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bira d'autre retard que le temps que vous emploierez à vaincre » (1).

C'était trop! C'était nous ramener au temps où Boileau disait « Grand Roi, cesse de vaincre ou je cesse d'écrire ». Et si un pareil langage était singulièrement osé à la tête du premier corps de l'État, au moment où tout était sérieux dans les esprits, où tout était anxieux dans la nation, où le doute commençait à succéder à la jactance, que devait être la louange dans les entretiens familiers !

C'est par de tels moyens, et il en fallait de puissants en effet pour arriver à ce triste résultat, qu'on est parvenu, pendant plusieurs années, pendant les années qui devaient se montrer les plus fécondes en résolutions éclairées, à faire le vide autour du trône, pour y laisser régner une personnalité souverainement dominante. C'est ainsi que les mêmes idées, les mêmes préventions quand il en existait, se continuaient sans qu'aucune voix pût s'élever utilement pour les combattre. C'est ainsi que l'on créait l'immobilité, où devaient régner le mouvement et la vie. C'est ainsi qu'on tenait close toute fissure qui eût pu laisser passer la lumière et qu'on s'opposait soigneusement à tout ce qui pouvait renouveler, en s'emparant des précieux enseignements que donnait l'opinion sage du pays, un courant d'idées qui devait fatalement en se prolongeant, conduire l'Empire à sa perte. C'est par cette conspiration contre la vérité, contre le mouvement, contre la vie politique à son

(1) Journal Officiel, 17 juillet 1870.

sommet, qu'on a réussi à perpétuer les erreurs autour du trône. C'est à cet accaparement de toutes les directions des grandes administrations, qui dépassait les facultés de celui qui s'en rendait coupable, qu'il faut attribuer le relâchement d'abord, puis l'affaissement qui s'est insensiblement produit dans les grands services de l'État. C'est ce spectacle affligeant qui a excité l'ardeur des critiques et constitué ce parti de résistance devenu si fort, un jour, qu'il n'eut qu'à toucher du doigt la couronne pour renverser la dynastie.

Ces pages, que nous avons consacrées à l'ancien ministre de Napoléon III, nous les avons écrites comme la majeure partie de ce livre lui-même, en Angleterre, où les avis menaçants du ministre de l'intérieur d'alors, M. Gambetta, nous avaient contraint de chercher un refuge après le 4 septembre. Depuis cette époque, toute une carrière nouvelle s'est ouverte devant M. Rouher. Après les effroyables désastres de la guerre, on pouvait croire toute chance de restauration fermée, pour longtemps, à la dynastie des Napoléon. M. Rouher ne désespéra pas d'en rapprocher la date, et, au lendemain même de la Commune, il se mettait à l'œuvre, au péril de sa vie, pour ranimer la confiance chez les amis de l'Empire.

Si, dans la direction qu'il donna au mouvement impérialiste, M. Rouher n'eut pas toujours des inspirations justes, il n'en faut pas moins rendre hommage au zèle, au dévouement et au courage dont il fit preuve. Cette page, à coup sûr, sera la plus belle de sa vie; car, autant la critique est permise sur les

actes de l'ancien ministre d'État, pendant son passage aux affaires, autant le respect se commande, pour le sujet fidèle, qui consacrait, à ses Souverains déchus, jusqu'aux derniers restes de ses forces, jusqu'aux dernières heures de sa vie.

CHAPITRE XIII

LA LOI SUR LA PRESSE AU CORPS LÉGISLATIF

Les réformes du 19 janvier dans les mains de M. Rouher.

Le sort qu'il leur réserve.

presse.

Ce qu'il y avait dans les projets

de loi issus du 19 janvier. - Quel accueil leur était fait. Discussion au Corps Législatif du projet de loi sur la Le discours de M. Granier de Cassagnac. Effets qu'il produit. Hésitations du gouvernement. Quelles résolutions s'offraient à lui. Il abandonne la loi. Discours de M. Baroche. Il soutient la loi. - Discours de M. Rouher.

Quand on se reporte aux origines de l'évolution politique du 19 janvier, on s'explique facilement les contradictions qui ne tardèrent pas à se révéler entre la pensée libérale de la lettre du Souverain et son application visiblement empreinte de méfiances. Si dans la lutte qui s'était engagée, pendant les préliminaires du 19 janvier, entre le ministre d'État et les promoteurs des réformes libérales, ces derniers l'avaient emporté sur leur puissant rival; s'ils avaient eu l'Empereur avec eux pour affirmer, par sa lettre, la

réalité de leur victoire, ils ne pouvaient se flatter d'un succès absolu et définitif. Le succès n'était pas absolu, puisque M. Rouher restait aux affaires et représentait, sous la forme d'une acceptation résignée, la sourde protestation contre les faits accomplis. Le succès n'était pas définitif, puisque le ministre, qui restait chargé de la préparation des lois annoncées, était encore celui qui les avait le plus vivement combattues. N'avait-on pas à craindre que le texte des lois nouvelles paralysât l'esprit que ses promoteurs voulaient y faire prévaloir? Ne devait-on pas redouter que les ajournements et les temporisations permissent de favoriser, contre ces lois, un mouvement de réaction d'autant plus facile à prévoir que le Corps Législatif qui, à la demande de M. Rouher, les avait condamnées à l'avance par son vote de l'année précédente, n'éprouvait naturellement aucun entrain à les accepter et à se dédire ainsi à si courte échéance?

Les faits ne tardèrent pas à justifier ces prévisions. Des lois de l'importance de celles qui étaient annoncées, et qui étaient promises au pays par la parole même du Souverain, sont de celles que les assemblées examinent toute affaire cessante. Pour que l'effet de pareilles mesures fût complet, pour que la sincérité des concessions du pouvoir ne pût être mise en doute, l'exécution devait être prompte. Le pays ne devait pas attendre longtemps l'application de ces libertés nouvelles qui lui étaient si pompeusement promises. M. Rouher le comprenait ainsi, et c'était déjà, pour lui, une première revanche que de faire durer indé

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