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Le travail de l'homme des champs est le plus estimable et en même temps le plus nécessaire. La classe des agriculteurs, des artisans si laborieusement utiles, est donc celle qui mérite surtout l'attention du législateur, puisque c'est sur elle que toutes les autres s'appuient, et d'elle qu'elles tirent leur subsistance. Source de véritables biens, la fécondité de la terre, l'active industrie, pourvoient à tout, elles forment le plus solide. revenu de l'état, fournissent aux tributs, nourrissent le peuple et les armées qui défendent le territoire. Il a donc toujours été du devoir, comme de la sagesse des gouvernants, de régler l'exercice de la chasse, peu compatible avec l'assiduité au travail, de la manière la moins préjudiciable au bien public.

Sous les Carlovingiens, le royaume était comme une fédération de petits états distincts dont chacun avait ses lois et sa coutume. Sa souveraineté appartenait à tous les seigneurs; la France était couverte de suzerains dont le roi n'était pas toujours le plus puissant et le plus fort. Ils se faisaient la guerre entr'eux, et souvent même, jaloux de la couronne, ils la faisaient au chef de l'état. A cette époque, où des troubles civils désastreux agitaient presque continuellement le pays, il eût été dangereux de laisser à tout le monde indistinctement le droit de chasse qui, nécessairement, eût mis les armes à la main de populations remuantes qui les eussent tournées contre le souverain. La chasse donc fut quelquefois défendue aux roturiers comme conséquence des règlemens qui leur défendaient de porter des armes. Quand les troubles étaient apaisés, le droit de chasse leur était rendu.

La nature des causes et des circonstances, le sujet, la nécessité, changent et modifient tout. Ainsi, en 1270, du temps de saint Louis, il était interdit aux roturiers de chasser dans les garennes du seigneur, et alors on appelait garenne tout béritage en défense, c'est-à-dire où le propriétaire ne permettait pas d'entrer il y avait des garennes de lièvres, des garennes de lapins, et même des garennes d'eau, c'est-à-dire des rivières où le seigneur seul pouvait pêcher.

Plus tard, en 1318, sous Philippe-le-Long, la poursuite et la capture du gibier n'étaient réservées ni aux seigneurs, ni à la noblesse, et en 1335 une ordonnance du roi Jean donna à quiconque, le droit de chasse sans amende.

C'est donc uniquement comme exerçant, selon le besoin des temps, la police générale qui leur appartenait dans toutes sortes de matières, que les souverains d'alors ont fait plusieurs ordonnances dont le but était d'établir des règles pour prévenir les inconvéniens, restreindre ou modifier le mauvais usage que l'on pouvait faire du port-d'armes.

Pour d'autres motifs, la faculté personnelle de chasser fut long-temps interdite aux ecclésiastiques, même sur leurs propres terres. Les lois civiles la leur refusèrent notamment dans le 14e siècle. La législation actuelle la leur accorde comme à tous autres citoyens ; mais les lois de l'église, qui les obligent spirituellement, leur prescrivent, par convenance, de s'abstenir de ce délassement. Le concile de Tours, convoqué en 813, et plus tard le 15e canon du concile de Latran, leur renouvellèrent cette défense. Venationem, occupationem, universis clericis interdicimus. De fait, ce mode de distraction est peu en harmonie avec la gravité, la sainteté et l'étendue de leur pieux ministère. La pénitence et la prière, dit saint Ambroise sont les seules armes dont il soit permis aux ecclésiastiques de faire usage.

Quand la chasse pouvait se faire par toutes personnes nobles et non nobles, en tout temps, en tout lieux, de jour et de nuit, l'on craignit, ainsi que nous venons de le dire, la destruction trop prompte du gibier. L'on appréhenda que ceux qui devaient vaguer aux travaux de la campagne, aux arts et métiers, en fussent détournés par ce plaisir si plein d'attrait. Alors, il y fut mis des entraves et des conditions. Le droit ne resta entier que pour la destruction des bêtes fauves ou nuisibles, comme les loups, renards, blaireaux et fouines: il ne fut même plus permis de vendre les engins qui servent à prendre le menu gi

La première défense que nous trouvons dans les anciennes ordonnances est celle qui interdit à toutes personnes de chasser dans les forêts du roi, la liberté subsistant partout ailleurs. Elle fut ensuite restreinte aux seuls gentilshommes, comme on le voit dans l'ordonnance de Charles VI de 1396, qui contient sa seconde prohibition en cette matière.

Henri II, Charles IX et Henri III firent également plusieurs ordonnances qui témoignent de leurs désirs et de leurs efforts pour la conservation des forêts et de la chasse. Celle de Henri II, du 5 janvier 1549, fixe même le prix du gibier.

Henri IV, en 1601, fit un réglement nouveau qui, conjointement avec l'ordonnance de 1602, concernant seulement les fiefs qui étaient proches des forêts du roi, fut regardé alors comme le plus complet sur ce sujet. S'y plaignant de la licence que chacun s'est voulu de tout temps attribuer de chasser indifféremment partout, il renouvela, sous les peines les plus sévères, les défenses précédemment faites à toutes personnes de chasser dans les garennes et forêts du roi, à toute sorte de gibier, et hors d'y-celles aux cerfs, biches et faons, si ce n'est à ceux qui en avaient titre, ou qui avaient joui de cette liberté sous François Ier. Il y permit seulement l'usage des toilesà grosses bêtes, des poches et panneaux à prendre des lapins, des halliers à cailles, des nappes et filets pours allouettes, grives, merles, ramiers, pluviers, bécasses, sarcelles et autres oiseaux de passage.

Cette ordonnance du vaillant et bon roi dont le peuple a gardé glorieuse et durable mémoire (quand le peuple regrette et pleure un roi comme bon, il faut l'en croire), fut souvent d'une excessive sévérité. Elle était du siècle et non du prince; mais ses dispositions les plus rigoureuses furent presque toujours regardées comme purement comminatoires et demeurèrent sans exécution, à l'instar de diverses autres, rendues sous les règnes précédents : la rigueur de la théorie n'était point appliquée à la pratique. Les magistrats n'avaient garde de détruire la loi, seulement ils l'appliquaient avec prudence et ré

serve, ils agissaient non avec le zèle ardent et inconsidéré des novateurs, mais comme des hommes éclairés auxquels il est inutile d'apprendre que les efforts réunis de plusieurs générations sont nécessaires pour opérer la rénovation des lois; les meilleures étant celles qui se font par l'action lente mais continue de la justice.

Nous avons aussi plusieurs déclarations de Louis XIII. Enfin, Louis XIV rendit à Saint Germain-en-Laie, au mois d'août 1669, la célèbre ordonnance qui fut suivie jusqu'à la révolution de 1789, comme constituant le droit commun, et qui, aujourd'hui, n'a force de loi qu'en ce qui touche les biens de la couronne.

Les pénalités anciennes qui régissaient alors les délits de chasse et qui maintenant ne sont plus qu'un souvenir d'histoire, n'étaient certainement empreintes ni de formes attirantes ni d'une encourageante douceur. Nombre de leurs dispositions, jugées, avec toute la rigueur de la raison et abstraction faite de la disparité de ces époques lointaines, nous semblent, à nous que les lois n'atteignent le plus souvent qu'avec des gants de velours, porter les stygmates d'une déraisonnable rigueur et seraient certainement aujourd'hui d'une exécution moralement impossible. Mais les habitudes, la différence des temps, celle des mœurs les autorisaient, les nécessitaient, les dictaient même sans doute, car notamment Henri IV, père du peuple et modèle des grands et bons rois, lui qui souhaitait que chacun pût mettre la poule au pot, n'eut certainement pas, à l'occasion d'un fait qui n'emporte point souillure de l'ame, menacé ses sujets de les faire battre de verges, de les envoyer aux galères et de les chasser du royaume pour venger la mort d'un lapereau, s'il eût pu faire moins et mieux. Ce fut lui en effet qui porta contre la chasse les lois les plus rigoureuses et contre lesquelles, non sans quelque raison, notre sensibilité se récrie tant aujourd'hui. Mais, il faut toujours juger les choses à leur place. Il convient donc de penser et d'admettre que dans les besoins de son époque, il y avait force majeure, indispensable nécessité

pour le législateur de disposer ainsi; car les peines sans proportion avec les délits sont un vice énorme dans toute législation, parce que le plus souvent elles appellent et déterminent l'impunité.

Sans doute Henri IV a dit ce qu'il y avait de mieux à dire, a fait ce qu'il y avait de mieux à faire dans ces jours déjà fort reculés, si différents des nôtres qu'on ne saurait, sans injustice et déraison, les comparer à ceux où nous vivons.

Les lois ne sont point le produit du puéril caprice des législateurs; elle sont données aux besoins de la société. Le plus souvent, elles sont la suite et la conséquence d'anciennes lois, d'anciennes coutumes, d'anciens réglements; elles se rattachent presque toujours à des faits, à des époques historiques qui en indiquent le but et l'objet. Quelquefois aussi elles ont pour cause un motif politique que la sagesse ne saurait réprouver. Les hommes de tous les temps, contempteurs du présent, ont regardé leur siècle comme le pire de tous et l'ont déprimé sans mesure comme sans réserve. D'autre part, le plaisir de la chasse a sans doute bien des attraits, puisque souvent ceux-là même n'y peuvent résister, qui sont chargés de l'interdire aux autres. Aussi s'est-on beaucoup exclamé contre la sévérité des anciens réglemens sur les chasses. Toutefois le peuple qui fut toujours présumé jouir de la plus grande somme de liberté possible, les Anglais, nos voisins, très-éclairés sans contredit, et qui, non plus que nous, ne sont courbés pour la servitude, n'étaient point régis par une législation empreinte d'une plus grande mansuétude. Leurs lois, moins accommodantes et plus rigides encore que les nôtres, étaient loin de regarder la prise du gibier comme une conséquence du droit de propriété. Comme rien n'est plus naturel aux hommes de tous les pays qu'un grand respect pour toute origine antique, ils furent successivement amenés à penser et à dire que le roi étant, en dernière analyse, propriétaire de toutes les terres du royaume, à lui seul était réservé le droit de chasse. En France, nous n'allions pas aussi vîte, et l'on regardait nos princes comme singulièrement arriérés à cet égard.

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