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trouviez pour administrateurs, pour officiers municipaux et pour juges d'autres personnes que celles qui n'auraient plus à rougir de rien ! (Applaudissemens.)

» Je dois faire part à l'Assemblée d'un sentiment qu'il est toujours bien doux à un homme de présenter. Les préopinans qui ont combattu l'article des comités sont des fonctionnaires publics : il est heureux de trouver dans le royaume des fonctionnaires publics assez courageux et assez au-dessus des injures par leur réputation précédente pour se passer de l'article des comités; mais croyez-vous qu'il s'en trouvera beaucoup; croyez-vous que vous ayez dans le royaume trente, quarante mille fonctionnaires publics dont la réputation soit déjà faite; croyez-vous, dis-je, qu'il n'y en aura pas une foule d'autres qui, chérissant comme on doit le faire une réputation acquise par des services publics, ne voudront pas s'exposer à la perdre par toutes les colomnies qu'on se permettra de répandre sur leur compte? Messieurs, tous les Français ne sont pas des héros ; tous les Français ne sont pas encore élevés au sublime qu'inspire la liberté et l'égalité; il y en a encore beaucoup qui craignent les calomnies, et qui les craignent avec d'autant plus de raison que jusqu'au moment où l'ordre public ne sera paš rétabli les calomnies ne seront pas sans danger : or, messieurs, s'il est vrai que la calomnie puisse amener un homme public à des événemens fâcheux soit pour sa personne, soit pour ses biens, soit pour ses parens, je vous défie de trouver, surtout dans les provinces, des gens qui veulent s'exposer à toutes les calomnies des folliculaires.

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M. Dandré. « Le préopinant me donne occasion de parler d'un placard intitulé le Chant du Coq, que chacun se plaît à m'attribuer, et auquel je n'ai aucune part; mais je déclare que je voudrais le faire, car je le regarde comme un très bon ouvrage. (Vifs applaudissemens. ) J'ajouterai seulement à cet égard que si toutes les calomnies étaient aussi faciles à détruire qu'il m'a été facile de détruire celle du préopinant

il n'y aurait pas d'inconvénient dans l'avis de ces messieurs. (Applaudissemens.) Je reviens à l'ordre du jour. Il est évident par ce que je viens de vous dire qu'il est impossible de trouver dans le royaume quatre-vingt mille fonctionnaires publics qui aient le courage de se mettre au-dessus de tous les dangers qu'entraînent les calomnies s'ils n'ont pas le moyen de les réprimer. A cela on a dit : mais comment voulez-vous que je m'expose à dénoncer un fonctionnaire public si je n'ai pas des preuves légales? Je n'oserai jamais rien dire contre lui, car je craindrai sans cesse d'être poursuivi en justice... Mais vous aurez toujours le droit de dénoncer les négligences, les infractions aux lois; cette censure contre les fonctionnaires publics est nécessaire; personne ne peut vous la contester. Ainsi, au lieu de porter vos poignards dans le sein des fonctionnaires publics, dans le sein de leurs familles, vous vous contenterez de surveiller leur administration ; vous les dénoncerez lorsqu'ils feront des actes contraires aux lois; lorsque vous aurez des indices de trahison vous les porterez non pas dans des feuilles périodiques, non pas dans des imprimés sans caractère, vous les porterez à l'accusateur public; vous les porterez à l'administration. (Une voix : Cela ne vaut rien. )

» Cela ne vaut rien ! C'est cependant là la véritable marche d'un état libre. (Murmures dans l'extrémité gauche; applau dissemens dans les autres parties de la salle.) Vous livrerez même à l'impression lorsque, attaquant par des faits an fonctionnaire public directement en sa personne et en sa probité, vous aurez des preuves contre lui; car je ne puis concevoir, je ne puis mettre dans ma tête qu'on veuille exiger en principe qu'il doit être permis, sous le prétexte du bien public, d'injurier et de calomnier les fonctionnaires publics sans aucune espèce de preuves ou sans encourir la répression. Si un des membres qui soutiennent cet article, étant fonctionnaire public, était rencontré par un individu qui lui dit vous avez vole dans la caisse de votre district 10,000 liv., pensez-vous que le fonctionnaire public n'aurait pas le droit de porter plainte contre l'auteur de cette inculpation? (Murmures.) Autrement je prétends que le fonctionnaire

public aurait le droit de le tuer, car si vous ne me mettez pas à l'abri d'une insulte par les lois j'ai mon bras qui m'en répond! (Applaudissemens au centre.) Personne ne répond... Il faut être conséquent; si vous êtes obligés de convenir que ce fonctionnaire public a le droit individuel de tirer vengeance de son calomniateur, à plus forte raison devez-vous convenir qu'il a le droit d'obtenir la vengeance des lois; et s'il peut tirer vengeance de celui qui l'aura calomnié dans la rue ou chez lui, en présence de quelques personnes, à plus forte raison aussi peut-il exiger réparation de celui qui l'aura diffamé à la face de tout l'empire dans un imprimé répandu avec profusion.

En simplifiant les principes il est donc certain que les actes d'administration doivent être soumis à la censure publique, mais que la liberté de calomnier la probité des personnes et la droiture de leurs intentions ne doit pas être permise. Ainsi sur l'administration censure générale...

M. Roederer. Nous sommes n'accord sur ce point-là.

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M. Dandré. « Mais sur la probité des personnes, mais sur la droiture des intentions, voilà où nous ne sommes plus d'accord...! >>

Plusieurs voix du fond de la gauche. « Mais si, nous sommes d'accord. » (Aux voix, aux voix.)

M. Roederer. Je demande à éclaircir la question. (Murmures.)

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M. Dandré. « Lorsqu'une question a paru diviser l'Assemblée avec quelque espèce de chaleur, j'ai toujours remarqué que nous nous trouvions d'accord à la fin. Ainsi nous voilà bien convenus que sur les faits de l'administration toute liberté est donnée, et, de la part des fonctionnaires publics, permission à eux de poursuivre la calomuie s'il y en a; or je ne pense pas qu'il y ait dans l'avis des comités rien de contraire à ceci. Murmures dans l'extrémité gauche. ) Je demande donc d'après cela qu'on mette aux voix l'article des comités. M

M. Dandré est combattu par M. Robespierre, qui est à son tour réfuté par M. Duport. Chacun voulait aller aux voix; mais ni les amendemens, ni la question préalable, ni la rédaction des comités ne réunissait la majorité. Les esprits en étaient à ce point de fatigue et d'incertitude où l'on cède sans avoir été convaincu, lorsque M. Salles proposa un amendement qui fut généralement accueilli; il consistait à commencer ainsi le paragraphe objet de la discussion: La censure sur les actes des pouvoirs constitués est permise; mais les calomnies volontaires, etc.; M. Duport fit en outre adopter la suppression du mot dénoncées; de sorte que la grande majorité se réunit pour cette nouvelle rédaction. L'article 2 fut immédiatement décrété sans discussion. (Ces deux articles, dont nous avons donné le projet plus haut, page 145, forment dans la Constitution les articles 17 et 18 au titre III, chapitre V, du pouvoir judiciaire. - Voyez encore, sur la répression des délits commis par la voix de la presse, le projet présenté par Syeyes, tome II, page 350, et le rapport de Chapelier sur le droit de pétition et d'affiche, tome V, page 219.)

Sur les cas d'abdication de la royauté.

L'Assemblée avait déterminé par des décrets antérieurs les circonstances dans lesquelles le roi serait censé avoir abdiqué la royauté (voyez tome III, page 181, et tome IV, page 158); les délais seuls restaient à fixer; M, Thouret les proposa dans la même séance ( 23 août 1791), et il n'y eut de discussion que sur la disposition suivante :

« Si le roi, étant sorti du royaume, n'y rentrait pas dans le délai de deux mois après l'invitation qui lui en serait faite par le corps législatif, il serait censé avoir abdiqué la royauté. »

M. Prieur. « Mettez-vous bien dans la position où serait le royaume si le roi l'avait quitté ; alors les mesures les plus sages et les plus promptes doivent être prises pour savoir si le roi rentrera dans le royaume ou restera hors du royaume; car alors on ne peut supposer au roi des intentions pacifiques. Il est

impossible qu'un roi des Français sorte du royaume de France sans l'aveu du corps législatif, à moins que ce soit pour aller chercher chez les puissances étangères des secours contre la Constitution française; or je dis que dans de pareilles circonstances il serait trop dangereux d'accorder à ce roi deux mois pour rassembler une armée nombreuse sur les frontières ( applaudissemens des tribunes publiques), pour parcourir toutes les cours de l'Europe et aller leur demander des secours dans ce cas je ne vondrais pas que l'Assemblée prescrivît un délai; c'est à la sagesse du corps législatif à prescrire le délai dans lequel un roi qui aurait quitté sa patrie devra rentrer dans le royaume. Je demande donc que l'article soit ainsi rédigé :

» Si le roi, sorti du royaume, n'y rentrait pas après l'invitation contenue dans une proclamation du corps législatif, et d'après le délai qui sera énoncé, il sera censé avoir abdiqué la royauté. >>

M. Giraud. « Je sens bien le danger qu'il y aurait de prolonger le délai accordé au roi ; il est donc de l'intérêt de la société de réduire ce délai à un mois.

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M. Guillaume. « Je crois que le préopinant n'a pas bien saisi quelle était l'opinion de M. Prieur, dont j'appuie l'observation. J'en ajoute une autre non moins importante: dans une matière aussi grave je crois que la Constitution ne doit rien laisser d'indéterminé, et je demande que les délais commencent à courir du jour de la publication de l'invitation ou de la proclamation, qui sera faite dans le lieu où le corps législatif tiendra ses séances; car c'est là où doit être le roi; c'est là où il faut lui notifier tous les actes qui le concernent, » ( Cét amendement est adopté. )

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M Larochefoucault-Liancourt. « Il est de l'essence d'une loi pénale prononçant une déchéance d'établir un délai; et certainement dans l'espèce actuelle la fixation de ce délai doit être prononcée par la loi constitutionnelle, et ne doit pas être laissée à l'arbitraire du corps législatif. Je vous avoue même que l'éloignement d'un roi est un événement si important, et

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