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stitution, aux bases essentielles du système sous lequel on avait vécu depuis huit années. Il était impossible que la question ne se posat pas en ces termes à l'esprit de ceux qui reconnaissaient que le système de 1852 était devenu suranné.

Ce qu'il importait en même temps de ne pas perdre: devue, dans ces méditations constitutionnelles, c'était cette doctrine qu'augmenter, sous une forme quelconque, le droit de discussion et de contrôle, c'était donner une véritable liberté d'attaque. Or, le seul pouvoir discutable étant naturellement le pouvoir responsable, et le pouvoir responsable se résumant en l'Empereur seul, augmenter le droit de discussion sans correclif immédiat, c'était affaiblir la Couronne sans compensation pour sa force nécessaire; c'était entrer dans la voie la plus fausse, la plus dangereuse, la plus illogique qu'on pût imaginer pour une monarchie représentative, où la pondération des pouvoirs est la première condition d'existence. Si on donnait les moyens de discuter les actes du pouvoir, il fallait lui donner, en même temps, de nouvelles conditions de défense et de sécurité. Le plus sûr moyen de mettre la Couronne à l'abri des attaques que devait inévitablement provoquer une plus grande somme de liberté, c'était de la couvrir par la responsabilité ministérielle.

Et si le mouvement de l'opinion conduisait ainsi à modifier, dans le régime de 1852, ce qu'il avait de trop autoritaire, si les tendances des esprits ramenaient le pouvoir à la politique du Gouvernement du pays par le pays, n'était-ce pas un complet retour

t

qu'il fallait faire vers les saines doctrines, et pouyait-on trouver un procédé plus sûr, pour donner foi dans l'avenir, que d'accepter franchement, nous le répétons, le rétablissement de la responsabilité ministérielle? Tout eût été bénéfice, pour le pouvoir, en s'engageant dans une pareille voie. On eût ainsi renoncé à des institutions inadmissibles, comme état permanent, et par conséquent transitoires, et on eût eu à leur place un régime nouveau, fait pour survivre à un règne et pour assurer, sans secousses, les transmissions de la Couronne.

Dans une forme de gouvernement où les attributions du souverain occupent une trop large place, où les résolutions les plus graves peuvent dépendre de sa seule volonté, où le contrôle, par conséquent, n'est qu'imparfait ou illusoire, le gouvernement vaut ce que vaut l'homme qui est placé à sa tête. Si la Providence envoie, à de rares intervalles, un prince de génie pour gouverner un pays, ce prince en fait momentanément la grandeur et peut-être la prospérité., Mais le génie ne se transmet pas avec la Couronne, et, à un règne où tout est à admirer peut en succéder un autre qui en soit la contradiction. De semblables contrastes ne sont ainsi que la conséquence forcée des lois de la nature qui, pour les princes comme pour les autres hommes, fait du génie la rare exception, du mérite une faveur et de la médiocrité, la règle la plus ordinaire. Nulle condition n'échappe à de cruelles infirmités et parfois à de mauvais penchants. L'histoire nous montre que les trônes euxmêmes ont eu leur part de ces douloureuses épreuves.

Dans un gouvernement où la prédominance de la Couronne est excessive et qu'on a justement appelé, pour cela, gouvernement personnel, la quiétude de la nation est subordonnée à la durée de la vie d'un prince. Qu'un accident imprévu l'atteigne, il peut en résulter un désastre pour le pays; on a chaque jour ainsi le souci du lendemain.

Rarement cette vérité n'avait été plus frappante que sous le règne de Napoléon III, et principalement à cette époque de son règne. On avait confiance en sa sagesse et on croyait fermement que la prospérité durerait autant que sa vie; mais on n'envisageait pas sans effroi le terme de son existence. Chaque perturbation, si légère qu'elle fût, dans sa santé était une cause d'anxiété. Le Prince Impérial était encore un enfant; on n'osait espérer que la vie de l'Empereur le conduirait jusqu'à la majorité de son fils, et la perspective d'une régence était une autre cause de graves préoccupations. C'était là la pensée de tous, amis, indifférents ou adversaires modérés, et de telles craintes étaient à la fois et la critique la plus saisissante du gouvernement personnel et l'argument le plus concluant qu'on pût invoquer en faveur du régime parlementaire.

L'essence du gouvernement parlementaire est, en éffet, de conjurer tous ces dangers. Il ne fait entrer, dans son fonctionnement, la valeur du Prince que comme un bénéfice éventuel. Son organisation mème á pour but de suppléer à ses imperfections ou à ses faiblesses. Il réduit la transmission de la Couronne à un événement normal qui fait du lendemain la

continuation de la veille; il fait, en un mot, de la mort du Prince un simple malheur de famille, un deuil public s'il est aimé, au lieu de lui laisser les proportions possibles d'une crise politique qui ébranle le pays et met en péril les institutions.

L'Empereur se refusait-il à reconnaître l'évidence de ces vérités, ou se réservait-il de n'en tenir compte qu'à la fin de son règne, dont sa santé vigoureuse alors lui permettait de n'entrevoir le terme que dans un avenir éloigné? Le fond de sa nature restait toujours enclin à la liberté ou plutôt à certaines libertés. Il voulait sincèrement conduire la France à un ordre de choses où les doctrines libérales eussent eu une part importante; comme nous l'avons dit, il ne voulait l'y conduire que par des formules qui ne portassent pas trop d'ombrage à sa puissance per sonnelle. C'était toujours cette même préoccupation qui rendait son esprit moins accessible à la juste appréciation des seuls principes capables de donner au pays une liberté bienfaisante, celle qui permet le gouvernement du pays par le pays. Dans tout le cortège des innovations que comportait ce régime il en était une qui heurtait les convictions de l'Empereur c'était la responsabilité ministérielle. C'était, à ses yeux, un effacement de sa haute personnalité, la négation même de l'Empire: c'était l'abdication.

Il consentait à laisser aux Chambres une certaine latitude de discussion; mais sans la laisser aller toutefois jusqu'à un contrôle trop complet, et, en tout cas, sous la réserve expresse de sa responsabilité

personnelle et de la continuation de l'effacement constitutionnel des ministres.

Situation périlleuse entre toutes ! La stabilité, si difficile à trouver, ne doit-elle pas être cependant le but essentiel à atteindre pour toute monarchie existante! Et s'il est prouvé, comme tout le démontre, que l'amovibilité est, au contraire, la condition essentielle et inévitable de toute responsabilité, de la responsabilité directe du Chef de l'État lui-même comme de tout autre pouvoir, ne doit-on pas arriver à conclure: que, de tous les dangers auxquels une Constitution puisse exposer le pouvoir souverain, la responsabilité directe est celui qu'il doit le plus soigneusement éviter. Sous un régime même qui ne permettrait la discussion ni dans les Chambres ni dans la presse, une telle responsabilité exposerait, tôt ou tard, à la chute le pouvoir qui en aurait le fardeau ; car on ne réussit point à étouffer longtemps le sentiment d'une nation. Combien cette amovibilité ne devient-elle pas plus menaçante encore, quand la haute personnalité responsable peut être sans cesse discutée, quand la discussion a le droit de s'emparer de chacun de ses actes, de les examiner sous toutes leurs faces, de s'en prendre aux intentions, aux tendances, et de faire, pour ainsi dire, comparaître, à toute heure, le souverain à la barre de l'opinion comme un accusé! Si puissant, si habile que soit le dépositaire du pouvoir, si grand que soit son prestige, il ne saurait, surtout avec nos mœurs politiques capricieuses et inconstantes, se soustraire, dans un temps donné, à certaines défaveurs. De la défaveur à l'a

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