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disposer de l'animal qu'il a saisi, et le maître de l'héritage a seulement une action en dommages-intérêts contre le chasseur.

La propriété du gibier ne donne presque jamais lieu à contestation parmi nous, entre chasseurs ayant-droit ou permission sur la même terre ; et l'on ne voit point surgir de procès à cette occasion. Chacun d'eux devient maître de son gibier, au moment où il s'en empare. Mais bien que celui qui est à la poursuite de son gibier n'en ait pas encore acquis la propriété, tant qu'il le poursuit, il serait contraire à l'équité qu'un autre vînt s'en saisir. L'on entend par propriété ce qui est propre à chacun de nous exclusivement aux autres. Ainsi, il ne suffit pas de poursuivre l'animal, ni même de l'avoir blessé, pour en devenir propriétaire, il faut encore l'avoir le détenir réellement, parce que mille circonstances peuvent faire obstacle à ce que nous nous en emparions.

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L'enfance des animaux est faible et désarmée. Une végétation abondante et énergique lui est nécessaire: des abris nombreux et secrets lui sont indispensables. Aussi une prévoyance supérieure à la nôtre, une nature féconde et libérale, avaient, dans les temps antérieurs, dans la jeunesse de la nature, répandu sur nos montagnes, ces richesses réelles, ces forêts solitaires et de prédilection, où d'innombrables tribus, républiques pacifiques, trouvaient sans peine leur berceau, leur pâture et leur gîte. Des arbres presque aussi vieux que la terre qui les portait, s'y élevaient majestueusement. Là tout était silence et repos, hors la chûte de quelques feuilles. Les heures rapides de l'aube du matin semblaient s'y perpétuer; la diversité infinie des plantes savoureuses et salutaires qui s'y multipliaient, nourrissait une immense série d'êtres, qui, y trouvant leur nourriture sous leurs pas, et conten's des riches dons du ciel, coulaient, sous ces frais ombrages, des jours fortunés. Depuis le cerf, orgueil de ces solitudes, jusqu'à l'abeille industrieuse, depuis le lourd coq de bruyère, qui fête l'aube nationale, jusqu'au léger et mélodieux rossignol dont le chant rend gracieux et éloquent le silence même de la nuit, depuis la tourte

relle virginienne, jusqu'au sauvage ramier, tout vivait sans alarmes, tout multipliait pour multiplier encore au milieu d'une abondance inépuisable, dans ce séjour de la paix profonde et de la joie innocente.

Une multitude d'animaux placés dans ces belles retraites par la main du créateur, comme pour y répandre l'enchantement, et qui autrefois peuplaient la terre, à la fois, d'amour, de mouvement et de vie, ont disparu de la création. Il n'existe peut être plus aujourd'hui la centième partie des oiseaux qui vivaient dans ces temps regrettables. La main destructrice de l'homme a rétréci le cercle de tant d'existences destinées à animer la terre.

Les anciens, beaucoup plus voisins, beaucoup plus soigneux que nous, des beautés de la nature primitive, avaient leurs nymphes tutélaires, leurs esprits conservateurs des bois, chargés de les habiter et de les garder. C'était de la mythologie, sans doute, mais cette fable créatrice et productive ne valaitelle pas bien l'histoire trop réelle de nos innombrables dévastations? Les paisibles dryades ont fait place à une succession de remuants, d'infatigables destructeurs, et maintenant l'œil qui cherche avec avidité ce tableau des scènes champêtres et de ces masses de verdure qui ajoutaient au charme de la contrée, glisse, s'égare et se perd, triste autant que fatigué, dans l'horizon du désert, où rien ne rappelle la nature vivante, et où le gibier misérable cherche en vain des lieux tranquilles.

Un sage de l'antiquité a dit que la chûte d'un arbre fait trembler la terre. Ce mot est d'un grand sens, et si nous prenons un mémorable exemple de l'utilité des forêts, dans ces lieux consacrés par les pieux souvenirs de notre enfance, nous verrons que cette magnifique contrée de Chanaan, qui était la terre de promission, la terre de prédilection, et, dans l'origine, un pays de délices où les espèces utiles d'animaux augmentaient sans nombre, est devenue, par la destruction de ses riches bois de palmiers, le pays le plus stérile, le plus triste, le moins habitable peut-être de la terrè.

Dans l'empire romain, le soin et la conservation des forêts étaient confiés aux consuls: Sylvæ sunt consule dignæ. Ces hommes, aux grandes idées, s'étaient attachés aux grandes choses.

La nature a planté sur tous les sites du globe les végétaux propres à la nourriture de ses habitans; et de la richesse du règne végétal dépendent privativement toutes les existences animales.

Des milliers d'êtres ont disparu depuis que notre sol fores tier a si notablement perdu de son ancienne étendue, et la dépopulation progressive du gibier, douloureusement signalée de nos jours, est un des graves inconvéniens attachés à l'ardeur immodérée des défrichements. Les cinq sixièmes au moins de ces anciens bois, que nous tenions d'une nature bienfaisante, et qui préparaient d'éternels ombrages à une longue suite de générations, n'existent plus; il ne nous reste que quelques masses isolées, impuissantes à calmer les feux de la terre embrâsée.

Mélange de la nature sauvage et de la nature cultivée, autrefois nos campagnes, parées d'une douce végétation, étaient couronnées de touffes épaisses d'arbres courbés par la vétusté, qui jettaient au loin leurs ombres prolongées, répandaient aux environs une fraîcheur inaltérable et abritaient la plaine contre les vents froids du nord et la chaleur importune du midi. L'humidité chaude et vivifiante qui les abreuvait, qui les fécondait par degrés, devenait la source intarissable d'une végétation spontanée, d'une verdure toujours nouvelle pour ces bois touffus, et où il semblait que la nature, dans toute la vigueur de la jeunesse, se plût à entasser des germes productifs. Les collines chargées de riantes prairies, de riches pâturages, nourrissaient des peuples entiers de gibier, qui, du sein de ces massifs embaumés, circulant sans cesse, se répandaient du centre jusqu'aux extrémités. Les chants mélodieux de mille oiseaux divers, concert d'hommage et de reconnaissance, s'élevaient de ces lieux et célébraient, comme à l'envi, l'éternel et inépuisable auteur de tant de biens.

Ces majestueuses forêts qui étaient un moyen de force et de richesses pour l'état, qui menageaient des ressources immenses à notre marine ainsi qu'à nos constructions civiles et militaires et qui protégeaient si efficacement les coteaux, les valons et les plaines, ont, depuis long-temps, disparu. Les défrichemens incessans diminuent chaque jour la superficie du sol forestier en France. Cet abus, auquel il serait temps de remédier, absorbe les ressources de l'avenir et n'est pas encore non plus sans de graves inconvéniens sous le rapport de la salubrité publique et au point de vue de la production territoriale agricole. Ces brillans et féconds rideaux de verdure, puissans remparts de nos guérêts, sont tombés sous la hache du bûcheron sourd à l'instinct conservateur des peuples qui suivent. Quelquefois un vieux chêne élève encore ses longs bras dépouillés de feuilles et immobiles. Comme un vieillard, il ne prend plus de part aux plaisirs, aux agitations qui l'environnaient; il a vécu dans un autre siècle.

Ces collines nues, ces montagnes jadis si giboyeuses, si peuplées d'animaux de toute espèce et qui semblaient être l'asile du repos et du plaisir, dépouillées maintenant de leurs hautes futaies, chauves et arides, ont perdu la faculté de nourrir leurs rares et souffreteux habitans; elle ne sauraient entretenir une pâture suffisante. Le soleil y brûle la terre sans la féconder, et l'on ne voit plus qu'un stérile gazon desséché par les vents, là où jadis l'œil semblait respirer la fraîcheur et l'ame recevoir un nouvel esprit de vie. Les germes de fécondité dont la terre est pénétrée, les principes de la reproduction sont détruits. Moins abondant, faute de nourriture et d'asile, le gibier diminue encore progressivement, et sa disparition notable est le résultat non contesté de cet état des choses. Le déboisement des forêts, des plateaux et surtout des revers des montagnes a rendu pauvre et languissante l'épaisse végétation d'autrefois. Ce gazon fin qui semblait être comme le duvet de la terre, cette pelouse émaillée qui annonçait sa fécondité, ont disparu presque partout sur cette terre que cependant la tempéra

lure la plus douce et le ciel le plus propice favorisent à l'envi.

Dans une assez grande étendue de nos départements montagneux, il n'y a de culture possible que celle des bois, d'autre parti à tirer du sol que de le restituer aux forêts. Le rétablissement des massifs d'arbres dont les cîmes et les pentes rapides étaient autrefois abritées mérite toute la sollicitude de l'administration peu d'entreprises donneraient à la longue des résultats comparables. Un capital immense se trouverait, avant un-demi siècle, ajouté aux ressources de l'état, à l'avoir des communes et des établissements publics. Les forêts du gouvernement rendent aujourd'hui trente-trois millions; ce revenu serait doublé peut-être. Un demi-siècle, c'est bien long pour un individu; mais pour une nation, un demi-siècle est bientôt passé; il l'est toujours trop tôt pour les peuples qui usent mal de leur temps. Une bonne surveillance, la répression des abus du pacage, suffiraient souvent à produire la régénération spontanée des forêts. L'expérience en a été faite dans nos régions méridionales, particulièrement dans les départements des Alpes.

Ceux qui ont parcouru les Pyrénées dépouillées maintenant des bois séculaires qui en faisaient l'ornement et la richesse, ceux qui ont visité les Cévennes, où le roc est à nu là où la tradition rapporte que des arbres magnifiques s'élevaient jadis, ceux qui ont été témoins, dans les départements du Var, des Basses et Hautes-Alpes, des dévastations affreuses causées tous les arts par les torrents, depuis qu'on a ravi aux montagnes ces forêts tutélaires, dont la présence modérait la fonte des neiges et l'écoulement des eaux; ceux qui s'effraient du changement funeste survenu dans le régime de nos rivières depuis 1789, tous ceux enfin qui souhaitent de voir commencer l'œuvre d'une réparation, considéreront le reboisement des forêts comme étant d'une véritable importance, car il est évident pour chacun que l'accroissement de la population et le défrichement des bois ont amené parallèlement la trop grande

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