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aussi entrepris trés-superficiellement, quant aux anciennes apothéoses, mais très-savamment par rapport aux romains.

Quoique depuis l'époque ou écrivoient ces deux savans et avant eux, on ait souvent tenté accessoirement d'aprofondir un pareil sujet dans des ouvrages précieux; on ne sauroit au milieu de diverses opinions contradictoires, se former une idée satisfaisante sur le systême de ces sortes de consécrations. Rochefort déjà cité, et Freret qui est d'une grande autorité, n'admettent aucune apothéose avant Homère, tandis que l'abbé Faucher (15) en reconnoît depuis Cadmus. L'abbé Bergier, dans son traité de l'origine des dieux du paganisme, observe que l'apothéose des hommes célèbres, est postérieure à la religion publique ; et Cicéron n'admet la consécration de Romulus que long-temps après que les poésies d'Homère furent répandues partout.

Quoiqu'il en soit, il me paroît que l'acte religieux exprimé par le mot apothéose, ne doit appartenir qu'à la cérémonie des obsèques d'hommes déjà divinisés par des oracles ou par un assentiment populaire sanctionné par le sacerdoce, et que le mot d'apothéose ne peut être en aucun sens, l'équivalent de celui de déification.

DÉIFICATION.

La déification owwinois, avoit pour objet le personnage divinisé, et l'animal mystérieux auxquels (15) Acad. inscript., t. xxxvI.

on accordoit les honneurs divins durant leur vie: Déifier (16), c'étoit déclarer par des décrêts, qu'un être vivant étoit actuellement un dieu; l'établissement d'un culte étoit une suite naturelle de la déification. De cet usage étoit venu le titre fas tueux d'Epiphane is, qui annonçoit la divinité réelle et visible d'un roi déifié.

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On déifioit Apis et Mnévis, ainsi que le bouc de Mendès en Egypte, dès qu'on avoit trouvé ces animaux avec les signes requis pour les faire re connoître, et après leur mort, il n'étoient plus rien, malgré les obsèques religieux qu'on leur faisoit, et qui occasionnoient souvent de grandes dé penses, suivant la dévotion du prince régnant.

La déification, à l'égard des hommes, peut être très-ancienne dans l'Orient; mais nous n'en avons des preuves historiques et positives que par rapport aux grecs et aux romains. Cet usage pieux fut ainsi que l'apothéose tantôt l'expression de la reconnoissance ou de l'admiration, tantôt l'effet d'un abus de la crédulité, ou enfin la preuve d'un relâchement moral politique, provoqué par la grandeur des princes qui assujétirent successivement ces deux nations: aussi voit-on aux époques où la liberté des grecs alloit s'anéantir avec leur gouvernement, et la liberté de Rome s'ensevelir avec Pompée, la déification devenir l'apanage héréditaire des familles royales et impériales.

On pourroit néanmoins juger par la rareté des

(16) Otomotiv, mot composé de diès, Dieu, et de sour, faire, c'est-à-dire, faire un Dieu.

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monumens qui nous transmettent les formules et les rits de ce genre de culte, qu'il fut dabord accordé difficilement par une volonté générale et spontanée, comme signe du bonneur public. Il étoit en effet plus aisé à un souverain d'obtenir l'apothéose de son père ou de son favori, que de recevoir pour lui-même, ainsi que Ptolémée Epiphane, les honneurs de la déification solemnelle (17). Ce qu'il y a de bien vrai à cet égard, c'est que dans nos immenses recueils d'inscriptions, à peine pouvonsnous en compter une pareille à celle de Rosette; c'est celle où le Sigéens publièrent le décret par lequel ils décernoient les honneurs divins à Antiochus I.er, en le qualifiant de sauveur ¿QTHP, et de bienfaisant EYEPTETHE; inscription que Chishul a publiée dans ses antiquités asiatiques. Ce savant anglois en parlant du prêtre désigné par le peuple et par le sénat, pour desservir l'autel d'Antiochus Soter, a employé improprement le terme d'apothéose, « sacerdos, dit-il, regis Antiochi so» teris huic Sigei constitutus, ejus adhuc viventis » diaris testatur ». Ne falloit-il pas dire deificatio, qui épargnoit les mots ejus adhuc viventis. Un de nos plus savans antiquaires a dit aussi qu'Antoine s'occupoit à Alexandrie de tout autre soin que de son apothéose. Le mot de déification auroit ôté l'équivoque; car on pourroit penser que le fameux triumvir s'occupoit déjà des moyens d'obtenir l'apothéose après sa mort. Je reviens à mon objet.

(17) Le droit d'image sur la monnoie, fut à cette époque un signe de la déification. J'aurai occasion de revenir sur ce sujet.

Malgré la rareté des monumens semblables à celui de Rosette, nous ne devons pas révoquer en doute que le temps n'en ait détruit un grand nombre. Nous devons regretter entr'autres, ceux qui concernent la déification d'Alexandre. On retrouveroit avec beaucoup d'intérêt celui des Rhodiens, en faveur de Ptolémée Soter, leur libérateur; celui des Milésiens, pour Antiochus II, qui les avoit délivrés de la tyrannie de Timarque, et qui prit le premier le titre de Dieu sur sa monnoie ; celui des Lemniens, qui, suivant Athénée (18), élévèrent un temple à Séleucus Ier., et à son fils Antiochus Soter, et enfin celui de Stratonice, si fameuse par son mariage avec ces deux rois, et à qui les Smyrnéens dédièrent un temple sous le nom de Vénus Stratonicée (19). Les honneurs que ces nouveaux dieux obtinrent, ainsi que Ptolémée Epiphane à Memphis, étoient bien plus flatteurs que ceux de même nature que l'autorité ambi tionnoit, et dont les médailles nous donnent des preuves très-fréquentes.

Il n'est pas douteux qu'il n'y ait eu des motifs très-opposés d'accorder la déification, qu'il n'y ait eu aussi diverses modifications dans le céré→ monial attaché à cet honneur. La situation politique des peuples, leur théologie particulière, en déterminoient les formes et les protocoles. Ils por toient quelquefois l'adulation jusqu'à dire, que leurs dieux tutélaires avoient abandonné la terre (18) L. vi`, p. 255.

(19) Marm. Oxon., p. 6;

à leurs prétendus enfans. Aussitôt que Démétrius Poliorcète s'est rendu maître d'Athènes, les Athéniens, au rapport de Plutarque, ne reconnoissent plus que ce prince pour leur sauveur ; ils déifient son père Antigone, et jusques à ses mignons et à ses maîtresses, et invectivent les dieux de la patrie qui les ont délaissés.

Les Grecs avoient si souvent déifié des Romains, même avant l'empire des Césars, qu'on ne regardoit ces déifications à Rome que comme la mesure de la plus complette soumission à la république. Cicéron paroît avoir pensé (20) que si les Grecs avoient déifié son frère, c'étoit réellement à cause de ses vertus; mais il ne s'ensuit pas, comme on l'a dit, qu'il crût que les vertus seules fussent déifiées, et non point les hommes.

Le temps arriva où Rome adorée des nations,' mais corrompue par leurs dépouilles, fut aussi profanée par un culte qu'elle avoit méprisé. César osa l'ambitionner, et il obtint des autels à Rome et dans les provinces, pendant les dernières années de sa vie. Bientôt la déification ne fut pour les empereurs romains, ainsi qu'on l'avoit vu dans la Grèce, qu'un moyen de s'entourer d'une vaine apparence de dignité, ou de braver les convenances : cette nouvelle usurpation constatoit de plus en plus, dans la capitale du monde, l'assujé tissement des peuples et des rois ; elle présageoit

(20) L. 1, epist. 1.

Tome III. Mai, 1807.

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