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fon trifte fort me tourmente nuit & jour.. Je reffens toute l'amertume de fes peines, fans avoir partagé fa faute; que dis-je ? hélas ! j'ignore en quoi il vous a déplu. Il étoit jeune pour lors, & fûrement il fut entraîné par d'autres. Ah! qu'il doit penfer différemment aujourd'hui les réAlexions d'un captif ne reffemblent point aux vaines penfées d'un jeune homme libre. S'il ne mérite pas votre pardon, Madame, ne pourrai je pas le mériter moimême pour lui: Soyez touchée de mon fort, ayez compaffion d'une mère affligée; laiffezvous fléchir par mes larmes. La mort me fermera bientôt les yeux, n'attendez pas que je fois au tombeau pour faire grace à mon fils. Je n'ai que cet enfant, l'unique rejeton de la tige, l'unique de la maison, l'unique efpérance de ma vieilleffe. Rendez-le moi, Madame, vous êtes fi bonne !... (O! ma mère, vous lui parlez de fa bonté, vous vous abaiffez jufqu'à cet effort! Grand Dieu la tendreffe d'une mère peut donc fe porter à un tel excès de courage?) » Ne » me refufez pas mon fils, Madame, la » feule confolation de ma vieilleffe: ren»dez le, de grace, à mon affliction, rendez le à mes foupirs, rendez-le à mes pleurs, rendez-le à mes fanglots «.

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La réflexion de M. de la Tude eft bien jufte. Il eft für que ces mots, vous êtes fi bonne, adreffés à celle qui le retenoit depuis tant d'années dans les ténèbres des.

cachots, ne pouvoient fortir d'un cœur maternel qu'en le déchirant.

Un défir de vengeance (il feroit difficile de le condamner dans une pareille firmation) réveille un inftant l'ame du prifon-, nier, long temps abîmée dans la douleur. Il fe propofe d'écrire un Mémoire co tre fon inflexible ennemie, & de le faire parvenir, s'il eft poflible, au Roi lui-même. Il ne défefpère pas d'en trouver les moyens. En fe promenant fur la plate-forme de la Bastille, il s'étoit fait entendre par des fignaux de deux jeunes Ouvrières qu'il avoit apperçues à une fenêtre de la rue SaintAntoine. Elles lui avoient répondu par des fignes d'intelligence, & en jetant le paquet du haut de la plate-forme dans la rae, il étoit fûr qu'elles le ramafferoient. Mais il falloit écrire; il ne pouvoit plus fe fervir de fon fang, parce qu'à force d'en tirer de fon doigt, il étoit dans le cas d'y craindre la gangrène. Il faut voir par combien de combinaisons réunies il vient à bout de faire de l'encre, étant dénué de tout ce qui pouvoit lui être néceffaire. Rien n'eft plus intéreffant que ces miracles de la première de toutes les puiffanees inventives, la néceffité. » Je pouvois faire de l'encre avec du noir de fumée; mais comment m'en procurer? Depuis huit ans je n'avois ni feu ni lumière. Mes ennemis, dont l'idée la plns ordinaire étoit que je trouverois les moyens de fortir

de l'Enfer, avoient défendu fous les peines les plus fortes, qu'on me laif ât entre les mains une tête d'épingle, & j'en fus réduit à créer pour juftifier leur prévoyance.

"Je cherchai d'abord à me procurer de l'amadou pour cela, je prétextai une violente douleur de dents, & je priai le Sergent qui fumoit, en m'accompagnant fur la tour, de me prêter fa pipe pour me foulager; je li demandai ce qui m'étoit néceffaire pour la charger & l'allumer : il y confentit. Je ne pus lui prendre fon briquet ni fa pierre, mais j'efcamotai un morceau de l'amadou. Poffeffeur de ce petit trésor, je ne fus plus occupé qu'à me procurer du feu. De retour dans ma chambre, j'affectai une colique affreufe; je fis venir le Chirurgien, il me donna de l'huile, c'est ce que je cherchois: j'avois plufieurs pots de faience dans lefquels il y avoit eu de la pommade; j'y mis une mèche. J'y fis de la ficelle avec des fils que je tirai de mes draps; je pris un bâton de ma chaife, & je me procurai une efpèce d'archer; j'y attachai ma ficelle, que je laiffai affez lâche pour pouvoir ferrer une cheville que j'avois faite pointue d'un bout, & arrondie à l'autre. Je m'étois muni dans une promenade de deux morceaux de bois très - fecs, que j'avois pris après l'affût d'un canon. Je les avois arrangés de façon que la pointe de la cheville pût y entrer. Le tout ainfi préparé, je mis mes deux morceaux de bois entre

mes genoux, je plaçai à l'extrémité arror.die de la cheville un gobelet que je ferrois avec ma main gauche : enfuite je tirai, je pouffai mon archet, qui, de cette manière, faifoit tourner la cheville; je l'agirai avec tant de vitelle, qu'en peu de temps elle échauffi & embrafa les deux morceaux de bois; j'allumai mon amadou au moyen d'une bonne provifion de charpie que j'avois préparée; je foufflai fort, & je parvins à me procurer du feu & à allumer mon lampion.

A la vue de cette lumière, je ne fus pas maître de mon premier mouvement; je fautai, je dan fai autour, & il me fallut quelques inftans pour calmer mes fens & dilliper l'heureux délire qui m'agitoit.

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Je mis enfuite au deffus du lampion une affiette de terre verniffée, que j'avois eu foin de conferver à mon dernier repas. Je m'en fervis comme d'un chapiteau pour" recevoir la fumée que ma lampe donnoit; je ramaffai la fuie ou le noir dar s un morceau de papier, à mefure qu'il s'en formoit une certaine quantité: dans l'espace de fix heures, j'en eus un volume affez confidérable; je voulus broyer ce noir dans de l'eau, mais cela me fut impoffible, il furnageoit toujours, & je ne pouvois le diffoudre je n'y parvins qu'au moyen d'un peu de frrop que je me fis donner le len demain, fous le prétexte d'un rhume violent: avec ces fecours, je me procurai une

encre excellente en délayant mon noir de fumée dans un peu de firop & d'eau «.

Des feuillets blancs tirés de quelques livres qu'on lui prêtoit lui fournirent du papier, & avec une pièce de deux liards, applatie, arrondie, & aiguifée, il fit une plume. Le Mémoire fut rédigé, jeté & ramaffé; mais il n'eut aucune fuite. Il étoit adreffé à trois perfonnes connues, MM. de la Beaumelle, la Condamine & de Mehegan. Les deux premiers n'étoient pas à Paris, le troifième ne voulut pas recevoir un paquer venant d'un prifonnier de la Baftille; & fur ces entrefaites la Marquife mourut. Les deux obligeantes Ouvrières trouvèrent le moyen de le faire favoir à M. de la Tude, qui en fe promenant fur les tours de la Baftille, vit à leur fenêtre un écriteau, en très-groffes lettres, portant ces mots : » la Marquife » de Pompadour eft morte hier 17 Avril " 1764".

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On peut juger de la joie d'un homme qui naturellement devoit croire que tous fes malheurs devoient finir avec celle qui en étoit l'unique auteur. Il ne douta plus de fa prochaine délivrance, & dans cette perfuafion il écrivit au Lieutenant de. Police, M. de Sartine, pour réclamer une liberté qui depuis fi long temps auroit dû lui être rendue. Mais ici commence un: nouvel ordre de chofe, & il s'ouvre une nouvelle fcène d'infortune & d'horreur

宿

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