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terme, semblait aussi fermement assis que le premier jour, lorsqu'une exécution militaire qu'il commanda, à Saint-Marc, fit soulever un régiment, puis toute la garnison de cette ville. Christophe, qu'une paralysie retenait dans son château de Sans-Souci, voulut diriger les troupes concentrées dans la capitale sur la cité rebelle. Mais la contagion de l'exemple les avait gagnées, et tandis que Saint-Marc envoyait, au nouveau président Boyer, les têtes sanglantes des officiers du roi noir, comme gage de son républicanisme naissant, la garnison du Cap marchait sur Sans-Souci, au cri de vive la liberté! Le vieil Africain couronné se souvint des remèdes de la case: une énergique mixture de rhum et de piment rend une élasticité automatique à ses membres crispés. Il se lève, veut monter à cheval, mais il retombe aussitôt... Alors il se fait porter en litière au milieu de sa garde, seule force militaire qui lui reste; il la harangue, lui distribue de l'argent, et la fait marcher sur le Cap, dont il lui promet le pillage. Cette troupe noire sembla partir avec une grande résolution. Mais, rencontrant les révoltés sur son chemin, elle se mêla fraternellement à eux, et marcha dans leurs rangs contre la résidence royale. Averti de cette trahison, Christophe s'enferma dans

son appartement, fit un dernier adieu à sa famille, et se tira un coup de pistolet au cœur (octobre 1820). Suivant quelques écrivains, le roi de la veille ne reçut pas même l'hommage du dernier devoir: le soin de sa sépulture fut confié à l'un de ses serviteurs réputé le plus fidèle, qui abandonna son cadavre dans un endroit écarté, où il fut trouvé quelques jours après en proie à la décomposition. Victor-Henri, celui que l'on avait appelé prince royal, fut massacré au moment où un parti cherchait à se rallier à la royauté en sa personne. Le général Paul Romain put, sans obstacle, faire proclamer la république, dont il fut, bien entendu, le président (15 octobre). La constitution du nouveau gouvernement notifiée à Boyer, celui-ci refusa de reconnaître l'existence de deux républiques à Haïti, et fort des intelligences qu'il s'était ménagées dans l'ancien royaume de Christophe, il arriva sans coup férir jusqu'à la ville du Cap, où tout avait été préparé pour le recevoir.

Il entra solennellement dans la ville, et y fut proclamé président de la république haïtienne (26 octobre 1820).

Moins de deux ans après, le président Boyer dirigea une expédition sur la partie espagnole, dont

l'occupation se fit aussi facilement que celle de l'ancien royaume de Christophe; et de Santo-Domingo au Cap-Français, la noble Hispaniola de Colomb ne forma plus qu'une seule république (9 février 1822).

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Nous reviendrons ailleurs sur cet événement, et nous le reproduirons avec les détails qu'il comporte. On trouvera également, dans d'autres parties de ce livre, les seuls faits des règnes de Christophe et de Pétion, qui ont gardé pour nous quelque valeur ce sont les révolutions accomplies dans l'économie intérieure du pays, et les négociations avec la France. Après avoir constaté ici un grand fait, celui de l'indépendance de 1825, que nous aurons également à apprécier à sa place, nous allons terminer cette partie purement historique, en esquissant rapidement ceux des événements du règne présidentiel de Boyer que l'ordre de notre travail ne nous forcera pas à rejeter aussi ailleurs, et en donnant un aperçu aussi fidèle que possible des faits qui achèvent de s'accomplir en ce moment.

CHAPITRE V.

Jean-Pierre Boyer. Seconde révolution.

Inertie du nouveau président.

· Ses causes expliquées. — Atonie générale. Destruction et incendie du Cap. - Rapprochement caractéristique. Mouvement de la jeune génération. — L'opposition envahit la chambre des représentants. — Coup d'État parlementaire. Elimination de 1840. Manifeste de Praslin. - Hérard Dumesle et Ch. Hérard l'aîné. -Prise d'armes de Praslin.-Hérard s'empare de la ville des Cayes.-Il prononce la déchéance de Boyer. Le président s'embarque pour la Jamaïque sans avoir rien fait pour se maintenir au pouvoir. — Hérard entre dans Port-au-Prince.

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Le gouvernement de Boyer fut un long sommeil que troublèrent à peine quelques rares événements intérieurs, et qu'interrompirent à de longs intervalles les négociations successivement entamées avec la France. Cet homme, qui était arrivé au pouvoir dans toute la force de l'âge, et qui semblait plein de séve et de vigueur, n'eut pas plutôt déployé une énergie de quelques années, qu'il sembla chercher à se faire oublier. En rapprochant cette atonie subite de celle qui, après avoir paralysé les nobles instincts d'organisation que son affinité à la race blanche avait développés dans Pétion, en vint à consumer sa vie, on reconnaît entre elles et les mêmes causes et les

mêmes symptômes. Boyer fut comme Pétion le lent martyr de sa couleur. Placé avec le faible noyau des hommes de sa race en présence d'une population de près de cinq cent mille noirs, sous le coup de cette défiance jalouse qui, après s'être successivement personnifiée dans Toussaint et dans Christophe, devait fermenter d'une manière d'autant plus dangereuse qu'elle se trouvait désormais sans chef, il dépensa, pour amortir l'action de son gouvernement, plus d'étude et de soin que ne lui en eût coûté la tâche glorieuse de le rendre énergique et fécond. Il fut un suspect, et tous ses actes se ressentirent de cette position. L'âge et l'action énervante du climat développant cette tendance, elle devint une sorte de maladie, qui du chef gagna les agents les plus secondaires. On comprend quel dut être l'effet de ce relâchement général sur un pays qui, depuis l'occupation européenne, n'avait eu de vie réelle que celle que lui avait imprimée la verge de fer de Toussaint et de Christophe. Tandis que la philanthropie européenne dissertait sur l'existence régulière de la société haïtienne, cette société n'existait déjà plus, et son calme apparent n'était qu'une sourde dissolution. On en eut comme la première révélation lors de la catastrophe qui marqua lugubrement la der

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