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l'indépendance et les lumières dans les assemblées électorales, et de ne mettre ensuite aucune borne à leur confiance et à la liberté des choix qu'elles sont chargées de faire; en conséquence ils proposent à l'Assemblée de supprimer la condition du marc d'argent attachée à l'éligibilité des membres du corps législatif, et d'augmenter la contribution exigée pour les électeurs. »

Les comités s'étaient réservé de proposer le taux proproportionnel de cette contribution pendant la discussion. Suivant l'ordre de la délibération, M. Thouret porta ainsi la parole avant de donner lecture de l'article 7 (titre III, chap. I, section II).

M. Thouret. (Séance du 11 août 1791.) « Ici se présentent les développemens de la proposition que les deux comités ont eu l'honneur de vous faire relativement à la condition d'éligibilité pour être représentant de la nation et à celle pour être électeur. L'Assemblée n'ignore pas que d'une part le décret qui exige la contribution du marc d'argent des représentans de la nation a reçu d'une manière posi– tive l'improbation de la ville de Paris, et que la demande de son rapport a été faite; elle ne peut pas ignorer non plus que ce décret d'autre part a reçu l'assentiment d'une partie de la nation. En nous occupant de la révision nous nous sommes trouvés provoqués par ces deux impulsions à considérer quel pouvait être définitivement le meilleur systeme de la représentation nationale. Il y a une première base incontestable; c'est que quand un peuple ne se réunit pas pour élire, et qu'il est obligé d'élire par sections, chacune de ces sections, même en élisant immédiatement, n'élit pas pour elle-même, mais élit pour la nation entière; par conséquent la nation a intérêt et droit de s'assurer contre les méprises, les erreurs qui peuvent être commises par le résultat des sections partielles. Aussi n'y a-t-il pas de constitution, même dans celles qui ont adopté le système de la nomination immédiate, il n'y a pas de constitution qui n'ait établi des règles et des conditions d'éligibilité : l'Angleterre, l'Amérique même plus récemment, en ont constitué de beaucoup plus sévères que nous. Cette nécessité devient plus forte chez un très grand peuple, lorsque non seulement il est forcé

d'élire par sections, mais quand il est forcé d'admettre une élection médiate, qui est par conséquent confiée à des délégués intermédiaires chargés d'élire au nom de ceux qui les commettent, et d'élire pour la nation.

» Alors la qualité d'électeur est fondée sur une commission publique, dont la puissance publique du pays a le droit de régler la délégation. Là, messieurs, il y a une alternative entre les deux partis qu'on peut adopter, ou de rendre la qualité très facile à obtenir, et elle ne présente pas alors une garantie très certaine de l'indépendance personnelle de chacun de ceux qui la remplissent, de l'intérêt très efficace qu'ils prennent au succès de la chose publique; on est alors obligé de renforcer la précaution contre les méprises : ou bien l'on peut rendre la qualité d'électeur plus difficile à obtenir, et parvenir par là à avoir des électeurs qui présentent à la société une plus grande garantie de leur indépendance personnelle et de l'intérêt très réel qu'ils prennent à la chose publique, et alors le meilleur parti est de leur abandonner l'exercice libre de la confiance.

» Il ne nous a pas paru douteux que la plus grande sûreté sociale, objet de notre travail, serait dans ce dernier parti. si l'Assemblée se décide à l'adopter. Prenons pour exemple ce que nous avons fait. Nous adınettons des électeurs qui ne nous présentent pas d'autre garantie que celle qui peut être portée, à raison de la valeur des propriétés, soit foncières, soit mobilières, au taux de la valeur de dix journées de travail : nous avons bien senti que cette garantie ne remplissait pas suffisamment tout ce que l'Assemblée devait attendre du résultat des élections; et alors, précautionnant la nation contre ces élections, nous avons mis des entraves à la liberté des électeurs, et au lieu de leur laisser le libre exercice de leurs fonctions nous les avons obligés d'élire dans une cerLaine classe de citoyens, le mot classe est impropre, mais dans le nombre des citoyens qui présentent cette garantie plus étendue et de leur indépendance dans les délibérations du corps législatif et de l'intérêt qu'ils prennent au succès de la chose publique. Ceci, messieurs, n'assure pas bien le grand objet que nous voulons garantir; car d'une part on

exclut de l'éligibilité au corps législatif des hommes d'un mérite reconnu qu'on pourrait désirer d'avoir, qu'on se trouverait bien d'avoir, et cette exclusion ne part que de ce qu'ils ne paient pas la somme de contribution prescrite par la Constitution cette condition de la contribution n'est cependant pas rassurante contre le résultat des élections, car en élisant même sans sortir de cette classe d'hommes qui paie la contribution constitutionnellement exigée on pourrait composer une très mauvaise législature.

» Il semble indubitable, messieurs, qu'on remplit bien mieux son objet si l'ou porte la garantie sur les électeurs inêmes, parce qu'en assurant la bonne composition des corps électoraux on a la combinaison la plus favorable aux bons choix, même en y faisant entrer, si c'est une condition nécessaire pour la latitude de ces bons choix, en y faisant entrer la liberté aux corps électoraux bien composés d'élire tous les sujets qui méritent leur confiance.

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Il faut ajouter que c'est dans les électeurs que repose la base la plus essentielle de la sûreté de la chose publique, puisque c'est par eux que la société obtient non seulement ses représentans, qui font les lois, mais encore tous les fonetionnaires publics qui agissent par elle pour le maintien de l'ordre dans toutes les parties de l'administration politique ; puisque ce sont les mêmes électeurs qui donnent les administrateurs, les juges, même les ministres du culte.

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Quant aux citoyens ce système laisse la même latitude que la Constitution a établie pour le premier degré de l'activité des citoyens qui concourent à nommer ceux qu'ils chargent d'élire pour eux; ce système ouvre ensuite le dernier degré, celui qui doit être l'ambition de tout bon citoyen, celui de la représentation nationale. Je ne puis cependant pas vous dissimuler, messieurs, car le devoir du rapporteur est de vous montrer l'objet sous toutes ses faces, qu'il aurait été infiniment avantageux d'adopter d'abord ce mode; que maintenant il peut avoir cet inconvénient qu'un nombre assez considérable de citoyens éligibles aujourd'hui au corps électoral peut cesser de l'être; mais d'un autre côté nous présentons cette compensation d'ouvrir l'éligibilité à la grande repré

sentation à ceux qui en étaient exclus par le mode avez adopté d'abord.

que vous

» Nous ajoutons cette réflexion : l'effet du décret que vous rendriez aujourd'hui dans le sens de ma proposition ne serait applicable qu'à deux ans d'ici puisque la composition actuelle des corps électoraux ne peut pas être changée.

>> Je termine par cette dernière réflexion, que ce serait ne rien faire dans notre sens que de ne porter sur l'éligibilité à la qualité d'électeur qu'une petite portion de contribution; qu'il vaudrait mieux conserver l'état actuel que de ne pas le

bonifier réellement et efficacement; qu'en conséquence l'Assemblée doit se déterminer entre la conservation du mode qu'elle a déjà admis et la rectification réelle et efficace de ce mode en augmentant d'une manière convenable la contribution des électeurs. Nous avons pensé, messieurs, que la condition de l'éligibilité des électeurs devait être une contribution de la valeur de quarante journées de travail, et en voici les résultats..... (Longs murmures à gauche.)

» Il en faut examiner les résultats. Il y a d'abord un avantage à substituer au taux des valeurs du marc d'argent, qui étoit le mode proposé, le taux des valeurs des journées de travail; car le marc d'argent est en soi plus susceptible, avec le temps et par les événemens commerciaux et politiques, d'une plus grande variation de valeur réelle que les valeurs en journées de travail. D'un autre côté quel serait le résultat pratique de cette opération? La valeur de quarante journées de travail appliquée aux électeurs dans les pays où la journée de travail est à un prix très faible, par exemple, si elle était de dix sols.... (Une voix : il n'y en a pas.) Je ne propose ceci que comme une fraction, et elle n'est pas invraisemblable; le résultat ne serait qu'une contribution de vingt livres, qui, relativement aux propriétés mobilières, foncières ou industrielles, supposerait cent vingt livres de revenu ; dans les lieux où la journée de travail est de quinze sous le résultat de la contribution serait de trente livres, qui, à raison du sixième, supposerait cent quatre-vingts livres; et dans les villes opulentes, dans les départemens riches où la journée de travail serait au premier prix, c'est à dire à vingt sous,

le résultat serait de quarante livres d'imposition, ce qui supposerait deux cent quarante livres de propriétés foncières ou industrielles.

» Il est temps que l'Assemblée prenne notre proposition en considération, et qu'elle se décide ou à conserver l'ancienne garantie dans le taux de la contribution exigée pour être représentant; ou, si elle transporte ce mode sur les électeurs, il faut qu'elle prenne un juste milieu, et la quarantième journée que nous proposons y atteint. >>

M. Pétion, quoique membre des comités, s'éleva le premier contre cette proposition, à laquelle il préférait le maintien du marc d'argent, quelque vicieuse que lui eût semblé d'abord une pareille obligation M. Prugnon le remplaça à la tribune pour appuyer l'avis des comités : ensuite parut M. Robespierre, qui se prononça contre toute condition, soit pour les électeurs, soit pour les éligibles.

M. Robespierre. (Méme séance.) « Le projet de vos comités tend à changer l'esprit de votre Constitution; jamais question du moins ne mérita de la part de l'Assemblée nationale une attention plus sérieuse. Les comités vous proposent de supprimer le marc d'argent à une condition qui me paraît infiniment plus injuste et plus onéreuse à la nation : les motifs qui déterminent les comités à proposer de supprimer ce décret du marc d'argent relativement aux députés s'appliqueront encore d'une manière bien plus forte aux électeurs. Un de ces principaux motifs est qu'il ne faut point gêner la confiance du peuple dans le choix de ses représentans..... Or le peuple est-il libre de choisir ses représentans lorsqu'il n'est pas même libre dans le choix des intermédiaires qu'il est obligé de commettre pour choisir ces mêmes représentans; ou plutôt n'est-il pas évident que sa liberté est gênée d'une manière encore plus dangereuse, puisque non seulement il ne peut pas atteindre tout de suite le but, mais qu'il ne peut pas même arriver librement à l'intermédiaire qui doit ensuite le porter vers le but?

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Un autre motif qui a déterminé les réclamations élevées de toute part contre le décret du marc d'argent c'est qu'il

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