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plus importante des assemblées électives, c'est de placer, par ses votes, le pouvoir aux mains d'hommes qui leur inspirent confiance. Le Corps Législatif manquait à cette mission en maintenant au ministère l'homme dont il redoutait les caprices et les témérités, et sur le compte duquel presque chaque membre de la majorité s'exprimait, dans les entretiens particuliers, avec la dernière sévérité. Vainement cherchait on à expliquer de pareils actes de faiblesse en les réduisant à un simple calcul d'ajournement et d'opportunité, M. Ollivier ne profitait pas moins de ce répit que lui accordait la Chambre pour poursuivre son œuvre de désorganisation, et augmenter le trouble du pays, en attendant qu'il le conduisît aux plus cruels désastres.

L'attitude du Sénat n'était pas la même que celle de la Chambre. Malgré son autorité morale, il n'avait pás, au début surtout de ce nouveau régime, qualité suffisante pour renverser un cabinet. Dans la rigueur des principes, il pouvait peut-être arriver à ce résultat par un vote, ou, en cas de résistance et de conflit, par une série de votes; mais c'eût été, provisoirement au moins, dépasser la mesure tacite de son mandat que de provoquer une semblable crise. Son rôle était, à cette heure, d'avertir et d'éclairer, plutôt que de renverser. Au Corps Législatif, il appartenait de poser et de résoudre les questions de cabinet.

S'il est donc une vérité incontestable, c'est que si le Corps Législatif avait sainement appliqué la doctrine parlementaire; s'il eût donné à ses votes le

caractère qu'ils devaient avoir, il eût, dès le 23 février, renversé M. Ollivier du pouvoir. Or, si l'on veut bien admettre qu'il ne pouvait vraiment appartenir qu'à l'impardonnable légèreté de ce ministre d'oublier, comme il l'a fait par sa déclaration du 6 juillet que nous ne tarderons pas à voir, et la sagesse qu'on doit apporter aux affaires, et les traditions diplomatiques les plus élémentaires, on arrivera à cette conclusion d'une inflexible exactitude: c'est qu'avec tout autre ministre à la tête du cabinet, l'incident Hohenzollern, dont nous aurons bientôt à parler, fût resté, comme les incidents analogues, comme celui de l'élection du prince Alfred d'Angleterre au trône de Grèce, un simple incident diplomatique dont la solution eût été facile à trouver, c'est que la guerre avec la Prusse ne fût point venue éclater subitement sur notre malheureux pays.

CHAPITRE XXII

LA CONSTITUTION DE 1870 ET LE PLÉBISCITE

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Le Sénatus-Consulte du 28 mars. Attitude de la commission. Dissidence des membres du cabinet. Démission de MM. Buffet et Daru. L'article 13. Le droit d'appel au peuple. Double responsabilité du Souverain et des ministres. Danger de la responsabilité du Souverain. Monarchie et République. constitutionnelle. - Le plébiscite. vote du 8 mai.

Avantages de la Monarchie

Signification vraie du

La discussion, dans les bureaux du Sénat, du projet du Sénatus-Consulte présenté par le gouvernement fut longue et animée. Partout, le point principal du débat était ce qu'il devait être; il se résumait ainsi Peut-on arriver à ce degré de transformation des bases plébiscitaires de 1852 sans y voir leur violation réelle, et sans avoir recours à un appel au peuple?

La grande majorité du Sénat s'était prononcée, dans ces débats préliminaires, pour la nécessité de

l'appel au peuple, et c'est avec mandat de faire prévaloir cette doctrine, qui renversait tout l'échafaudage ministériel, que fut nommée la commission (1). La question du plébiscite fut agitée la première au sein de la commission. S'il était naturel d'aller droit ainsi au point culminant du débat, on s'aperçut vite néanmoins que, pour se prononcer sciemment, il fallait avoir examiné le projet en son entier. Ce n'était, en effet, qu'après avoir arrêté toutes les dispositions de la Constitution nouvelle qu'on pouvait, en les appréciant et dans leur détail et dans leur économie générale, déclarer, en connaissance de cause, qu'elles étaient ou non compatibles avec les bases plébiscitaires de 1852. Toutefois, à cette discussion préliminaire qui s'était engagée, il était facile de constater que la grande majorité de la commission se prononçait contre la résolution timorée du gouvernement, et que, sur un rapport énergique en ce sens, l'appel au peuple serait voté à la presque unanimité par le Sénat.

L'imminence d'une semblable solution causait au garde des sceaux une vive émotion. Si elle venait à se produire, elle était une défaite pour lui, puisqu'elle écartait son système et lui en substituait un autre. Au lieu des tâtonnements timides du ministre, le Sénat levait toute équivoque, allait droit à la vérité et

(1) La commission se composait de MM. Baroche, Béhic, Boudet, Devienne, Drouyn de Lhuys, marquis de Chasseloup Laubat, Magne, de Maupas, Rouher et Quentin Bauchart. Il est à remarquer que sur ces dix membres la commission comptait huit anciens ministres.

offrait ainsi à l'Empire l'occasion d'une régénération qui, sans les fautes qui ont tout compromis, devait retremper sa force et consolider la dynastie. M. Ollivier ne pouvait échapper à la défaite que par l'abdication de son système et l'adoption de celui du Sénat. Il n'hésita pas à le faire, et, dans les explications qu'il fut appelé à présenter devant la commission, on n'eut, de sa part, aucune résistance. Sur ce point, l'accord fut immédiat.

Ce n'était pas du reste entre le Sénat et le gouvernement que les difficultés devaient se produire à l'occasion du Sénatus-Consulte: car presque toutes les modifications que proposait la commission étaient acceptées sans résistance par M. Ollivier. C'était au sein même du gouvernement que devait surgir un véritable orage, alors que tout devait faire supposer que l'accord y était complet.

En présentant le Sénatus-Consulte au Sénat, le gouvernement était unanime pour en approuver les termes. Affirmer cette unanimité n'est pas seulement tirer une conséquence logique de la solidarité et de l'homogénéité qui devaient exister dans le cabinet; c'est encore constater un fait qui était matériellement vrai. Non seulement les bases essentielles du sénatus-consulte avaient été discutées et adoptées en conseil des ministres; mais, après rédaction complète, le texte et l'exposé de motifs avaient été soigneusement examinés en conseil. Une nouvelle lecture avait eu lieu, quelques heures avant la séance du Sénat, pour recueillir les dernières observations, pour tenir compte des derniers scrupules, et pour mettre sur

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