la plus profonde ignorance, saurait, sur ce point, en remontrer même au plus habile d'entre nous.

Dans les âges antiques, nos afeux honoraient Diane comme patrone des chasseurs et lui offraient les premices de leur gibier. Ils la représentaient sur un char traîné par des biches, armée d'un arc et d'un carquois rempli de flèches et ayant sur la tête un croissant. Il lui avaient bâti à Ephèse le temple le plus superbe qui fût alors dans le monde. On l'appelait tantôt aypoτepa, c'est-à-dire champêtre ; tantôt polos, c'est-à-dire aux cerfs. Apollon qui partageait avec elle l'encens des chasseurs, était surnommé Axoxtovop, c'est-à-dire tueur de loups.

αγρότερα,

Les Athéniens légers, frivoles, inappliqués, idolâtres des plaisirs, se livraient à celui-ci avec tant de passion, qu'il était dégénéré en habitude et devenu comme un impérieux besoin. Pour y satisfaire, ils négligeaient les arts mécaniques, l'indus

trie et l'agriculture, moyens de prospérité d'autant plus précieux que la nature en fait les frais.

Venator, defessa toro quùm membra reponit,

Mens, tamen, ad sylvas et sua lustra redit.

Solon qui les gouvernait alors le remarqua; et, pour les y ramener, sage législateur même des plaisirs, remontant à la source du mal, persuadé aussi que l'intérêt des sujets est le véritable objet de l'autorité, il défendit au peuple de chasser. Il en était trop l'ami pour le flatter.

Les choses les plus minimes en apparence méritent en effet une sérieuse attention quand elles touchent au bien-être des classes ouvrières.

Dans l'empire romain où le peuple était plus sérieux, plus réfléchi, plus mesuré, plus moral qu'à Athènes, le droit naturel avait été maintenu dans toute son étendue; et bien que la propriété y fût sacrée, comme chez toutes les nations policées, la chasse était permise à tout le monde sur son fonds et même sur celui d'autrui, à moins que le propriétaire n'eût fait signifier des défenses d'entrer sur son héritage, soit pour cette cause soit pour toute autre. Cependant, par ses Novelles 17 et 85, l'empereur Justinien défendit le port d'armes à tous autres qu'aux gens de guerre.

Les peuples qui étaient soumis à la législation qui régissait cet empire, considéraient les animaux sauvages, soit quadrupèdes, soit volatiles, comme appartenant à l'ancienne communauté négative, in laxitate naturali. De ce principe résultait la liberté pour toute personne de s'en emparer et d'en acquérir la propriété. Omnia animalia quæ terra, mari capiuntur, id est feræ bestiæ, volucres et pisces, capientium fiunt. (Institutes: De rerum divisione et acquirendo ipsarum, § 12.)

Les empereurs romains donnaient au peuple le spectacle de la chasse dans les cirques et les amphithéâtres. L'on y lâchait toutes sortes d'animaux sauvages qu'on faisait attaquer par des

hommes appelés Bestiarii (Bestiaires.) L'an de Rome 502, l'on introduisit dans le cirque cent quarante-deux éléphans qui avaient été pris en Sicile sur les Carthaginois; ils y furent exposés, attaqués et tués. Si l'on en croit ce qui est rapporté dans l'histoire ancienne, Auguste livra au peuple, dans une seule chasse amphithéâtrale, trois mille cinq cents bêtes. Scaurus donna, une autre fois, un cheval marin et cinq crocodiles; l'empereur Praubus, mille autruches, autant de cerfs, de biches, de sangliers et de béliers sauvages. Pour un autre spectacle, le même prince avait fait rassembler cent lions de Syrie, autant de lionnes et trois cents ours. Avant lui, Sylla avait donné cent lions; Pompée, trois cents; César, quatre cents.

L'empereur Adrien, grand amateur de chevaux et de chiens, leur éleva des tombeaux. Pour perpétuer le souvenir de l'une de ses chasses heureuses, il fit bâtir une ville au lieu même où de sa propre main il avait tué un ours. Adrianus imperator, non equis solùm sed canibus quoque busta construxit, oppidumque insuper eo loco ubi ursam prosperà venatione peremerat propriâ manu. (Francisci PETRARCHE, Dial. XXXII.)

Les Gaulois nos aïeux étaient également fiers de leur adresse et de leur courage à la chasse. Quand l'un d'eux, dit César dans ses Commentaires, avait été assez heureux pour tuer un urus ou bœuf sauvage, il en prenait les cornes comme monument de sa valeur et de son intrépidité, les ornait d'anneaux d'or et d'argent, les exposait chez lui avec orgueil et y faisait boire les convives à la ronde lorsqu'il donnait un festin.

Cette coutume de boire dans des cornes se maintint en France durant longues années après que les taureaux sauvages y furent détruits.

Le temps paraît n'avoir point affaibli parmi nous l'antique goût de la chasse; car de nos jours encore, l'homme sérieux, même le plus adonné à l'exercice laborieux des facultés de l'esprit ou le plus pénétré de l'amour des arts, s'oublie volontiers et joyeusement dans l'attrayant tumulte inséparable de la pour

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