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M. Crucy, entre autres, fut interrogé sur sa construction du vaisseau Le Scipion, qui venait de terminer une campagne dans laquelle il avait beaucoup souffert.

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S'adressant ensuite à M. Cossin, l'empereur l'encouragea à continuer, ou plutôt à augmenter le nombre de ses corsaires armés en course, lui disant qu'il servait ainsi l'état, comme un puissant auxiliaire de la marine française. << Ma haine pour les Anglais répond de mon zèle, » répliqua M. Cossin avec une vivacité qui fit sourire Napoléon.

«< Bien, bien, ajouta Napoléon : si nous avions beaucoup de négociants comme vous, l'Angleterre amènerait bientôt son pavillon.

>>

« Et vous, Monsieur le maire de Nantes? >> dit l'empereur en s'adressant à M. Bertrand-Geslin.

Le sénateur Cacault ne laissa pas l'empereur continuer ; il lui révéla sa méprise : mais, en faisant connaître M. Bertrand-Geslin comme adjoint du maire, il se servit des paroles les plus honorables et les plus flatteuses pour ce magistrat. Alors l'empereur reprit : « C'est bien, une autre fois je ne me tromperai pas, et j'espère d'ailleurs, Monsieur, que nous ferons plus ample connaissance. » Ces paroles furent dites avec un regard expressif et des manières approbatives, qui en doublaient le prix pour le magistrat à qui elles s'adressaient.

La Vendée s'effrayait de la république la re

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1804 An XII.

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constitution d'une monarchie y fit renaître la confiance, à ce point que beaucoup de membres de l'ancienne noblesse y acceptèrent des fonctions municipales. Mais l'empereur voulait absolument reporter la pacification jusqu'au consulat, et voici ce qu'il a dit lui-même à ce sujet :

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Le consulat pacifia la Vendée, parce qu'il était un premier pas vers une réorganisation monarchique, et que le premier consul, protecteur des prêtres réfractaires lorsqu'il n'était encore que le vainqueur d'Italie, donnait à cette population fanatique l'espérance de lui devoir le rétablissement du culte. Le concordat réalisa cet espoir. L'empire éteignit les derniers restes de la Vendée; et l'on vit, en 1814, six mille paysans de ces contrées, entourés à la Fère-Champenoise par des forces décuples, se battre en héros pour la cause de Napoléon, et préférer la mort à rendre leurs armes aux alliés de ces mêmes princes pour lesquels ils avaient pendant six ans résisté à tous les efforts de la république. L'héroïsme de ces braves prouve que la grande réconciliation des Français. avait été opérée par Napoléon, et que la France de 1814 n'était plus la France de 1793. »

Certes, non, elle n'avait plus l'intolérance politique de 1793; mais elle n'avait pas plus d'intolérance religieuse pourtant le culte protestant n'avait pas encore de temple à Nantes, lorsque M. Pelloutier, se rendant l'interprète de ses coreligionnaires, fut admis à exposer leur demande au conseil municipal :

«Entré dans la salle du conseil, le citoyen Pelloutier a déclaré que les protestants n'étaient pas, en effet, au

nombre de six mille requis par l'article 16 de la loi sur les cultes protestants, pour former à Nantes une église consistoriale; qu'ils demandaient seulement que la commune leur fournît un local pour y exercer leur culte; qu'ils se croyaient fondés à le réclamer, conformément aux lois organiques sur les cultes, et que, de même que le gouvernement ou la commune fournissait des églises aux particuliers qui suivent le culte catholique, il lui paraissait naturel qu'on en fournît à ceux qui professent le culte protestant; qu'au surplus, fussent-ils même au nombre de 6000, il déclare formellement que, jaloux de bien vivre avec leurs concitoyens, ils n'entendraient aucunement profiter de l'article 45 de la loi organique des cultes, qui ne permet aucune cérémonie religieuse hors des églises consacrées au culte catholique, dans les villes où il y a des temples destinés à différents cultes.

» Le citoyen Pelloutier retiré et l'affaire mise en délibération, le conseil municipal : considérant qu'il est de toute justice que tout citoyen français jouisse de la liberté du culte promise par la loi; qu'il n'y a, à cet égard, qu'un vœu unanime dans le conseil, mais que, s'il ne peut restreindre, il ne peut aussi dépasser les limites prescrites par la même loi; que, de l'aveu du citoyen Pelloutier, les protestants ne sont pas à Nantes au nombre de six mille âmes de la même communion, exigé par la loi pour former une église consistoriale; que le conseil, quia vainement demandé qu'on mit sous ses yeux la pétition ou réclamation des protestants, ainsi que les pièces et signatures à l'appui, n'a, à ce moyen, aucun document propre à lui faire connaître que les protestants soient même au nombre de quinze ou dix-huit cents; que, quand ils seraient au nombre de 6000, il n'existe aucune disposition dans la loi

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qui autorise à leur concéder un temple ou un local aux frais de la commune, déjà trop grevée pour s'imposer vo24 prairial. lontairement cette charge; qu'il paraît que, dans ce cas même, et à plus forte raison étant en si petit nombre, ils sont obligés de se procurer un oratoire à leurs frais; que la comparaison faite à ce sujet entre le culte catholique et le culte protestant ne paraît pas devoir changer cette manière de décider; qu'il y a dans la loi une disposition formelle pour le premier, et qu'il n'y en a pas pour le second; que, quoiqu'il ne fût pas besoin de chercher à ce sujet le motif du législateur, il en est un qui se présente bien naturellement, indépendamment de l'immense différence du nombre d'individus attachés à ces différents cultes, c'est qu'en 1789 le gouvernement séquestra, comme propriétés nationales, toutes les églises et autres biens appartenant au culte catholique; que non-seulement il n'en fut pas de même des biens possédés par les établissements protestants, mais qu'au contraire un décret du 1.er décembre 1790, suivi de plusieurs autres, les excepte formellement de la vente des biens nationaux ; qu'il paraît donc naturel que la commune de Nantes ne soit pas chargée de rendre de local ni de temple aux protestants, auxquels il n'en a point été ôté; que la commune de Nantes ne pourrait pas, d'ailleurs, concéder aux protestants un édifice ou local à ses frais sans reconnaître à ce culte une existence publique que la loi n'autorise pas, tant qu'ils ne sont pas au nombre de 6000;

>> Par ces divers motifs, le conseil est d'avis qu'il n'y a lieu à délibérer sur la réclamation mentionnée dans la lettre du citoyen préfet concernant les individus attachés au culte protestant dans la commune de Nantes, et qu'expédition du présent lui soit adressée avec invitation de la transmettre au conseiller d'état chargé de l'affaire des cultes.»

Dans la même journée, le conseil municipal fut appelé à exprimer un vœu que l'avenir ne réalisa

pas.

L'empereur avait décidé que quatre palais impériaux seraient construits dans quatre des principales villes de France. La ville de Nantes eut l'ambition d'être l'une de ces quatre villes, et son conseil municipal adressa ce placet à l'empereur:

« Sire, la ville de Nantes, sans commerce, sans ressources, sans crédit, par la perte de Saint-Domingue, met tout son espoir dans votre majesté impériale.

>> Heureux de voir pour jamais les rênes du gouvernement fixées dans vos mains, et dans votre auguste famille l'hérédité à l'empire, nous oublions des malheurs suite inévitable d'une révolution que votre génie devait si glorieusement finir.

» Oui, sire, sous votre règne, la France, qui se donne à vous, est assurée d'être heureuse; car vous lui donnerez en retour la paix et Saint-Domingue; Saint-Domingue, de qui seul la marine, nos manufactures et six millions de Français attendent leur existence, et le commerce national sa prépondérance dans tous les marchés de l'Europe.

» Pour soutenir notre ville infortunée, au milieu de toutes ses pertes, accordez à ses fidèles habitants le bonheur de vous posséder quelquefois; ordonnez, sire, qu'un des quatre palais impériaux soit bâti dans nos murs.

» Nantes vous demande cette honorable distinction : elle s'en croit digne par son dévouement sans réservé à votre majesté et à son auguste famille. »

L'empereur ne fit pas absolument une réponse catégorique; mais il manifesta le désir de pou

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