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sabilité pour ramener, dans notre malheureux pays, la stabilité qu'il cherchait en vain depuis plusieurs générations. Cette stabilité, je la voyais menacée dans l'avenir par d'opiniâtres résistances; je cherchais, avec toute l'ardeur de mon patriotisme, à la consolider et à détourner d'elle des dangers menaçants. Cette œuvre de 1851, qui avait donné à la France dix-huit années de prospérité, je la voyais compromise par une marche inhabile, et ce ministre imprévoyant, ce pilote des jours tranquilles, qui avait su se dérober aux responsabilités des jours de péril, je l'avertissais que la tempête assombrissait l'horizon, que le navire courait aux écueils.

Quand, dans une mer devenue orageuse, un soldat du bord montre au capitaine le récif où allait se briser le navire, ce n'est point par des apostrophes injurieuses, c'est par un sentiment de gratitude que se reconnaît le service qu'il rend à l'équipage.

Le 5 février, je n'étais donc point un transfuge; je restais fidèlement ce que j'avais été en 1851, le soldat vigilant de l'ordre social, le serviteur dévoué de mon pays.

CHAPITRE XVII

LES ÉLECTIONS DE 1869

Danger d'attendre l'expiration de la législature pour convoquer les collèges. Conditions dans lesquelles s'engage Divergences entre MM. de Forcade et Rouher. -Les complications qu'elles provoquent.

la lutte.

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C'est avec ce parti pris de résistance, avec cette confiance démesurée dans sa force, avec cet ensemble d'illusions et de faiblesses, dont M. Rouher avait donné le triste spectacle, le 5 février, à la tribune du Sénat, qu'on s'engageait dans cette épreuve grave dont la Constitution marquait l'heure, qu'on arrivait aux élections du Corps Législatif.

Dans cette lutte qu'avait à soutenir l'Empire contre ses redoutables ennemis, l'imprévoyance se révélait, à la fois, et par l'omission des moyens stratégiques de bon aloi qu'enseignait l'expérience, et par le refus obstiné des grandes mesures que devait cependant imposer une réflexion attentive. Si l'on avait interrogé le passé, il semblait qu'on ne l'avait fait que

pour se séparer des enseignements utiles qu'il pouvait apporter. On eût pu croire qu'on mettait une sorte d'orgueil à suivre une voie opposée à celle de ses devanciers, même dans ce que leurs coutumes pouvaient avoir d'avantages éprouvés. C'est ainsi que, pour le choix même de l'époque de ce grand scrutin, on avait, comme à plaisir, renoncé au bénéfice légitime de la prévoyance constitutionnelle.

Sous les deux gouvernements parlementaires de la Restauration et de 1830, les ministres s'étaient toujours soigneusement appliqués à profiter de circonstances heureuses, pour procéder, dans les conditions les plus favorables, au renouvellement de la chambre élective; ils se gardaient de faire cet appel au pays au lendemain d'incidents qui avaient pu éveiller, dans l'opinion, des impressions hostiles. Afin de se réserver le plus de chances possibles de rester maîtres de choisir un moment qui leur semblât opportun, ils évitaient prudemment de se laisser acculer à l'expiration légale des pouvoirs de la Chambre. Il était devenu, en quelque sorte, de règle qu'une législature, qui, aux termes de la Charte, pouvait durer cinq années, ne devait pas se prolonger au delà de quatre ans. Et si la raison qui vient d'être indiquée n'était pas toujours la cause de la dissolution, elle en était cependant le plus souvent le motif déterminant. Ce n'était là qu'user, sans aucune exagération, du droit constitutionnel réservé à la Couronne. Le cabinet se bornait ainsi à mettre à profit une latitude qui était de l'essence même du mécanisme parle

mentaire.

Depuis le 24 novembre 1860, l'Empire, par les conditions qui lui étaient faites, se rapprochait si sensiblement de ce régime qu'il eût pu, sans scrupules, user de ce même privilège que lui avait réservé la Constitution de 1852. Quoique les ministres ne fussent pas encore constitutionnellement responsables, ils touchaient de si près à cette responsabilité qu'ils pouvaient, aussi bien que sous un régime complètement parlementaire, considérer que la Chambre devenait, en fait, en attendant le droit, plus maîtresse de leurs destinées que ne pouvait l'être désormais la Couronne. N'y avait-il pas, étant donnée cette situation, un intérêt capital à ne pas renoncer au bénéfice que réservait la Constitution, et à emprunter aux gouvernements précédents l'usage de dissolutions opportunes de la Chambre élective? Mais c'eût été imiter le passé, et tout ce qui rappelait l'assimilation aux formes parlementaires était pour le gouvernement l'objet d'une répulsion marquée; aussi avait-il, comme en 1862, résisté en 1868 aux instances qui avaient été faites pour que l'époque obligée des élections législatives fût devancée d'une année.

En 1862, on avait commis une faute en attendant, pour réélire la Chambre, l'expiration constitutionnelle de son mandat. C'était au lendemain mème des décrets du 24 novembre qu'il fallait faire cet appel à l'opinion; on se fût ainsi assuré le bénéfice du premier mouvement de satisfaction qu'ils avaient causé dans le parti libéral; on eut, au contraire, en ajournant à plus de deux ans la convocation des collèges, à ressentir, par l'usage même qui s'était fait des li

bertés nouvelles, un effet essentiellement nuisible au régime dans lequel on voulait se maintenir. Le gouvernement était loin d'avoir à se féliciter de la marche qu'il avait adoptée, car il voyait arriver à la Chambre une opposition sensiblement plus forte que celle des législatures précédentes. Il était évident qu'il aurait fortement à compter avec elle.

En 1868, on avait, pour prononcer la dissolution, les mêmes raisons qu'en 1862; on avait derrière soi, comme enseignement, l'expérience faite d'une situation analogue à celle dans laquelle on se trouvait placé. En 1868, en effet, comme en 1862, on était au lendemain de réformes importantes accomplies. En procédant aux élections à ce moment, on pouvait espérer, de la part de l'opposition modérée, ou un rapprochement ou un apaisement. Attendre, c'était, comme en 1862 encore, donner à ses adversaires l'avantage de se servir des armes nouvelles qu'on venait de mettre entre leurs mains: c'était se montrer trop généreux ou trop imprévoyant. Et cependant on n'était plus assez fort pour prendre aussi peu de souci de cette opposition ardente dont chaque jour et chaque heure révélaient les progrès et la force. Cette fois encore, malgré la logique la plus élémentaire, la confiance l'emporta sur la prudence, et on attendit l'extrême limite pour dissoudre la Chambre et convoquer les collèges.

On n'eut pas plus à se féliciter en 1868 qu'en 1862 de l'obstination qu'on avait mise à s'éloigner des usages parlementaires. La session de 1868 avait été mauvaise pour le gouvernement. Plusieurs discus

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