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subite le força de quitter la tribunc et fit suspendre la séance.

15 Mars. La discussion fut reprise par M. le président du Conseil, qui aborda franchement et hardiment la question politique, en avertissant la Chambre qu'on lui demandait, non pas de l'argent, non pas des fonds secrets, mais sa confiance.

⚫ Messieurs, ajouta-t-il, les personnes ne sont rien, c'est le pays qui est tout; ce qu'il lui faut, c'est un Gouvernement qui ait la force d'accomplir sa mission; c'est un ministère qui ait sa confiance et la vôtre. Avant tout, cherchons à apprécier notre situation à tous, et, pour y parvenir, reportons-nous d'abord en arrière. »

Le ministre orateur rappelait toutes les combinaisons, toutes les circonstances qui avaient présidé à la formation du Cabinet du 15 avril; combien il avait supporté de repulsions et de colères: c'était un ministère incertain et négatif. L'amnistie par lui accordée fût pour plusieurs l'occasion de sinistres prophéties et une marque de sa faiblesse. Le bruit se répandit que le ministère se proposait de renouveler les Chambres; la tempête devint terrible. C'était remettre en question la dynastie de juillet. Le plan du Cabinet avait été de modifier le présent et puis d'assurer l'avenir. Enfin, cette situation était pesante pour un homme de cœur, et le président du Conseil avait hâte d'en sortir, d'autant que l'adresse avait dû tout expliquer. Quant à la somme des fonds secrets, il s'exprimait ainsi en terminant son discours :

Le chiffre que nous vous présentons nous est indispensable. Il faut bien, Messieurs, que nous en ayons la conviction. Lorsqu'il s'agit de fonds dont on ne doit aucun compte, le chiffre ne saurait se poser légèrement. Avant de le déterminer, on doit se rendre à soi-même un compte rigoureux du besoin qu'on en a, un compte sévère de l'emploi qu'on en doit faire. Ainsi, pas de réduction possible, et je dirai, en me résumant, que toute réduction nous paraîtrait un refus formel de confiance.

• Messieurs, c'est à vous maintenant à porter votre arrêt. Vous arrivez de tous les points de la France, vous savez quel mandat vous avez reçu.

S'il nous est contraire, si l'on vous a dit: Hâtez-vous; allez renverser les dépositaires du pouvoir; si l'on vous a dit: Le ministère qui a fait l'amnistie, qui vous a confié pour cinq ans les affaires du pays, n'a pas votre confiance; remplissez votre mandat, Messieurs: nous saurons y obéir. Mais si au contraire on vous dit : Secondez ce ministère, donnez-lui l'appui dont il aura besoin pour lutter contre les passions de plus d'une nature coalisées contre lui; alors entourez-nous de votre confiance, et donnez-nous enfin les moyens de faire le bien. »

Succédant au chef du Cabinet, M. Odilon-Barrot s'armait des aveux de MM. Jaubert et Fulchiron, pour reconnaître un grave malaise dans la situation. Il voyait avec M. Molé l'action gouvernementale neutralisée, mais dans son esprit c'était une illusion complète que de croire que le vote des fonds secrets devait changer la situation.

Après avoir vivement déploré cet affaissement des hommes et des choses, cet amoindrissement du Gouvernement représentatif, que l'on rejetait complaisamment sur l'opposition, l'orateur faisant allusion à cette prétendue impossibilité de remédier au mal, ajoutait :

• Comment, dit-on, remédier à cette situation? chercher des hommes politiques, des hommes politiques qui représentent les opinions vivantes, énergiques dans la Chambre et le pays? Mais ils sont tous impossibles ces politiques : l'un est trop compromis dans telle opinion qui, à tort ou à raison, domine dans le pays; l'autre est trop compromis vis-à-vis de la " Couronne; enfin tous sont impossibles.

• Messieurs, depuis que j'assiste aux différentes phases de notre Gouvernement, j'ai vu singulièrement s'accroître la liste des hommes impossibles. Eh! n'êtes-vous pas effrayés de la voir s'accroître incessamment, et de voir que tout homme qui a une volonté, une opinion, une force qui lui est propre, au jour où il veut réaliser cette volonté en actes, la rendre sérieuse, devient subitement impossible. A quelles circonstances arriveriezvous avec un pareil système?

« Vous arriveriez à un impasse, vous arriveriez à une situation sans lendemain, vous arriveriez à cette obligation de confier le Gouvernement représentatif aux hommes les plus effacés, les plus décolorés en politique ; vous arriveriez à une négation. Je ne dis pas que vous y soyez déjà arrivés; je dis que dans un avenir très-rapproché vous arriveriez inévitablement à une négation politique; et puis, si vous trouviez des Chambres qui, dans l'horreur où elles seraient de toute résolution vigoureuse, de toute détermination qui pourrait troubler leur repos ou amener un interrègne dans le pouvoir, des Chambres qui acceptassent de tels hommes par cela

seul qu'ils sont au banc des ministres, eh bien! alors, la représentation nationale en subirait elle-même le contre-coup, se dégraderaît en suivant une direction qui n'aurait plus ni grandeur ni dignité : et au profit de qui se dérangerait-elle ? C'est cette situation sur laquelle tout homme d'honneur doit réfléchir profondément. »

. M. Odilon-Barrot terminait en déclarant que la Chambre ne trouverait en elle que fluctuation et désordre tant qu'elle ne se serait pas mise en accord dans le ministère et dans ses propres actes. Avec M. Jaubert, il faisait un appel à la sagesse royale; mais à la sagesse royale éclairée par la Chambre.

Répondant à MM. Jaubert et Odilon-Barrot, M. Barthe, garde-des-sceaux, accusait d'exagération le tableau du mal tracé par M. Odilon-Barrot. D'après le ministre, en faisant certains actes que l'opposition aurait faits elle-même, il se trouvait que l'on s'était divisé, parce que le Gouvernement ne les avait pas faits à l'époque où l'opposition voulait les faire, parce qu'il les avait faits par d'autres motifs et pour d'autres conséquences; on n'avait nullement cherché à diviser pour régner, car la division existait avant le 15 avril ; et l'amnistie attestait la pensée d'union et de concorde du Gouvernement. On ne pouvait donc sans injustice reprocher à l'administration un de ces actes qui écartent d'elle la confiance du pays, et lui refuser le concours dont elle avait besoin.

M. Guizot crut alors devoir intervenir dans la discussion. Sortant de ce silence qui n'était ni une approbation ni une improbation de la politique du nouveau Cabinet, il réclama sa part de responsabilité dans les grandes mesures de résistance constitutionnelle et légale ; sa pensée était la fondation et l'affermissement du Gouvernement et des institutions de juillet. L'ancien ministre était prêt à faire de l'opposition dans le cas où elle lui semblerait nécessaire; mais il n'y avait pas lieu d'en faire aujourd'hui ; il ne refuserait pas les fonds secrets à l'administration, qu'il avertissait néanmoins de la gravité de la situation. Après avoir glorifié le passé et

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le système de la résistance depuis 1830, il constatait avec M. Fulchiron le relàchement général des esprits et des cœurs, après tous les combats pour le rétablissement de l'ordre et le salut du Gouvernement; l'affaiblissement de la Chambre était, selon lui, le résultat de l'absence d'une majorité forte et organisée, et non l'effet des ambitions personnelles. Appréciant la situation, l'orateur l'expliquait ainsi :

Je vous signalais tout à l'heure les progrès de l'esprit d'opposition, visibles dans les dernières élections, visibles dans les minorités mêmes. Croyez-vous que l'esprit d'hésitation n'ait pas fait des progrès semblables? Consultons-nous nous-mêmes, que chacun de nous descende en lui-même ; n'y a-t-il pas une grande incertitude répandue sur nos idées, sur nos résolutions, sur nos actions? Sommes-nous aussi décidés, agissons-nous avec autant de fermeté, autant de résolution, que nous l'avons fait à d'autres époques? Non, nous sommes nous-mêmes plus ou moins irrésolus, incertains, nous sommes presque tous atteints du mal dont nous nous plaignons.

« Regardez le Gouvernement, regardez ses relations avec les Chambres. Je ne veux pas entrer dans les questions personnelles ; je ne veux adresser à tel ou tel acte spécial aucun reproche; mais n'est-il pas évident qu'il y a peu d'union intime, peu d'action réciproque entre le Gouvernement et les Chambres?

Et en portant nos regards hors des Chambres, n'est-il pas évident que l'administration manque d'unité et d'énergie? qu'elle n'est pas plus efficace dans ses relations avec ses agents que dans ses relations avec cette Chambre ?

« Et le public, ne laisse-t-il pas percer quelque découragement, quelques doutes sur les mérites de nos institutions et sur leur avenir ? N'y a-t-il pas quelque affaiblissement moral de l'esprit public à côté de la mollesse politique du pouvoir ? »

M. Guizot finissait en déclarant que ce qu'on faisait depuis quelque temps éloignait la France des principes épurés de 1789 et de 1830, et il désirait pour la Chambre et le Gouvernement une marche plus ferme et une majorité décidée.

Après de nouveaux aperçus de M. Passy sur la crise parlementaire et une accusation d'isolement et de faiblesse, que le ministère ne pouvait accepter, le président du Conseil reparut à la tribune.

Dans son opinion, c'était à l'état révolutionnaire de la France depuis 50 ans et non au ministère qu'il fallait imputer les incertitudes et les anxiétés dont tous les esprits étaient affectés. Le scepticisme politique était le produit des temps que l'on avait traversés, et un changement de Cabinet n'y serait pas le remède.

Arrivé à cette dernière question si délicate, le président du Conseil disait :

Pour ma part, si je croyais qu'il y eût derrière moi des hommes qui, en prenant ma place, pussent faire le bien que je ne puis accomplir, Messieurs, je me retirerais, la tête haute et le cœur content, parce que je croirais me retirer avec honneur. Mais telle n'est pas ma pensée; ces hommes plus appropriés aux circonstances ou plus capables de faire le bien, je ne les vois pas. Je crois que nous suffisons à la tâche qui nous est échue. Cette confiance, Messieurs, c'est à vous de dire si elle est présomptueuse; c'est de vous que nous attendons un vote qui nous dise si nous nous trompons, enfin, si le pays veut de nous. »

M. Boudet ayant alors présenté un amendement qui réduisait à 1,200,000 fr. le chiffre demandé par le Gouvernement, la Chambre le rejeta.

Restait l'amendement de M. Isambert, tendant à soumettre la dépense des fonds secrets à une commission des deux Chambres; cette proposition fut repoussée au milieu d'un grand tumulte excité par les réclamations énergiques du député. Enfin la Chambre consultée sur l'ensemble de la loi, l'adopta à la majorité de 249 contre 133, sur 382 votans.

Le 21 mars eut lieu la présentation du projet de loi sur les fonds secrets à la Chambre des pairs.

Le rapport en fut fait le 3 avril, par M. le comte Portalis. L'honorable pair, après avoir démontré la nécessité de certaines dépenses secrètes, et fait l'historique de ce budget sous la restauration, concluait à l'adoption du crédit supplémentaire.

Le 6 avril commença la discussion générale. M. le comte de Sesmaisons croyait que le moyen de donner une nou

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