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règlement du 19 juin 1664, l'arrêt du 3 mai 1706, en voulant sauvegarder l'engagé, témoignent des rigueurs de sa condition 1. Enfin, cette pénalité de l'édit de 1685, qui soulève à bon droit notre philanthropie, mais que, dans nos préoccupations toutes modernes, nous imaginons n'avoir pu être inventée que pour l'esclave africain, recherchons-en l'origine, et nous verrons de quel texte elle est passée dans l'article 38 du Code noir :

« S. M. étant informée qu'il est déserté dans ces << derniers temps quelques soldats, engagés, et noirs <<< de la colonie de Cayenne, qui ont été séduits par << les artifices des Anglois de Surinam, et voulant em

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pêcher la suite de ce désordre qui porteroit un pré<< judice considérable à ladite colonie, s'il n'y étoit « pourvu, S. M. fait très-expresses inhibitions à << tous soldats, engagés et noirs, de l'île de Cayenne << et terre-ferme de l'Amérique méridionale de sa domination, d'en sortir pour aller s'établir chez les <<< nations voisines, sans sa permission, à peine con<< tre lesdits soldats, et même contre les soldats qui <<< se seront faits habitants, d'être condamnés aux ga« lères perpétuelles, et contre les engagés et les noirs,

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Voyez le texte de ces ord. dans Moreau de Saint-Méry, Lois et Constitutions, t. 1, p. 117, 207, 638; t. II, p. 69, 83-107.

« d'avoir pour la première fois les oreilles coupées, « et d'être marqués d'une fleur de lis sur une épaule, « s'ils ont été en fuite pendant un mois à compter du

jour que leur maître les aura dénoncés en justice; « d'avoir le jarret coupé, et autre marque d'une « fleur de lis à l'autre épaule en cas de récidive; et << la troisième fois d'être punis de mort. - Mande et << ordonne S. M.....' >>

Mais, constatons-le: la première période passée, il se manifesta dans les actes de la métropole une pensée intelligente, une pensée qu'il faut retirer de l'oubli, aujourd'hui que se recommandent à l'étude des esprits sérieux toutes les questions qui se rattachent à l'avenir et à la conservation des colonies.

La carrière presque séculaire qu'avait fournie l'esclavage colonial, sans trouble, sans secousse, jusqu'à la grande commotion de 93; le calme dans lequel il est rentré lorsque après cette tourmente passagère, un simple acte du pouvoir gouvernemental l'eut ramené à son passé, tout nous a portés à croire que tel nous le voyons, soumis et résigné, tel l'ont vu nos pères. Il n'en est rien. Comme toutes les institutions humaines, celle-ci, et celle-ci surtout, a dû creuser son lit

Ce curieux document, complétement inédit, est extrait de la collection manuscrite de Moreau de Saint-Méry, déjà citée. — Partie relative à Cayenne, t. 1, p. 193.

avant de descendre paisiblement son cours. Comme toutes, celle-ci, et celle-ci surtout, a dû traverser ses premiers moments de lutte et de crise. L'historien Benzoni nous apprend que, dès 1522, des nègres insurgés forçaient don Diego Colomb, fils de l'amiral, et successeur de son père dans le gouvernement d'Hispaniola, à marcher contre eux en personne avec de l'infanterie et de la cavalerie '; et la première mention que fait des travailleurs africains le plus ancien chroniqueur de nos Antilles, le P. Dutertre, est pour nous apprendre qu'en 1639 il y eut à Saint-Christophe une désertion d'esclaves assez considérable pour obliger d'armer contre eux 2.

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Eh bien, la pensée intelligente que nous voulons constater, c'est, en présence des dangers que révélait cette situation, le soin que prit la métropole d'équilibrer proportionnellement les deux éléments de la population coloniale : l'européen et l'africain. Il est curieux de suivre le développement de cette sage prévision dans les actes du temps. Ainsi, après différents édits ou règlements qui ordonnent à chaque colon d'avoir un certain nombre de blancs pour

' Benzoni, lib. II, c. 2, cité par M. Moreau de Jonnès, dans ses Recherches statistiques sur l'esclavage colonial, auxquelles nous recourrons tout à l'heure.

2 Tom. I, p. 152, édit. de 1667.

un nombre déterminé de noirs, paraît une ordonnance du 30 septembre 1686 qui enjoint « à tous <<< les habitants de Saint-Domingue de quelque qualité <«<et condition qu'ils soient d'avoir un nombre d'en<< gagés pareil à celui des nègres qu'ils entretiennent, pour faire valoir leurs habitations; voulant que «<les nègres que lesdits habitants auront au delà du << nombre d'engagés demeurent acquis et confisqués « à S. M. 1»

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Nous le disons, ceci a besoin d'être lu et médité. Ceci a besoin d'être lu et médité, parce que l'organisation du travail africain libre est pour nous une œuvre au moins aussi difficile et aussi périlleuse que l'a été pour nos pères l'organisation du travail africain esclave.

Ces quelques pages sur l'esclavage temporaire du blanc nous conduisent naturellement à ce qui nous reste à dire sur l'esclavage du noir.

C'est un problème historique souvent agité et dont la solution flotte encore à l'état d'hypothèse que l'origine de la traite, et de la première introduction régulière de travailleurs africains dans les colonies européennes de l'Amérique. Chose étrange! les pre

Lois et Constitutions, t. 1, p. 434.

miers écrivains qui mentionnent ce fait dont la nouveauté dut pourtant être si frappante, en parlent comme de chose accomplie et pour ainsi dire assise dans les mœurs. — Ceci demande à être expliqué.

C'est une croyance presque populaire que celle qui attribue l'idée de la traite au pieux Las-Casas, « lequel aurait obtenu de Charles-Quint qu'une population africaine vint soustraire ses Indiens bien-aimés à la brutalité des Espagnols. » Mais l'archevêque de Santo-Domingo avait trop l'intelligence du cœur pour ne pas avoir eu celle de l'esprit; et c'est faire injure à sa mémoire que de lui attribuer ce zèle exagéré qui rappelle volontiers celui de Clovis regrettant de ne s'être pas trouvé sur le Thabor avec ses Francs pour empêcher la mort du Sauveur. M. Moreau de Jonnès, dont les Recherches statistiques forment, dans leur première et leur seconde partie, l'un des documents les plus curieux qui aient été produits sur. ce point d'archéologie coloniale, s'exprime ainsi à cet égard: « La nécessité de recourir à des nègres « pour défricher les Antilles, était reconnue en Es«pagne bien avant que Las-Casas eût obtenu la << liberté des Indiens. L'an 1517, l'empereur CharlesQuint autorisait le conseiller de la Bressa, grand << maître de sa maison, à envoyer 4,000 nègres es

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