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Le discours de M. Barnave avait fait beaucoup d'impre'ssion sur une partie de l'Assemblée; on ferme la discussion. La proposition des comités, mise aux voix, est bientôt détruite par une foule d'amendemeus ou repoussée par là question préalable; après une longue agitation l'Assemblée rejette tous les amendemens, et décide qu'il y a lieu à délibérer sur la proposition des comités. Le tumulte recommence; MM. Lanjuinais, Grégoire, Laville-aux-Bois, Robespierre et autres, accusent les comités de chercher à détruire les bases de la constitution; les membres des comités assiégent la tribune; on se plaint de n'entendre qu'eux; du reste aucun discours suivi de la part des opposans. Au milieu de ce trouble MM. Dauchy, Anson et Fréteau obtiennent seuls quelques momens de silence pour présenter des considérations qui sont reçues avec faveur.

M. Dauchy. « Il est inexact de dire que le taux proposé par le comité est fixé sur toutes les fortunes possibles. Dans les pays de grande culture, où les dix-neuf vingtièmes du sol appartiennent à des non domiciliés, celui qui aura le labour de quatre à cinq charrues et qui aura besoin pour les faire valoir d'un capital de 30,000 livres ne paiera, par le seul fait de son imposition mobilière, que 30 livres, et ne pourra pas être électeur.» (Agitation.)

Une voix. « En ce cas votre système d'imposition est mauvais. >>

M. Dauchy. « Je demande que la condition soit de quarante journées de travail dans les villes, mais seulement de trente dans les campagnes. »

M. Anson. « Je n'ai que deux mots à dire, et je dois les dire, parce que les observations de M. Dauchy, qui ont fait quelque impression sur l'Assemblée, ne me paraissent pas exactes. Il est vrai que les cotes de la contribuiion mobilière seront très modiques dans les campagnes; mais quand elles seront trop modiques, comme il faudra compléter la contribution du département, elles seront augmentées par des sous addi

tionnels. Dans tous les cas, si la contribution mobilière était trop faible dans les campagnes pour qu'un assez grand nombre de fermiers fût éligible aux assemblées électorales, il vaudrait mieux rectifier cette contribution que de mettre un mauvais principe dans votre acte constitutionnel. Le décret qu'on vous propose n'aura pas d'effet tout de suite; la législature pourra donc, si ce changement était nécessaire à son exécution, établir la contribution mobilière sur une base plus égale que celle du loyer. J'ajoute qu'on parle toujours des campagnes comme si elles ne renfermaient aucun petit propriétaire; il y a au contraire beaucoup de ménétriers, beaucoup de cultivateurs qui sont soumis à la contribution fon

cière.

M. Fréteau. « J'ai demandé la parole pour proposer un amendement. L'Assemblée a cru devoir fermer la discussion je ne me permettrai donc pas de revenir sur le fond; mais je crois qu'on ne peut pas se dissimuler que le décret qu'on va rendre est de la plus grande importance, qu'il fera dans les campagnes la sensation la plus considérable. (Murmures mélés d'applaudissemens.) En conséquence je demande que l'amendement que je vais proposer, ou tout autre, soit discuté avec le calme et la maturité nécessaires. Je maintiens qu'il est impossible de changer un décret constitutionnel aussi important que celui qu'on vous propose d'annuler sans y donner la plus sérieuse attention, et dans un autre but que celui de réduire à des termes aussi modérés et aussi favorables que l'état des choses le permet les conditions qui seront mises à la représentation nationale. Si l'on adoptait la proposition des comités, à quarante journées, ou même l'amendement de M. Dauchy, à trente journées, il est évident que dans une foule de cantons il n'y aurait jamais. d'électeurs à choisir que dans cinq ou six personnes, et que par conséquent la représentation y serait héréditaire ; je demande s'il y aurait de l'équité dans une pareille représentation. Je crois que dans les pays de petite culture, où les propriétés sont beaucoup divisées, la somme de vingtcinq livres ne serait peut-être pas trop forte; mais dans la

plus grande partie du royaume, dans tous les départemens où les propriétés résident en grande masse dans les mains des ci-devant seigneurs et des gens riches, la plus grande partie des habitans des campagnes serait par cette fixation dénuée de représentation. Je ne parle pas même des pays vignobles, où tous les habitans sont vignerons et n'ont aucune propriété foncière; je ne parle pas des pays de grande culture proprement dite; mais je parle de la Beauce, de la Champagne, du Médoc, du Morbihan, de toutes les provinces de l'intérieur, où les propriétés ne sont partagées qu'en grande masse, et résident exclusivement dans les mains des grands propriétaires habitans des villes. Les habitans dans ces campagnes sont presque tous fermiers ou journaliers; ils ne paient pas de contribution foncière de 30 livres; mais ils paient sur le produit de leur industrie une contribution mobilière; ils sont citoyens, et ont plus que les riches peut-être besoin d'une représentation qui leur assure la protection des lois. Ainsi, dans tous les pays où les habitans ont le plus besoin d'une représentation équitable et rapprochée d'eux, il n'y en aura point.

» Par ces considérations, et surtout par celles tirées de la nécessité de la paix publique, de l'attachement des citoyens à la Constitution et de sa stabilité, je pense qu'il est du plus grand intérêt de ne pas renverser en quelques heures une des bases principales de la Constitution, une de celles qui avaient le plus attaché les habitans des campagnes à la Constitution. (Applaudissemens.)

» Quand vous avez décrété la gratuité de l'instruction, la suppression des dîmes, le rachat des droits féodaux, c'est aux pauvres que vous avez voulu faire du bien; si quelque chose a fait jeter à la Constitution de profondes racines dans le cœur des peuples (on rit à droite) c'est le soin que vous avez pris constamment d'étendre sur le peuple les bienfaits de cette Constitution; hé bien, je maintiens que porter tout à coup le premier degré de la représentation à 40 livres ou même à 30 livres c'est exclure la classe la plus nombreuse, c'est porter le coup le plus funeste à la Constitution; je maintiens que vous allez par là jeter dans les cam

pagnes le mécontentement le plus dangereux. (Applaudissemens.)

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D'après toutes ces considérations et d'autres qui ne sont pas moins puissantes, comme le danger de donner l'exemple d'une innovation aussi importante dans la Constitution, et de vous attirer une foule de réclamations, je demande que l'As semblée, qui a pu se permettre de délibérer et de s'exposer à revenir sur un décret solennel exécuté dans le royaume depuis vingt mois, remette demain aux voix la question préaJable sur la proposition des comités, ou même qu'elle ordonne sur le champ le rapport du décret par lequel elle a décidé qu'il y avait lieu à délibérer sur cette étrange proposition. (Murmures et applaudissemens. Aux voix, aux voix, du côté gauche.)

Je maintiens qu'il a été fait de beaucoup plus fortes objections contre le décret portant que les membres de la législature ne pourront pas être réélus plus d'une fois, et que si l'on se permet d'attaquer l'un on se permettra sans doute d'attaquer tous les autres... (Murmures et applaudissemens ; une voix : Voilà le fin mot!)

"Je demande donc, dans l'intérêt de la Constitution et dans l'intérêt de la paix publique, sans laquelle il n'y aura peut-être plus de Constitution dans trois mois, je demande avec instance le rapport du décret par lequel on a écarté la demande de la question préalable sur le projet du comité. » (Vifs applaudissemens.)

M. Chabroud. « Je demande que dans aucun sens la délibération de l'Assemblée ne soit l'effet d'un mouvement de chaleur; j'appuie l'ajournement : je déclare que j'étais de l'avis du comité, mais que les diverses observations que j'ai entendues m'ont rendu perplexe, et que je regarde, ainsi que beaucoup de membres de l'Assemblée, la question comme problématique. »

L'Assemblée, consultée, décrète l'ajournement au lendemain, pour entendre le résumé de la discussion par le rapporteur.

M. Thouret. (Séance du 12 août 1798.) Messieurs, je

crois essentiel de vous rappeler quel était l'état de la délibération quand la séance fut levée hier.

» On avait proposé contre l'article des comités la question préalable par la raison qu'il contenait un changement des dispositions constitutionnelles précédemment décrétées, et que l'Assemblée ne pouvait pas se permettre la moindre altération aux décrets qu'elle avait précédemment rendus comme constitutionnels.

» Cette question préalable, soumise à la délibération de l'Assemblée, fut rejetée par un décret, c'est à dire que l'Assemblée a admis à la délibération la proposition des comités, et rejeté l'objection; on accorda même la priorité aux comités sur différentes propositions; ensuite se succédèrent divers amendemens.

>> Il faut s'entendre d'abord sur ce que ce serait que changer la Constitution.

» A l'égard du corps constituant, dans la position où il se trouve, changer la Constitution serait en changer les bases, les principes, les dispositions fondamentales qui forment le caractère et pour ainsi dire la physionomie du gouvernement qu'il a institué : or par la proposition, des comités rien de tout cela n'est changé; tout ce qui est essentiellement constitutionnel en ce sens reste entier : le gouvernement représentatif, et par conséquent le régime électif, le principe de l'élection médiate, et cet autre principe, si nécessaire après le précédent, d'établir en faveur du corps social une garantie contre les erreurs des corps électoraux partiels, qui ne le sont pas pour eux, mais pour la nation entière, tout cela subsiste; seulement le mode, de précaution, le mode de garantie paraît non changé dans son essence, mais déplacé.

» Vous avez trouvé d'abord que la garantie sociale était suffisamment établie dans le parti de n'exiger des électeurs qu'une contribution de dix livres, à condition qu'ils ne pourraient élire que des citoyens payant le marc d'argent : le seul changement qui s'opérerait maintenant en révisant le mode de garantie serait de le rendre infiniment meilleur en le déplaçant, c'est à dire en le retirant du degré de représeutant, où il est évident qu'il ne sert presque à rien, pour le

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