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la plus vaillante résistance. La flotte russe s'était rapidement portée sur Sinope. Elle y avait surpris l'escadre ottomane dans le port. Elle l'avait détruite et elle avait en même temps incendié la ville. Il fallait promptement agir. Les généraux alliés le comprirent et c'est plutôt pour sortir de l'inaction que pour atteindre un but sérieusement utile qu'ils résolurent, à la fin de juillet, la mise en marche d'une colonne de 10,000 hommes dans la Dobrutscha. Le général Espinasse, qui commandait cette petite armée, brûlait de rencontrer l'ennemi. Les soldats, comme leur chef, marchaient avec un joyeux entrain. Cette joie, hélas ! devait être de courte durée. Après quelques marches, on vit qu'on s'était engagé dans une sorte de désert marécageux où rien ne pouvait faire supposer la présence de l'ennemi. L'insalubrité de ces contrées maudites ne tarda pas à éprouver nos troupes; une effrayante épidémie éclata et produisit, en quelques jours, les plus cruels ravages. Plus on avançait, plus augmentait l'intensité du mal. Pour atteindre les Russes, il eût fallu parcourir encore de longs espaces fangeux presque entièrement dépourvus de moyens de communication. Eût-on rencontré l'ennemi, on n'eût pu mettre en ligne qu'une poignée d'hommes exténués par les privations et les maladies. On s'aperçut trop tard qu'on avait agi avec une regrettable précipitation et on s'arrêta au seul parti qui restât à prendre : on embarqua, pour Constantinople, ce qui restait de nos malheureux soldats. Quelques semaines avaient suffi pour que plus de la moitié d'entre eux eussent succombé aux atteintes du fléau.

Il importait de ne laisser ni l'armée ni l'opinion sous le coup des impressions pénibles qu'avait éveillées cette campagne de la Dobrutscha. Les généraux alliés le sentaient; aussi se résolurent-ils immédiatement à une autre entreprise, celle-là bien conçue, bien étudiée et d'une haute importance. Ils décidèrent que tout l'effort de nos troupes de terre et de mer se porterait sur les côtes de Crimée, en prenant comme principal objectif la ville et le port de Sébastopol, siège principal de la puissance maritime de la Russie. Les premiers jours de septembre voyaient débarquer, aux abords de Sébastopol, les armées alliées, et, le 20 de ce même mois, elles attaquaient l'armée russe, solidement retranchée sur les plateaux dominant la rivière de l'Alma.

Des deux côtés, les armées en présence sentaient toute l'influence qu'aurait, sur le sort de la campagne, le résultat de cette première bataille. L'action fut chaude; le terrain se disputait pied à pied; mais un mouvement tournant du général Bosquet jetait le trouble dans l'armée russe et l'attaque de front, vaillamment conduite par le général Canrobert, le Prince Napoléon et lord Raglan, triomphait de toutes les résistances. Les retranchements russes étaient enlevés, et, à la chute du jour, le maréchal de Saint Arnaud, qui avait fait preuve d'une rare habileté et d'un courage héroïque, plaçait sa tente là où, quelques heures auparavant, était celle du Prince Mentschikoff. L'éclatante victoire que venaient de remporter les alliés avait jeté le trouble dans le camp ennemi. Peutêtre, par une marche hardie, pouvait-on se porter sur

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Sébastopol et en forcer l'entrée. Les généraux anglais et français n'en jugèrent point ainsi et bientôt commença ce siège qui donna lieu à tant d'actes d'héroïsme de la part des armées en présence.

Le siège d'une place forte importante est toujours une entreprise de longue durée. Quelques grands épisodes en interrompent d'ordinaire la monotonie. La bataille d'Inkermann fut le principal événement du siège de Sébastopol. Tout ce que l'armée russe avait de disponible en Crimée s'était massé, pendant la nuit du 5 novembre, aux abords du plateau d'Inkermann et, à la pointe du jour, ses bataillons. compacts se ruaient sur l'armée anglaise. Nos alliés n'étaient nullement préparés à une semblable agression; aussi y eut-il, parmi eux, quelque confusion au début de l'action. Mais, avec autant de sang-froid que de bravoure, ils se reformèrent rapidement sous le feu de l'ennemi et soutinrent le choc avec héroïsme tout le temps qu'il fallut au général Bosquet pour arriver à leur secours.

Aux premiers coups de canon entendus, le général français avait compris qu'une affaire sérieuse était engagée et il s'était porté, avec toutes les forces dont il disposait, sur le lieu du combat. Placé, de sa personne, à la tête de ses colonnes, Bosquet s'élança sur l'ennemi avec une telle impétuosité qu'il lẻ mit presque immédiatement en déroute. Le poursuivant l'épée dans les reins, il en faisait un véritable massacre. Dans sa retraite, l'armée russe avait pris une mauvaise direction et elle ne tardait pas à être acculée à une série de précipices qui rendaient toute fuite

impossible. Là, s'engageait un terrible combat à l'arme blanche et tout ce qui n'avait pas été précipité dans l'abime périssait en vendant courageusement sa vie. L'armée russe n'avait pas perdu moins de 6,000 hommes dans cette sanglante journée.

Ce n'était pas toutefois un succès décisif. Les mois s'écoulaient et, durant un hiver rigoureux, l'armée assiégeante était en proie à de cruelles épreuves. Le choléra, le scorbut, le typhus faisaient de nombreuses victimes. Il faut rendre hommage au dévouement, à la sollicitude et à la prévoyance du général en chef Canrobert. Il se montra aussi habile administrateur qu'il avait été vaillant soldat sur le champ de bataille. On lui dut le salut de l'armée.

Et cependant, après de si grands services rendus, le général Canrobert croyait devoir résigner ses fonctions de commandant en chef. Nous n'avons pas à entrer ici dans le détail des circonstances qui amenèrent cette résolution toute spontanée de sa part. Il nous suffira de dire qu'il emportait la haute estime et la vive affection des armées alliées. Pour ne pas se séparer d'elles, il avait demandé et obtenu de servir au second rang, après avoir si dignement occupé le premier. Là, comme dans tous les actes de sa vie, le général, devenu depuis le maréchal Canrobert, a montré ce qu'étaient en lui la noblesse de caractère, le désintéressement et l'amour de la patrie. Le commandement qu'il avait reçu des mains du maréchal de Saint Arnaud, mort quelques jours après sa glorieuse victoire de l'Alma, il le remettait au général Pélissier.

Le général Pélissier était renommé, à juste titre, pour son savoir, son énergie. On s'accordait à penser qu'il ne tarderait pas à frapper un coup décisif. Il avait trouvé à Sébastopol un précieux auxiliaire, le général Niel, l'un des plus distingués des officiers du génie. C'était là une puissante garantie de succès, car le général ajoutait à une science approfondie de l'art de la guerre un coup d'œil d'une telle sûreté que ses avis étaient pour ainsi dire placés au-dessus de toute discussion. C'est en se conformant à ses plans qu'on parvint à s'emparer des formidables travaux qu'avait fait élever, comme par magie, l'habile général russe Totleben.

Un instant on put croire que la paix allait mettre fin à cette lutte terrible, dans laquelle venaient s'engloutir tant d'hommes et tant d'argent. Le Czar Nicolas, mortellement atteint par un mal resté inconnu, succombait après quelques jours seulement de souffrances. Son fils Alexandre II lui succédait. L'Europe entière connaissait sa sagesse et ses dispositions pacifiques; mais le nouveau souverain trouvait, en face de lui, les exigences du vieux parti moscowite et force lui était de continuer la guerre. Ce ne fut qu'au prix de considérables efforts et de douloureux sacrifices que les armées alliées, auxquelles était venu se joindre un contingent de troupes sardes, parvinrent à triompher de la résistance opiniâtre des Russes. Le 8 septembre, le général Pélissier ordonnait l'assaut et Sébastopol tombait en notre pouvoir. Le général Pélissier et, sous ses ordres, les généraux

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