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du lendemain. Les douze dissidents se rendirent dans l'enceinte législative avant l'heure ordinaire des séances. Le vieux Lafortune disposa stratégiquement aux portes sa garde d'honneur, qui se trouvait être ce jour-là une partie de la garnison, et à mesure que les députés se présentaient, l'entrée leur était très-nettement refusée. Il y eut à cette occasion des rixes violentes; des coups de baïonnette furent distribués aux rassemblements qui se formèrent, et une grande irritation gagna les esprits.

Mais c'était peu que de rester maître de la place, il fallait encore s'y trouver en nombre à peu près suffisant pour délibérer. Voici comment on s'y prit. Un triage fut fait dans la masse des expulsés. On maintint en interdit les éliminés de 1839, et ceux qui s'étaient le plus vivement prononcés en leur faveur; les portes furent ouvertes aux autres, et on employa tous les moyens pour les attirer. Cette tactique était à deux fins; elle constituait numériquement l'assemblée, et divisait les dissidents. Elle ne réussit d'abord qu'à moitié. L'assemblée se trouva constituée; mais on y rentrait sous l'impression de l'injure qui avait été faite, et les premières séances furent très-orageuses.

Ce fut à ces séances qu'eurent lieu les scènes cu

rieuses qui ont trouvé place dans les journaux de l'Europe. Contre l'attente du parti présidentiel, le scrutin venait de porter à la présidence le député Laudun, l'un des opposants récemment admis. Lafortune n'hésite pas; il refuse bravement de céder le fauteuil au nouvel élu, et s'y maintient contre toutes les foudres de l'assemblée. Le lendemain, nouvelle usurpation, nouvelle résistance jusqu'à ce qu'un nouveau scrutin, annulant le premier, ait dépossédé légalement le malheureux Laudun. A cette agitation parlementaire répondait celle du dehors, qui se formulait dans les protestations que signaient les membres exclus de leurs siéges, et dans les proclamations que le président adressait aux troupes.

Toutefois, il s'établit bientot un calme apparent. L'assemblée, privée de ses principaux membres, achevait trop obscurément sa session pour réagir sur l'opinion, et les députés que l'ostracisme parlementaire avait définitivement frappés, cessant le rôle bruyant de l'opposition légale, entraient dans la voie silencieuse de la conspiration politique. Alors commença à circuler parmi les adeptes la pièce fameuse qui a pris le nom de manifeste-Praslin, du lieu où elle fut rédigée. Ce document, qui est devenu l'évangile politique de la révolution nouvelle, peint éner

giquement la situation du pays. Sous ce double rapport, il mérite l'honneur de quelques citations. Après une invocation aux ombres de Vincent Ogé et de Pétion, le manifeste arrivant à la situation du moment, continue ainsi : « Arrêtons les yeux sur les fu<< nestes effets de notre mauvaise loi fondamentale, << et sur les mesures arbitraires et révoltantes d'une << administration de vingt-quatre années. Voyez «< cette Haïti nécessairement et naturellement agri<< cole! Voyez quels sont les faibles produits qu'elle « arrache à la terre! L'agriculture et l'industrie ne << recevant pas le moindre encouragement, faut-il « s'étonner que ces deux sources de la prospérité des << nations se trouvent taries chez nous? Existe-t-il « une police pour protéger les jardins de l'agricul<<< teur laborieux, et pour sévir contre le vagabond qui porte atteinte à sa propriété? Le travail des champs ne trouvant aucun appui dans une bonne police contre les voleurs et les fainéants, se réduit à presque rien. Quelle que soit l'activité, et quelles « que soient les peines des cultivateurs, ils n'ob<< tiennent que de faibles résultats, et sont presque «< toujours trompés dans leurs espérances. De là l'a« moindrissement de nos produits agricoles; de là «< la cause principale, première, inévitable de cette

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rieuses qui ont trouvé place dans les journaux de l'Europe. Contre l'attente du parti présidentiel, le scrutin venait de porter à la présidence le député Laudun, l'un des opposants récemment admis. Lafortune n'hésite pas; il refuse bravement de céder le fauteuil au nouvel élu, et s'y maintient contre toutes les foudres de l'assemblée. Le lendemain, nouvelle usurpation, nouvelle résistance jusqu'à ce qu'un nouveau scrutin, annulant le premier, ait dépossédé légalement le malheureux Laudun. A cette agitation parlementaire répondait celle du dehors, qui se formulait dans les protestations que signaient les membres exclus de leurs siéges, et dans les proclamations que le président adressait aux troupes. Toutefois, il s'établit bientot un calme apparent. L'assemblée, privée de ses principaux membres, achevait trop obscurément sa session pour réagir sur l'opinion, et les députés que l'ostracisme parlementaire avait définitivement frappés, cessant le rôle bruyant de l'opposition légale, entraient dans la voie silencieuse de la conspiration politique. Alors commença à circuler parmi les adeptes la pièce fameuse qui a pris le nom de manifeste-Praslin, du lieu où elle fut rédigée. Ce document, qui est devenu l'évangile politique de la révolution nouvelle, peint éner

giquement la situation du pays. Sous ce double rapport, il mérite l'honneur de quelques citations. Après une invocation aux ombres de Vincent Ogé et de Pétion, le manifeste arrivant à la situation du moment, continue ainsi : « Arrêtons les yeux sur les fu<< nestes effets de notre mauvaise loi fondamentale, <«<et sur les mesures arbitraires et révoltantes d'une << administration de vingt-quatre années. — - Voyez «< cette Haïti nécessairement et naturellement agri«< cole! Voyez quels sont les faibles produits qu'elle <«< arrache à la terre! L'agriculture et l'industrie ne << recevant pas le moindre encouragement, faut-il << s'étonner que ces deux sources de la prospérité des << nations se trouvent taries chez nous? Existe-t-il << une police pour protéger les jardins de l'agricul<<< teur laborieux, et pour sévir contre le vagabond qui porte atteinte à sa propriété? Le travail des champs ne trouvant aucun appui dans une bonne police contre les voleurs et les fainéants, se réduit « à presque rien. Quelle que soit l'activité, et quelles « que soient les peines des cultivateurs, ils n'ob« tiennent que de faibles résultats, et sont presque toujours trompés dans leurs espérances. De là l'a<< moindrissement de nos produits agricoles; de là «< la cause principale, première, inévitable de cette

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