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& dont tu défefpères de pouvoir te guérir. Madame, me dit-elle avec fierté, je n'aimerai jamais, & je n'ai jamais rien aimé que de digne de mon eftime. Mais il eft d'autres convenances que malheureufement un jeune & foible cœur ne confulte pas dans fon choix. Quel eft-il donc ce choix, qui blefferoit les convenances ? — Ma tante, j'en ai dit affez : n'exigez pas un effort inutile, qui feroit déchirant pour moi. Qu'il vous fuffife de favoir que jamais cette inclination, trop invincible, hé'as! n'obtiendroit l'aveu de ma mère. J'en fuis certaine, & je n'ai plus qu'à l'enfevelir pour jamais. Quant à celui qui a troublé mon repos fans en avoir eu la penfée, c'eft un fecret entre le Ciel & mor; & je ferois inconfolable fi fon nom m'étoit échappé. Mais, mon enfant, avec cet amour dans le cœur, tu viens faire des vœux au Ciel de renoncer au monde & de n'être plus qu'à lui feul! Oui, ma tan e, & mes vœux feront fidèlement remplis. Je ferois criminelle fi j'allois à l'autel tromper un homme, & lui promettre, lui laiffer ef pérer au moins la poffeffion d'un cœur rempli d'une autre image; mais devant Dieu, je fuis innocente. Je ne le trompe point, je ne l'offenfe poin:. Il n'y a point de rivalité entre lui & fa créature, il n'y aura point de jaloufie. Il me verra lui offrir tous les jours en victime ce que j'aurai le plus chéri. Aucun regret n'altérera la pureté de ce facri

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fice; & fi Dieu me laiffe dans le cœur un fentiment involontaire, en le lui immolant je le fanctifierai. Vous le dirai-je enfin je fuis peut-être heureufe d'avoir à lui montrer, en m'élevant à lui, les triftes débris de ma chaîne & les marques de fa victoire.

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En me parlant ainfi, fon vifage étoit animé, fes yeux levés au ciel étoient brillans de joie & humides de larmes; je n'ai jamais rien vu de fi étonnant, de fi touchant que ce mélange de deux amours, dont l'un s'applaudiffoit de facrifier l'autre. Je m'en allois, ravie de ce que je venois de voir, lorfqu'en cherchant quel pouvoit être dans le monde l'objet qui avoit fi vivement touché fon cœur, je me fouvins, comme d'un fonge, que devant elle, un jour, fa mère, en me parlant de Villarcé, en avoit dit ce que vous avez entendu. C'est lui, je n'en fçaurois douter, dis-je en moi-même la pauvre enfant! Je ne fuis pas furprife qu'elle ait défespéré de l'obtenir. Et dès ce moment je me pris du plus vif intérêt pour Villarcé; j'en parlai dans le monde, & j'en demandai des nouvelles; mais on me-répondit qu'on ne le voyoit plus.

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Le jour approche, me dit ma fœur ; il faut que j'aille voir ma fille, & je n'en ai plus le courage. Ah! lui dis-je, fi vous faviez ce que j'ai fu moi-même d'une vocation pareille, vous feriez bien plus foible encore. Qu'eft-ce, demanda-t-elle ?

Une jeune perfonne, dans un accès de ferveur & de zèle, veut fe faire Religieufe; on y confent; elle s'engage; & quand fes vœux font prononcés, tout fon courage tombe, le regret la faifit, un noir chagrin s'empare d'elle; la malheureuse a dans le cœur une pallion dont le feu la confume; La jeunelle elt déjà flétrie, & tous les jours elle s'éteint. — Et comment s'eft- elle engagée, fi elle avoit dans le cœur cette palhon funefte? Elle aimoit un jeune homme bien né, de bonnes mœurs, d'une fortune même alfortie à la fienne, mais plein des ridicules & des vanités de fon âge; fes parens le lui ont refufé, elle a pris fa refolution. Ah! les cruels, s'écria ma Lœur ! pourquoi avoir défefpéré d'une jeuneffe que la raifon eût peut-être bientôt mûrie? Nous fommes tous injuftes envers les jeunes gens avec eux nous prenons au grave des chofes fouventtrès légères. N'avois-je pas conçu moi-même l'averlion la plus férieufe, le mépris même le plus amer pour un jeune homine qui en peu de temps eft devenu très eftimable? Je le trouvois pétri d'orgueil, vain, léger, choquant même dans fa préfomption; eh bien, mon fils m'aflure qu'il eft changé au point de n'être plus reconnoiffable. Il eft modefte, réservé, fage dans fes propos comme dans fa conduite, en un mor, il eft le modèle des jeunes gens de fon état; & dans des circonstances difficiles il s'eft fait admirer par un mélange

de prudence & de fermeté au deffus de fon âge. N'eft ce pas, demandai-je, M. de Villarcé?-Hélas! c'eft lui-même. Il me témoigne le défir de rentrer en grace auprès de moi. J'ai confenti avec empreffement à le recevoir, & je fuis bien impatiente de réparer les torts de mes préventions.

Jugez combien je fus émue de cette lueur d'efpérance. Le Ciel me l'envoyoit. Je renfermai ma joie; & le plus modérément qu'il me fut poffible: Vous me faites plaifir, dis-je à ma fœur, de m'apprendre que ce jeune homme fe foit formé : j'eus toujours du foible pour lui. Je le fais bien dit-elle; aufli je vous invite à venir avec moi le recevoir demain. : comme je veux lui parler à mon aise, nous ferons feuls. Jugez fi je manquai à me trouver au rendez-vous. Le jeune homme le préfenta de l'air le plus timide, portant fur le vifage la confufion du paffé. Sa figure naturellement noble, avoit acquis de la dignité; mais elle étoit pâle & ternie. Il n'ofa parler le premier; ce fut ma fœur qui le prévint.

Monfieur, lui dit-elle, je fuis ravie de vous revoir, car vous avez à vous plaindre de moi; & quoique l'eftime publique vous ait bien pleinement vengé de mes préventions il me manque à inoi-même de foulager mon cœur des reproches que je me fais & que vous avez droit de me faire. A vous, Madame, reprit-il, des reproches! Je n'ai

que des graces à vous rendre ; car le malheur d'avoir pu vous déplaire a été pour moi la plus fenfible, mais la plus utile leçon. L'expreffion qu'il mit à ces mots, la plus fenfible, me pénétra jufqu'au fond du cur. Oui, Madame, pourfaivit-il, fi les illufions de la vanité, dont le monde m'environnoit, & qui fans vous peut-être m'auroient long-temps féduit, fe font tout à coup diffipées, c'eft à votre févérité que j'en fuis redevable. A tous les frivoles fuffrages que je briguois avec tant d'ardeur, j'ai oppofé votre opinion; & j'ai fenti qu'un homme exclu de votre fociété pour. les airs & les tons qu'il fe donnoit fi follement, ne pouvoit plus s'eftimer lui-même. J'ai rougi à mes propres yeux; & dès lors j'ai été changé. Vous l'êtes prodigieufement, reprit ma fœur, & il m'eft doux d'entendre que j'ai contribué à produire ce changement que le temps auroit fait fans moi. Mais comme moi, M., n'avez-vous pas été trop rigoureux envers vous-même ? J'entends parler de la vie appliquée & la borieufe que vous menez ; & je crois voir que votre fanté en a souffert. Oui, Madame, elle est altérée; & je n'espère pas qu'eile fe rétabliffe; mais l'excès du tra vail auquel on attribue cette altération, n'en eft que la caufe apparente. Je fais quel est mon mal, & je fais qu'il eft fans remède. Saus remède! à votre âge! reprit ma fœur avec intérêt. Oui, Madame, à mon âge, il eft des atteintes cruelles dont

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