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auffi pleine de vent, ni d'un perfonnage aufli vain, auffi occupé de lui-même, & qui, fous un habit qui lui preferit au moins le férieux des bienséances, fe donne tous les airs qui contrastent le plus avec les mœurs de fon état. Je plains la femme qui l'aura pour époux, je plains la mère qui l'a pour fils, & je fuis très- fâchée qu'il foit lié avec le mien. Je ne veux plus rien voir chez moi qui lui ressemble.

Si j'avois regardé ma nièce dans ce mo ment, j'aurois pu voir l'impreffion que ces mots faifoient fur fon ame; mais je ne m'apperçus de rien : je ne m'intéreffois que légèrement à Villarcé; je n'infiftai pas davantage. Bientôt après, le ton de la maifon de ma fœur étant redevenu trop férieux pour lui, & l'accueil froid qu'il y reçur l'en ayant éloigné, je ne le revis plus que de loin en loin dans le monde, où je crus le trouver plus fage, plus réfervé, mais moins aimable. Il faut que la fatuité ait un charme qui lui eft propre, car on ne s'en corrige pas fans qu'il en coute quelque agrément.

La jeune Madame de Clarville, naturellement douce & timide, prit fans peine les mœurs & les goûts de fa belle-mère. Son mari l'adoroit, il ne refpiroit que pour elle; & le bonheur ayant pris dans fon ame la place des amufemeis & des illufions paffagères, il avoit renoncé luimême à cette vic diffipée, qui ne plaît qu'à des cœurs offifs.

A,

C'étoit dans cet intérieur que Califte, ma nièce, fembloit attendre paisiblement que fa mère difposât d'elle. Nous parlâmes de l'établir; & fur le choix de fon époux, car le nombre des afpirans croiffoit de jour en jour, fa mère eut la bonté de lui demander fa pensée.

Madame, lui répondit Califte avec son air doux & modefte, vous m'avez rendu fi facrés & en même temps fi redoutables les devoirs d'épouse & de mère, que j'ai befoin de me confulter & de m'aflurer de moi même, avant d'ofer me croire digne de les remplir. C'eft un examen férieux & profond que je veux faire dans le filence, & au pied des autels, ente le Ciel & moi. Daignez avant de difpofer de votre filie, qui vous fera toujours foumife, lui accorder, loin du monde & dans la paix du cloître, quelque intervalle de folitude & de recueillement.

: Cette réponse étonna ma fœur; & quoiqu'elle en fût édifiée : J'aurois espéré, lui dit-elle, qu'une bonne mère feroit admife entre le Ciel & vous à ce confeil fecret, & que pour mieux vous difpofer à lui obéir, vous n'auriez pas befoin de vous éloigner d'elle.

Madame, lui répondit Caliste, fi, comme le Ciel, vous pouviez lire dans mon ame & dans ma pensée, fans m'obliger moimême à vous en déméler tous les replis je vous dirois: Lifez, & difpofez de moi.

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Mais ce refpe&t tendre & timide que je conferverai pour vous toute ma vie, cette crainte religicufe de vous déplaire ou de yous affliger, cette crainte plus délicate de ne pas vous paroître affez digne de votre amour, ne permettra jamais que j'ofe me livrer, fans un peu de réferve, à cette confiance dont vous êtes fi digne. J'en aurois bien la volonté, mais je n'en aurois pas le courage & la force. Quelle ame eft affez pure pour fe montrer nue & fans (voile, à d'autres yeux qu'aux yeux de celui qui voit tout, & qui veut bien tout pardonner?

C'étoit lui avouer affez ingénument qu'elle avoit dans le cœur quelque fecret qu'elle n'ofoit lui dire. Ma fœur n'expliqua point ainfi cette réponse. Elle convint qu'il "étoit une forte d'examen de foi même, dont le compte n'étoit réfervé qu'à Dieu feul, & que l'exiger de fa fille, ce feroit excéder les droits du pouvoir maternel. Le Couvent fut choifi; ma nièce y fut conduite par fá mère; & celle-ci, en me confiant l'entretien qu'elles avoient eu, n'en témoigna aucune inquiétude : j'en eus trèspeu moi-même; & l'air calme & ferein dont fe paroit ma nièce toutes les fois que j'allois la voir, acheva de me raffurer.

Cependant, au bout de trois mois, Ca-. lifte écrivit à fa mère, pour la fupplier, dans les termes les plus refpectueux, mais les plus preflans, d'approuver qu'elle prît le

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voile. Sa lettre refpiroit une piété angélique. Ma fœur en fut touchée. A Dieu ne plaife, me dit elle en me confiant cette lettre, que je m'oppofe à une vocation fainte, fi elle eft véritable! mais je veux l'éprouver. Califte n'avoit pas vingt ans. Elle exigea qu'elle ne prît le voile qu'à l'âge preferit pour les vœux.

Dans une fille que fa naiffance, fa fortune, & fur-tout fa beauté deftinoient à tous les bonheurs de ce monde, cette réfolution me parut fingulière, & d'autant plus qu'elle me fembloit prife avant fon entrée an Couvent. J'en voulus pénétrer la caufe; & d'abord je me procurai un entretien particulier avec l'Abbeffe. C'étoit une excellente femme, un peu fière de fa naiffance, mais religieufe dans l'ame, & qui, dans le babil du parloir, mêloit affez d'efprit à beaucoup de naïveté.

Eft-il vrai, Madame, lui dis-je, que Mlle. de Clarville, ma nièce, ait envie de prendre le voile? Non, Madame, me dit l'Abbeffe, ce n'eft point une envie, c'eft une belle & bonne vocatión, je vous le garantis, & je ne m'y trompe jamais. D'abord la ferveur d'une Sainte, la docilité d'un enfant, la douceur, la candeur, l'innocence d'une colombe.... Ah! Madame, qu'elle eft heureufe d'avoir échappé aux vautours! Et puis, avec tant de beauté, cet oubli d'ellemême, cette pudeur fi tendre, cette craintive modellie, qu'un mot, qu'un rien peut

alarmer, & qu'un fouffle auroit pu ternir ! Bon Dieu à combien de périls ne s'eftelle pas dérobée ! Allez, Madame, je fais un peu ce qui fe paffe dans le monde. Je vois ici bien des perfonnes de la plus haute qualité, les miens & les amis des miens. J'y vois auffi de graves & pieux perfonnages, un Père Ambroife, un Père Anfelme, un Père Séraphin, les confeils des familles, les lumières du fiècle; & dans tout ce qu'ils m'en racontent, je ne vois que folie, menfonge & vanité, des Spectacles frivoles, des foupers infipides, des cercles ennuyeux, un luxe qui fait peur, & des plaisirs qui font pitié.

Oui, mais ma nièce ne connoît rien de tout cela, lui dis-je, à moins que vous, Madame, ne l'en ayez inftruite. Oh! non, Dieu m'eft témoin, dit-elle, qu'avant que de venir ici, fa réfolution étoit prife de renoncer au néant du monde; je n'ai fait que l'y affermir.

Le premier point une fois éclairci: Mais, Madame, insistai-je, lui trouvez-vous dans vos entretiens cet enjouement, ces rayons de gaîté qui annoncent une ame contente? Non, la gaîté, dit-elle, n'eft point fon caractère; c'eft plutôt le recueillement, la méditation, le filence, & le goût de la folitude; mais ce font-là les dons du Ciel les plus rares, les plus exquis.

Me voilà sûre encore que ma nièce eft trifte & rêveufe; & dans cette mélancolie,

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