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venait au gouvernement en face de la nation : c'était le silence. S'engager dans la voie de la justification était chose impossible à entreprendre; et cependant, il se trouva un ministre, M. le marquis de la Valette, qui ne recula point devant cette témérité. M. Drouyn de Lhuys, quelque temps après Sadowa, avait donné sa démission, et M. le marquis de Moustier, ambassadeur à Constantinople, avait été choisi pour le remplacer. Mais, entre le jour de la démission de M. Drouyn de Lhuys et celui de l'arrivée de M. de Moustier, l'intérim des affaires étrangères avait été confié au marquis de la Valette, alors ministre de l'intérieur. Placé à la tête de ce département ministériel, sans beaucoup d'autres titres que sa docile amitié pour M. Rouher et ses assiduités à la cour, M. de la Valette n'avait fait preuve dans ce poste que d'une complète incompétence; il savait quel jugement sévère on portait sur lui, et c'est dans le trompeur espoir de se réhabiliter, peut-être seulement dans la pensée de donner à sa personne la notoriété politique qui lui faisait défaut, qu'il rédigea cette trop fameuse circulaire du 16 septembre 1866 qui célébrait l'unité allemande comme un bienfait pour la France et comme une condition de sécurité pour l'avenir.

Pour vanter les mérites de cette unité allemande, M. de la Valette disait :

...« La Prusse agrandie, libre désormais de toute solidarité, assure l'indépendance de l'Allemagne. La France n'en doit prendre aucun ombrage. Fière de son admirable unité, de sa nationalité indestruc

tible, elle ne saurait combattre ou regretter l'œuvre d'assimilation qui vient de s'accomplir et subordonner à des sentiments jaloux les principes de nationalité qu'elle représente et professe à l'égard des peuples. Le sentiment national de l'Allemagne satisfait, ses inquiétudes se dissipent, ses inimitiés s'éteignent. En imitant la France, elle fait un pas qui la rapproche et non qui l'éloigne de nous. »

Plus loin, cherchant à faire partager au pays sa confiance dans le long avenir de paix que venait de nous assurer Sadowa, le ministre des affaires étrangères, par intérim, s'exprimait en ces termes :

.... En résumé, du point de vue élevé où le gouvernement impérial considère les destinées de l'Europe, l'horizon lui paraît dégagé d'éventualités menaçantes; des problèmes redoutables, qui devaient être résolus parce qu'on ne les supprime pas, pesaient sur les destinées des peuples; ils auraient pu s'imposer dans des temps plus difficiles; ils ont reçu leur solution naturelle sans de trop violentes secousses et sans le concours dangereux des passions révolutionnaires. Une paix qui reposera sur de pareilles bases sera une paix durable »...

On reste confondu en présence d'un pareil langage! La jactance cherche parfois à masquer le dépit et à colorer un revers. Mais l'opinion publique était trop clairvoyante pour être dupe de semblables artifices, et la circulaire de M. de la Valette déchaîna de justes et unanimes sévérités. Ce document diplomatique restera comme un triste exemple de la condescendance à laquelle pouvait conduire l'empres

sement d'un ministre de plaire à son Souverain. L'année 1866 avait été mauvaise pour l'Empire, tant à l'extérieur, nous venons de le voir, que dans la discussion des Chambres, nous l'avons montré plus haut. Comment le gouvernement sut-il comprendre la difficile situation qui lui était faite ? Nous allons l'examiner.

CHAPITRE XI

LE 19 JANVIER

Préliminaires du 19 janvier.

Ce que demandait l'opinion. Ce que sont les questions de personnes sous les gouvernements autoritaires et sous les gouvernements parlementaires.MM. Walewski et Émile Ollivier.

tentions.

Ce qu'on voulait aux Tuileries. — Fallait-il, ou non, compter avec lui?

Leurs in

- L'obstacle.

Un choc semblable à celui qui s'était produit, dans la discussion de l'adresse de 1866, devait avoir eu nécessairement, aux Tuileries, un sérieux retentissement. Tout, dans l'état du pays, depuis Sadowa principalement, révélait la vivacité et la marche progressive du courant libéral. Cette fois, nous l'avons vu, la croisade contre le pouvoir personnel prenait des formes plus hardies que par le passé. L'opposition ne déguisait plus ses exigences; elle demandait toutes les libertés qui constituent non pas seulement le gouvernement du pays, par le pays dans son exacte et tutélaire acception; mais bien le gouvernement le plus li

bre qui se puisse trouver. Aux libertés utiles, aux garanties protectrices, elle voulait ajouter cette série d'émancipations périlleuses qui n'ont jamais servi qu'à alarmer la société, à harceler et à renverser le pouvoir. Elle attaquait ainsi, de front, la Constitution de 1852, et créait au gouvernement une situation telle, que le statu quo devenait intolérable.

On se trouvait en face de deux résolutions à prendre. Ou il fallait rompre ouvertement avec l'opinion libérale, déclarer qu'on avait trop présumé de l'apaisement des esprits, que les réformes du 24 novembre avaient été prématurées, que les latitudes laissées à la presse n'avaient été qu'un essai dont on constatait le péril, et rentrer dans le régime silencieux de 1852. Mais une résolution semblable était pleine de dangers, car c'était, en quelque sorte, un second Coup d'État qu'il fallait tenter, non plus d'accord avec l'opinion du pays, comme en 1851, mais cette fois, au contraire, à l'encontre du mouvement des esprits. C'était s'exposer à des chocs violents et entrer dans la voie de la lutte à outrance et d'une impitoyable compression.

Ou il fallait s'engager résolument dans le courant qu'on avait fait naître, n'y voir que la conséquence, naturelle et prévue, des réformes du 24 novembre, prendre hardiment la direction du mouvement avant qu'il ne dominât lui-même, et en rallier ainsi les nombreux partisans, au lieu de s'en faire des adversaires par la résistance.

Pour s'arrêter à ce dernier parti, il fallait envisager la situation dans sa réelle gravité. Il devenait bien

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