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Le premier des orateurs inscrits contre le projet était M. Gauguier. Passant en revue les différents ministères jusqu'à celui du 15 avril, il déclarait qu'il n'aurait jamais de confiance dans la direction administrative, la politique intérieure et extérieure des hommes d'état composant le Cabinet actuel. Il ne comprenait pas que depuis 1830 on suivit toujours la même marche; le changement des hommes sans le changement des choses et des idées lui paraissait une contradiction constitutionnelle de la part des Chambres législatives. Il récriminait ensuite contre le Cabinet du 6 septembre, qui avait proposé les lois de disjonction, de non-révélation, d'apanage, comme des nécessités gouvernementales, pour maintenir la discipline et l'ordre dans l'armée, garantir la vie du roi et étendre la splendeur de la maison royale. L'orateur regardait comme inconstitutionnelle la conservation du pouvoir par M. Molé et trois de ses anciens collègues, après le refus des lois d'apanage et de disjonction. L'amnistie approuvée le 9 mai 1839 par le président du Conseil était une nouvelle preuve de la variation et de l'instabilité de ses principes. Pourquoi ouvrir les prisons après avoir demandé deux millions de fonds secrets pour garantir la vie du roi?

Arrivant à la question des fonds secrets, M. Gauguier prétendait ne voir dans les 300 mille francs d'augmentation de dépenses secrètes du 15 avril, qu'un moyen de subvention pour la presse de Paris et des départements et de corruption électorale. Le ministre de l'intérieur avait du reste fini par avouer que l'administration avait le droit d'influencer les fonctionnaires publics et de les provoquer à la défense du Gouvernement, et cette doctrine, fatale à la liberté et contraire à la loi de 1831 sur les élections, avait cependant prévalu dans certaines localités. S'appuyant du témoignage de l'ancien préfet de police, il pensait que la police pouvait être bien faite avec beaucoup moins de frais, à moins qu'on ne voulût rétablir la police secrète de Louis XV, de l'empire et de la restauration,

Jetant ses regards sur les affaires à l'extérieur, il signalait la séparation de la Hollande et de la Belgique.

La Pologne n'existait plus; l'Espagne et le Portugal étaient en révolution; nos sympathies politiques avec l'Angleterre s'affaiblissaient de jour en jour. Tel était l'ouvrage des ministres, qui ne se trouvaient au pouvoir que par suite de la diversité des opinions de la Chambre, et d'une dissolution faite sans une pensée politique, franchement et légalement avouée.

M. Gauguier, s'étonnait de voir le Cabinet sans homogénéité demander à la Chambre un vote de confiance; il voulait unité dans la politique, économie dans l'administration, et déclarait nettement, en votant contre le projet de loi, que les hommes d'état ne manqueraient pas pour remplacer le ministère du 15 avril.

La demande d'un crédit supplémentaire pour les fonds secrets était justifiée, aux yeux de M. Meilheurat, par tout un passé de troubles et de conspirations encore récents ainsi que par cet esprit de prévoyance qui appartient à l'homme d'état. La diminution du crédit à allouer ne lui paraissait pas possible, et si les ministères s'étaient contentés de 1,200,000 avant 1837, il valait mieux en accorder 1,500,000, non plus pour réprimer, mais pour prévenir les complots. D'ailleurs, après avoir accordé l'année dernière deux millions au Cabinet du 15 avril, la Chambre refuserait-elle 1,500,000 au ministère actuel; ce refus serait une marque de défiance contre laquelle le passé protesterait hautement; enfin l'orateur regardait ce vote comme devant être la condamnation ou l'approbation du système modéré et conciliant adopté par le ministère, et il votait lui-même pour les conclusions du rapport de la commission.

Ne croyant pas à la nécessité des fonds secrets, M. Teulon, après une sortie véhémente contre les Gouvernements corrupteurs de la presse, c'est-à-dire de la pensée, avouait qu'il n'était point partisan des subventions. Ii nait que le Gouvernement, pour se défendre contre les partis, eut le

droit de se faire parti lui-même, et souvent le plus furieux et le plus acharné de tous; et, considérant les fonds secrets comme la plaie la plus hideuse de toutes, il n'hésitait pas à les repousser.

M. Fulchiron appuyant la demande du Gouvernement que M. Corne cherchait à flétrir au nom de la pudeur publique, la séance se termina par quelques avertisse ments donnés par M. Jaubert au Gouvernement, auquel il ne refusait pas son concours, non par confiance, mais pour accomplir son devoir de serviteur loyal et de député désintéressé.

13 Mars. La discussion fut reprise par M. Chapuys de Montlaville: il attribuait à l'abandon de l'intérêt général, pour des intérêts exceptionnels, la perturbation morale qui affaiblissait les ressorts du pouvoir, et jetait l'anarchie au sein même de la majorité parlementaire. Il reprochait amèrement à M. Molé son cortège de lois répressives et presque féodales, et la conformité du système de M. le président du Conseil avec celui de M. Guizot, lui semblait parfaite. Le chef du Cabinet était également accusé, par l'orateur de la gauche, d'avoir voulu attenter par une loi à la liberté individuelle, et le ministre de l'intérieur, d'avoir vicié les élections et destitué des fonctionnaires consciencieux. Quant à la demande de fonds secrets, son immoralité lui faisait un devoir de la rejeter.

M. Renard Athanase ne partageait pas l'opinion de l'honorable préopinant; on aimait mieux, selon lui, s'en prendre au ministère, des misères de la situation, qu'aux circonstances elles-mêmes. On ne s'apercevait pas assez que la Chambre ne s'obstinait à ne vivre encore aujourd'hui que du souvenir de ses anciennes divisions, et il signalait à ce propos certaines indiscrétions qui auraient été commises et dont il était bien permis de se préoccuper; relativement à la question des fonds secrets, M. Renard Athanase la résolvait en faveur du ministère; quant à la question de confiance, il attendait ses explications.

A ce moment M. Gisquet, ayant demandé la parole pour un fait personnel, se défendit d'avoir fait aucunes révélations insolites; il avait reconnu simplement la possibilité d'une économie sur les dépenses, et il avait expliqué ses raisons. La nécessité des fonds secrets une fois admise par l'ancien préfet de police, il allait ensuite démontrer la réduction qui pouvait y être faite. La réforme devait peser sur deux catégories du budget: 1° celle intitulée : Secours à divers titres; 2° Services de la comptabilité des fonds spéciaux. Ces dépenses pouvaient bien ne pas rester secrètes et être contrôlées, et, quand il s'agissait des deniers publics, la publicité était aussi nécessaire. Le service de la comptabilité des fonds spéciaux pouvait surtout être soumis à l'examen des Chambres.

Ici l'ex-préfet de police rappelait que ces vues avaient été émises déjà par deux rapporteurs de commission, l'un M. Girod (de l'Ain), l'autre M. le comte de Rambuteau, et s'étonnant de la demande actuelle du ministère, tandis qu'en 1833, 34 et 35, on s'était contenté de 1,200,000 fr. de fonds secrets, il disait :

. C'est donc avec 1,200,000 fr. qu'on a dû faire face à tous les besoins du service, et la Chambre m'accordera sans doute que les fonds secrets sont d'autant plus nécessaires, que les dépenses de police doivent être faites dans une proportion d'autant plus forte que le pays est dans une situation plus critique. Or, si nous reportons nos regards en arrière, voyez quels temps nous avons traversés! voyez quels dangers le pouvoir a dû conjurer ou combattre. Je ne veux pas en dérouler devant vous l'effrayant tableau; mais lorsque je vous aurai rappelé les émeutes de tous les jours, les scènes sanglantes du choléra, les journées de février, de juin, d'avril, le soulèvement de la Vendée, la révolte de Lyon, les coalitions politiques de toutes les classes d'ouvriers, plus menaçantes encore que les révoltes, le scandale de la presse, la licence, l'audace de son langage, qui rappelaient les plus mauvais jours de notre première révolution, je n'aurai indiqué qu'une très-faible partie des dangers qui ont menacé le Trône et le pays. C'est avec 1,200,000 fr. cependant que le pouvoir a dû remplir sa mission, qu'il a accompli sa tâche. Rappelez-vous aussi qu'à cette époque la population était d'autant moins docile à la voix de l'autorité, que nous étions plus rapprochés de l'époque où cette même population avait détruit l'autorité; rappelez-vous qu'alors la justice n'était pas encore armée de

ces lois tutélaires auxquelles nous devons en partie le repos dont nous jouissons: lois qui sont encore l'objet d'une injuste critique; rappelez-vous qu'alors, en matière politique, les preuves les plus accablantes ne pouvaient former la conviction du jury, ou plutôt que la conviction du jury reculait devant l'audace des factieux.

« Ainsi les mauvaises passions étaient excitées de toutes les manières, excitées surtout par l'assurance de l'impunité. Alors la tâche du pouvoir était dificile; alors il fallait du courage, de la surveillance, de la vigilance; alors, aussi, on trouvait très-fréquemment l'occasion d'employer les fonds secrets d'une manière utile.

« Je ne comprends pas, maintenant que le calme est rétabli dans le pays, que le pouvoir est en sûreté sur tous les points, hors un seul sur lequel il peut diriger toutes ses forces; je ne comprends pas, dis-je, la nécessité d'une allocation, non pas seulement égale, mais supérieure à celle demandée dans les années précédentes, et je m'associerais avec ardeur à la proposition d'une réduction, si elle était faite lors de la discussion des articles.

A ce discours, qui tirait son intérêt et sa force de la position ancienne de l'orateur, le ministre de l'intérieur répliquait que c'était la première fois que le préopinant professait de pareils principes en fait d'administration et de répression; qu'il l'avait au contraire entendu répéter que les lois répressives seraient impuissantes si une large surveillance n'était pas organisée à côte d'elles; et que les Chambres, en vue de la triste économie de quelques centaines de mille francs, assumaient sur elles une responsabilité qui n'appartenait qu'au ministre. M. de Montalivet pensait que la plus grande réserve et un silence absolu étaient imposés à celui qui avait rempli les fonctions de préfet de police, et disposé d'une partie des fonds secrets. Ce n'était point au député, mais à l'ancien fonctionnaire qu'il s'adressait.

Quant aux réclamations sur le chapitre des secours et du personnel, le Gouvernement ne s'opposait nullement à la publicité; mais cette mesure devait être discutée lors du budget. Enfin M. de Montalivet, après avoir justifié les demandes des ministères passés, venait d'affirmer que le Cabinet actuel croyait une allocation de 1,500,000 francs nécessaire à la sûreté générale, lorsqu'une indisposition

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