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que le simple fonctionnaire public n'est jamais chargé que d'agir pour elle.

:

» Le corps législatif est le représentant de la nation parce qu'il veut pour elle 1o en faisant ses lois; 2o en ratifiant les traités avec les puissances étrangères lorsqu'ils ont été commencés et convenus par le roi le roi est représentant constitutionnel de la nation 1o en ce qu'il consent et veut pour elle que les nouvelles lois du corps législatif soient immédiatement exécutées ou qu'elles soient sujettes à une suspension; 2o en ce qu'il stipule pour la nation, en qu'il prépare et fait en son nom les traités avec les nations étrangères, qui sont de véritables actes de volonté, qui sont de véritables lois, qui lient réciproquement une autre nation avec nous tandis les lois intérieures, les lois qui nous sont propres émanent du corps législatif.

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que

Vous avez décrété que le roi, comme le corps législatif, était inviolable; or il répugne à la raison que celui qui n'est chargé que d'agir et qui est simple fonctionnaire public soit inviolable, attendu que toutes ses actions nécessitent la responsabilité. (Applaudissemens.) Mais il est nécessaire pour la nation que celui qui veut pour elle soit inviolable; car sans cela sa volonté cesserait d'être libre; les intérêts et la liberté du peuple seraient par là même compromis : ainsi l'inviolabilité, que vous avez reconnue, est une consé quence immédiate du caractère de représentation. Mais il y a plus; si en faisant la Constitution vous le donniez au corps législatif sans le donner au roi il en résulterait que le corps législatif serait seul chargé des pouvoirs de la nation; dès lors il n'aurait plus de limites; dès lors ses volontés ne reconnaîtraient plus de frein; dès lors, par la nature des choses, le corps législatif deviendrait corps constituant. Ainsi donc ou le roi veut pour la nation dans l'ordre de ses fonctions constitutionnelles, ou il cesse d'être roi, et la forme de gouvernement est changée. Que s'il a le droit de vouloir pour le peuple il est donc son représentant ; ou bien il exerce un droit individuel; son pouvoir cesse d'être légitime, et devient une tyrannie. (Nombreux applaudissemens.)

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La discussion est fermée. L'Assemblée rejette tous les amendemens, et décrète le second paragraphe de l'article 2 conformément au projet présenté par M. Thouret.

Les articles suivans, jusques et compris l'article 4 de la section II du même titre, sont également décrétés selon le projet, et presque sans discussion. L'article 5 provoque des débats; il est renvoyé aux comités, et la délibération remise au lendemain 11.

Sur les conditions nécessaires pour étre électeur ou éligible.-Des faillis et des débiteurs insolvables.

Cet article 5, chapitre Ier, section II du titre III, porte:

<«< Sont exclus de l'exercice des droits de citoyen actif ceux qui sont en état d'accusation; ceux qui, après avoir été constitués en état de faillite ou d'insolvabilité prouvé par pièces authentiques, ne rappor tent pas un acquit général de leurs créanciers. »

Avant de passer à la discussion de cet article remontons à celle qui avait eu pour résultat d'en consacrer le principe.

L'Assemblée s'occupait de déterminer les conditions nécessaires pour être citoyen actiflorsque, le 27 octobre 1789, Mirabeau lui soumit la proposition suivante :

Mirabeau. « Avant que vous finissiez l'examen des caractères à exiger pour être électeur ou éligible je vais vous proposer une loi qui, si vous l'adoptez, honorera la nation.... Murmures.) Si la loi que je vous propose est faite pour relever la morale nationale c'est moi qui aurai raison, et ceux qui murmurent auront eu tort. Je reprends.

» Avant que vous finissiez l'examen des conditions d'éligibilité je vais, messieurs, vous en proposer une qui, si vous l'adoptez, honorera la nation. Tirée des lois d'une petite répu blique non moins recommandable par ses mœurs et par la rigidité de ses principes que florissante par son commerce et par la liberté dont elle jouissait avant que l'injustice de nos ininistres la lui eût ravie, elle peut singulièrement s'adapter à un état comme la France, à un état qui, aux avantages immenses de la masse, de l'étendue et de la population, va réunir les avantages plus grands encore de ces divisions et de ces sous-divisions qui le rendront aussi facile à bien gouveruer que les républiques mêmes dont le territoire est le plus

'borne.

Je veux parler de cette institution de Genève que le pré

sident de Montesquieu appelle avec tant de raison une belle loi, quoiqu'il paraisse ne l'avoir connue qu'en partie; de cette institution qui éloigne de tous les droits politiques, de tous les conseils, le citoyen qui a fait faillite ou qui vit insolvable, et qui exclut de toutes les magistratures et même de l'entrée dans le grand conseil les enfans de ceux qui sont morts insolvables, à moins qu'ils n'acquittent leur portion virile des dettes de leur père.

» Cette loi, dit Montesquieu, est très bonne; elle a cet » effet qu'elle donne de la confiance pour les magistrats; » elle en donne pour la cité même : la foi particulière y a encore la force de la foi publique.

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Ce n'est point ici, messieurs, une simple loi de commerce, une loi fiscale, une loi d'argent; c'est une loi politique et fondamentale, une loi morale, une loi qui plus que toute autre a peut-être contribué, je ne dis pas à la réputation, mais à la vraie prospérité de l'Etat qui l'a adoptée, à cette pureté de principes, à cette union dans les familles, à ces sacrifices si communs entre les parens, entre les amis, qui le rendent si recommandable aux yeux de tous ceux qui savent penser.

» Une institution du même genre, mais plus sévère (1), établie dans la principauté de Neufchâtel en Suisse, a créé les bourgs les plus rians et les plus peuplés sur des montagnes arides et couvertes de neiges durant près de six mois; elle y développe des ressources incroyables pour le commerce et pour les arts, et dans ces retraites que la nature semblait n'avoir réservées qu'aux bêtes ennemies de l'homme l'œil du voyageur contemple une population étonnante d'hommes aisés, sobres et laborieux, gage assuré de la sagesse des

lois.

» Dans l'état présent de la France, dans la nécessité où nous sommes de remonter chez nous tous les principes sociaux, de nous donner des mœurs publiques, de ranimer la confiance, de vivifier l'industrie, d'unir par de sages liens la partie consommatrice à la partie productive, c'est à dire à la patrie vraiment intéressante de la nation, des lois pareilles sont non seulement utiles, mais indispensables.

» Assez longtemps une éducation vicieuse ou négligée a dénaturé en nous les notions du juste et de l'injuste, a relâché les liens qui unissent le fils à son père, nous a accoutumés

(1) << La loi de Neufchâtel lie toute la postérité d'un homme à l'acquittement de ses dettes. »

à ne rien respecter de ce qui est respectable; assez longtemps une administration, dirai-je corrompue ou corruptrice, a couvert de son indulgence des écarts qu'elle faisait naître pour qu'on n'aperçût pas les siens propres retournons à ce qui est droit, à ce qui est honnête ouvrons aux générations qui vont suivre une carrière nouvelle de sagesse dans la conduite, d'union dans les familles, de respect pour la foi donnée.

>>

Vainement, messieurs, vous avez aboli les priviléges et les ordres si vous laissez subsister cette prérogative de fait qui dispense l'homme d'un certain rang de payer ses dettes ou celles de son père, qui fait languir le commerce, et qui trop souvent dévoue l'industrie laborieuse de l'artisan et du boutiquier à soutenir le luxe effréné de ce que nous appelons si improprement l'homme comme il faut.

» Laissons à cette nation voisine, dont la constitution nous offre tant de vues sages dont nous craignons de profiter, cette loi injuste, reste honteux de la féodalité, qui met à l'abri de toute poursuite pour dettes le citoyen que la nation appelle à la représenter dans son parlement; profitons de l'exemple des Anglais, mais sachons éviter leurs erreurs; et au lieu de récompenser le désordre dans la conduite éloignons de toute place dans les assemblées, tant nationales que provinciales et municipales, le citoyen qui par une mauvaise administration de ses propres affaires se montrera peu capable de bien gérer celles du public. C'est dans ce but que je vous propose, etc. » (Voyez plus loin le décret, page 64, en note.)

M. Larochefoucault-Lian court. «J'ai vu moi-même les heureux effets que cette loi a produits à Genève ; mais elle me paraît contenir une disposition trop rigoureuse à l'égard des enfans des pères banqueroutiers. Sans doute c'est un beau sentiment de la part d'un fils d'acquitter les dettes de son père; mais il faut laisser à la vertu à conseiller ce qui est honnête : les lois doivent se borner à prescrire ce qui est juste. Il ne faut pas étendre la punition sur les enfans, déjà trop malheureux des torts de leur père; les fautes sont personnelles; les enfans ne peuvent être punis de celles de leur père la justice rigoureuse et la morale la plus pure font une loi de ce principe. Je ne puis donc adopter une rédaction qui consacrerait cette absurde responsabilité, et je demande à cet égard la division de la proposition du préopinant.

La division fut adoptée, et le premier article du projet de Mirabeau décrété sauf rédaction. Sur le second article,

mis à l'ordre du jour du lendemain (28 octobre 1789), M. Barnave ajouta aux observations de M. Liancourt.

:

M. Barnave. En combattant la proposition de M. de Mirabeau je ne conteste point tout ce qu'elle peut avoir de moral; mais si cette loi convient à Genève, qui pourrait être comparée à une grande maison de banque, elle ne convient pas à un grand empire comme le nôtre. C'est une loi de famille, une loi de commerce, une loi d'argent, qui ne peut regarder que les négocians; elle n'a pas en vue l'agriculture, qui doit être l'objet principal d'une nation agricole. L'article milite contre les droits de l'homme n'est-ce pas en effet un principe constitutionnel que nul ne peut être puni des fautes d'autrui ? Les fautes ne sont-elles pas personnelles? Ce serait donc la plus grande injustice de faire rejaillir sur les enfans le déshonneur d'un père banqueroutier. D'ailleurs n'avezvous pas admis pour principe que tout ce que la loi ne défend pas est permis, et que la loi ne peut punir ce qu'elle ne défend point? Or, messieurs, vous iriez directement contre ce principe. L'enfant ne peut donc être coupable; car de deux choses l'une, ou la loi l'oblige' de payer, ou non dans le premier cas c'est qu'il y a une action contre lui; alors le fait est personnel; mais si la loi ne l'oblige pas, s'il n'y a point d'action contre lui, le fait est personnel au pere, et le fils ne doit point être frappé d'exclusion à l'éligibilité.

>> Je conclus au rejet du second article du projet de M. le : comte de Mirabeau. »

Cet article, faiblement appuyé par quelques membres, allait être mis aux voix, et probablement rejeté; Mirabeau paraît...

Mirabeau. «Messieurs, la vérité ne doit pas porter la peine de mon arrivée tardive dans l'Assemblée. J'apprends qu'on a travesti le sens de l'article que j'ai proposé; on a parlé de l'exclusion des enfans comme d'une peine infamante, tandis qu'elle n'est point une flétrissure, mais une simple précaution tres sage et très politique. On prétend qu'elle est contraire au droit public et aux droits des hommes, et l'on convient cependant qu'elle est morale et pure dans ses motifs! Certes je ne saurais comprendre comment une loi morale est contraire au droit public et à celui des hommes.

» La morale est une, pour les grands états comme pour les petits, pour les commerçans comme pour les agriculteurs : il importe au commerce qu'un père pervers ne laisse pas par des arrangemens frauduleux une fortune considérable à ses

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