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on a long temps à fouffrir & dont on ne guérir jamais. Ma fœur détourna l'entretien pour ne pas l'occuper de ses triftes idées; & lorfqu'il fut parti: Ce jeune homme a, dit-elle, quelque paffion dans l'ame. Je le crois comme vous, lui dis-je, & je soupsonne que c'eft lui qu'aimoit cette jeune perfonne dont je vous ai peint le malheur. Lui! s'écria ma fœur avec émotion; & quelle eft cette infortunée? - C'eft ma nièce, c'eft votre fille. O ciel ! O ciel! que dites-vous! Ma fille! ils s'aimoient donc à mon infçu! Et à l'infçu l'un de l'autre, ajoutai-je : chacun des deux fe flatte de mourir avec fon fecret, & je n'en fais moimême que ce que j'en ai pénétré. Il faut tout éclaircir, me dit ma four; voyez ma fille, tâchez de lire dans fon cœur; & prévenez l'Abbeffe que tour eft fufpendu. De mon côté j'ai fait inviter Villarcé à fouper demain avec moi : je ne tarderai pas à savoir de lui-même ce qui fe paffe dans fon ame.

Villarcé, qui, de fon côté, défiroit de la trouver feule, arriva de bonne heure,: & l'entretien s'engagea fans détour. Monfieur, lui dit ma fœur, vous m'avez parlé de vos peines; & l'eftime la plus fincère, l'intérêt le plus férieux me preffe de favoir quelle en eft la nature, pour vous of frir Ginon des confeils falutaires, au moins les confolations de l'amitié; car je vous le répète, c'est par ce fentiment que je veux réparer mes torts. Madame, répondit le jeune homme

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homme vos bontés femblent preffentir ce que j'ai à vous révéler, tant c'est à propos qu'elles daignent m'en infpirer la confiance. Lifez donc au fond de mon cœur.

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Tandis que je me ruinois dans votre eftime par des travers & des ridicules dont je m'étois fait un fyftême, je m'enivrois auprès de vous des illufions les plus flatteufes de l'efpérance & de l'amour, & je m'applaudiffois d'une paflion nafante qui devoit faire mon fupplice. Bientôt le charme à été rompu; & c'est alors que j'ai fenti au fond de non ame fe fixer & s'approfondir l'impreflion fatale d'un objet qui m'étoit ravi, qui l'étoit pour jamais. J'ai fu de men ami que, volontairement & par inclination, fa four, au grand regret de fa mère & de fa fanrille, s'étant retirée au Couvent, demandoit à prendre le voile. J'ai fu que deux années d'épreuve n'ent fait que l'affermir dans fa réfoletion. Enfin je fais que dans peu de jours le confemine fon facrifice: je n'ai pas la penfée de l'en diffuader, ni d'obtenir. de vous, Madame, une tentative inutile. Je ne veux pas non plus jouer dans le monde des fcènes de Romans, ni me faire citer au nombre des Amar's malheureux & défefpérés ; on n'a que trop parlé de moi je n'ai plus qu'à mourir tranquille; & mon ami lai-même qui me voit dépérir, ne connoît point mon mal. Mais vous Madame, dont le cœur eft un fanctuaite No. 27. 3 Juillet 1790.

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pour moi, vous tenez de fi près à l'objet de imes peines, que dès que vous avez daigné vouloir en être inftruite, vous avez dû l'être. Ce fera d'ailleurs, je l'avoue, un foulagement pour celui qui adore Mademoifelle de Clarville, qui ne la verra plus, qui l'aimera toujours, de pouvoir parler avec vous d'un objet qui nous eft fi cher.

Quand même la caufe de votre malheur me feroit étrangère, lui dit ma fœur, je m'y intérefferois par tous les fentimens -qu'un vertueux amour infpire; & après en ́ avoir follicité la confidence, je me ferois un devoir d'en adoucir les peines, fi je ne pouvois rien de plus. Combien n'y faisje pas plus obligée encore, lorfque cette caufe innocente du mal qui vous détruit eft un autre moi-même ? Ce que je n'ai pas fait pour moi, quoique ma fille, que je perdois, me fût bien chère, je le ferai pour vous, Monfieur, n'en doutez pas; & hormis d'abuser du pouvoir maternel, tout ce qui n'eft qu'invitation & que perfuafion, fera mis en ufage pour ramener ma fille auprès de moi, Alors fi elle fent comme moi le prix d'un cœur tel que vôtre, elle eft à vous; & je ferai mon bonheur d'affurer le fien. Elle achevoit à peine; le bon jeune homme étoit à fes genoux.

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Je ne fais pas décrire des fcènes pathétiques, reprit Madame de Solange ; & d'ailleurs chacun feat ce que peut dire un mourant qu'on ranime par un breuvage

falutaire, ou un naufragé qui périt, & auquel du haut d'un écueil on jette un cable fecourable. Je vous laiffe donc imaginer ces transports de reconnoiffance; & je vais moi-même trouver Califte, que je revis le lendemain.

Il ne me fut pas difficile, en lui parlant de fa mère, d'amener le récit de fa réconciliation avec M. de Villarcé, & de leur premier entretien. Califte en m'écoutant rougit, mais fans marquer encore aucune émotion. Ce ne fut qu'à ces mots, il eft des atteintes cruelles dont on a long temps à fouffrir & dont on ne guérit jamais, qu'elle ajouta: Oh non,jamais,jamais on n'en guérit.

Ne penfes-tu pas comme nous, lui demandai-je, que ce jeune homme a quelque paffion dans l'ame? Hélas! peut être bien dit-elle, & fi cela eft, je le plains; car il n'a pas les mêmes confolations que moi. Et fi celle qu'il aime, l'aimoit aufli à fon infçu? Et s'ils n'étoient malheureux f'un & l'autre que pour ne pas favoir qu'il leur eft permis d'être heureux ? - Hélas! me dit-elle, ma tante, pourquoi venez-vous me troubler de ces dangereufes pensées ? Je vois trop bien que vous croyez avoir pénétré mon fecret; mais croyez-vous de même avoir furpris le lien? Et quand ce feroit lui, qui vous affure que ce foir moi? Et fi ce n'eft pas moi, voyez le mal que vous me faites ! Et fi c'cft toi, lui dis-je en fixant mes yeux fur les fiens? Elle

fe jeta dans mes bras; & je fentis mon fein baigné de larmes. Eh bien c'est toi, il l'a dit à ma four, & nous n'en pouvons plus douter. Et que lui a répondu ma mère, demanda-t-elle d'une voix tremblante? Que tu es à lui, firu le veux. Quoi, ma tante, il faut donc que ma conduite fe démente, & que pour un époux dont on m'aura parlé, je change de réfolution? Que dira-t-on de moi ? Que tu obéis à ta mère. N'as-tu pas annonce que tu lui étois founife, & que ta réfolution même dépendoir de fa volonté? Oui je l'ai dit. Eh bien ta mère commandera & tu ne feras qu'obéir. Elle m'cmbralla de nouveau, & au battement de fon cœur, au mouvement preffé de fon halcine, je crus fentir s'exhaler de fon fein tous les foupirs qu'elle étouffoit depuis deux ans.Je la quittai bien vite, pour aller retrouver ma fœur.

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Je ne me trompois pas; j'ai fon avcu, lui dis je, & c'eft bien Villarce qu'elle aime. Mais elle ne veut changer de réfolution que pour vous obéir; & il faut que vous commandiez. Je commande, me dit ma fæur; qu'elle fe rende auprès de moi dès ce foir même. Allez & ramenez-la moi. Les heures de douleur font longues, & je veux épargner à cet intéreffant jeune homme au moins cette nuit de tourment.

Elle le fit venir; & par degré le raffurant & lui infinuant l'efpérance, elle affoiblit tant qu'il lui fat poflible la commo

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