Page images
PDF
EPUB

velle force au Gouvernement, c'était de lui refuser les sommes dont il ne rendait aucun compte; ces sommes, à son avis, n'avaient servi à rien, pas même à prévenir les plus grandes fautes. Ainsi, don Carlos avait pu traverser l'Espagne; le prince Napoléon ayait soulevé une partie de la garnison d'une ville forte; ici Fieschi; là, Alibaud apparaissent, et la police ne voit rien, et les fonds secrets sont inutiles. Le Gouvernement ne doit pas se faire parti, il doit maintenir la justice, et, malgré ses immorales largesses, il sait sans doute combien peu il a de panégyristes; l'orateur refusait, par ces raisons, toute allocation extraordinaire de fonds secrets.

L'utilité de ces dépenses était au contraire pleinement reconnue par M. le baron de Brigode. Il désirait que l'on prêtât au Gouvernement un franc et loyal concours, et blâmait l'esprit d'opposition chez certains membres de la Chambre des députés, que son allusion transparente laissait facilement deviner, comme le fit remarquer M. le duc de Broglie, qui vint rompre le silence qu'il avait gardé pendant toute la session.

L'honorable pair se borna à signaler l'inconvénient grave de ce discours, qu'il considérait comme une attaque insolite et un défi porté à l'autre Chambre; il consentait à voter les fonds secrets, ne croyant pas devoir marchander avec la sûreté du roi et la tranquillité du pays, mais il n'entendait point par ce vote donner une approbation pleine et entière à la marche et à la politique du Cabinet.

Le discours de M. de Brigode fut justifié par M. le ministre de l'intérieur, qui ne le trouva nullement entaché de personnalité et d'opposition anti-parlementaire ; à ses yeux l'honorable préopinant avait usé de son droit constitutionnel. Le ministre protestait ensuite contre les paroles du duc de Broglie en ce qu'elles voulaient ôter à la loi qui se discutait le caractère tout politique qu'on lui avait donné avec raison dans l'autre Chambre. La question des fonds secrets était une question de confiance: elle échappait à tout contrôle et à

toute discussion. La liberté des élections, la mesure de l'amnistie, la consolidation de l'ordre, tels étaient les titres du Cabinet à l'assentiment de la Chambre.

M. le vicomte Dubouchage, usant du droit de discuter librement, comme avait dit le ministre, s'occupait principalement des termes dans lesquels le crédit devait se renfermer, La nécessité de tenir certaines dépenses secrètes était acceptée, mais il y avait un fait généralement connu, que le ministère avait tort, selon lui, de ne pas avouer, c'était la subvention de la presse du Gouvernement.

« Je trouve naturel, disait-il, que le Cabinet ait une presse quotidienne pour le défendre contre les attaques de l'autre presse, qu'on appelle la mauvaise presse. Si nous étions mis dans la confidence, nous pourrions discuter le quantum de ces fonds. Je suis bien aise de rappeler à la Chambre mon opinion à cet égard, opinion que j'ai eu l'honneur d'émettre devant elle il y a trois ans. La Chambre verra que je n'avance pas légèrement ce que j'ai à dire sur la conduite du Gouvernement. On assura, disais-je, en 1835, que les fonds secrets ne sont pas employés, au moins pour la plus grande partie, à surveiller ce qu'il peut y avoir d'illégal dans le royaume. On dit que sur ces fonds 800,000 francs sont destinés à la presse dite ministérielle, savoir: 600,000 fr. aux journaux de Paris, et 200,000 fr. aux journaux des départements. Ón prétend même que l'on paie des écrivains pour ne pas écrire, et on m'a cité tel écrivain auquel on donnait 1,500 francs par mois pour laisser reposer sa plume. »

De plus, il était vrai qu'en 1829 M. de Martignac avait fait connaître à la Chambre des députés, les divers emplois qu'on avait donné à ces fonds jusqu'à cette époque ; mais il n'y avait rien de semblable dans la conduite du ministère actuel. En 1828 le crédit ouvert était de 2 millions, et les Chambres avaient été informées que le Cabinet n'avait dépensé que 1,880,000, mais depuis 1830, jamais les douze ministères qui s'étaient succédé n'avaient rien vendu. L'amnistie n'avait été exercée qu'à demi, et comme à regret; le traité désavantageux d'Haïti avait été conclu, celui de la Tafna avait eu pour résultat de tout céder. Néanmoins, l'orateur votait la totalité des fonds secrets par la raison qu'il en fallait à tout gouvernement.

Tout en opinant pour l'allocation demandée, M. le baron Pelet de la Lozère émettait le vœu qu'une pareille loi demifinancière et demi-politique ne fût plus proposée.

Le comte de Tascher appelait ensuite la discussion du Gouvernement sur certains actes.

Le comte de Montalivet, ministre de l'intérieur, après une profession de principes assez vaguement présentée, ajoutait :

Qu'on ne nous accuse donc pas de matérialiser le pays! Nous croyons u contraire que nous l'élevons et que nous le moralisons par l'instruction publique et en nous prêtant de tout notre pouvoir à la propagation de l'esprit religieux dans ce qu'il a d'indépendant et d'élevé. Quand nos neveux seront appelés à recueillir les fruits de cette moralisation, quand elle aura rendu facile l'extension des libertés publiques, alors ils pourront être hardis; quant à nous, nous aurons été prudents.

Tels sont, Messieurs, les sentiments qui nous dirigent quand nous appelons le pays à la discussion de ses intérêts matériels: nous n'avons pas les vues étroites et humiliantes qu'on nous prête. Nous savons que la vie des peuples n'est pas bornée comme la vie des hommes; leurs progrès se comptent par des siècles, et on leur donne une mort précoce quand on veut les faire éclore trop prématurément.

Si les sentiments de la Chambre sur ce point sont d'accord avec les nôtres, vous ne refuserez pas votre suffrage à une administration qui, sans négliger l'intérêt actuel du pays, s'occupe surtout de ses intérêts à venir. »

La discussion grandit sous la parole de M. Villemain. Il ne comprenait pas ce que le ministre entendait par l'opposition qui veut renverser. Personne dans les deux Chambres ne voulait renverser le Gouvernement fondé en juillet, mais beaucoup pouvaient vouloir renverser le ministère, ce qui était bien différent, et ressortissait d'ailleurs de notre régime représentatif. Cette identification du ministère avec la royauté stable et héréditaire était périlleuse, et la mobilité de notre constitution permettait de désirer un changement et un progrès dans leur politique. M. Villemain signalait comme défaut intérieur du Cabinet la diversité de son origine et de ses éléments. Il voyait par-là la loi parlementaire violée, et la question des fonds secrets était bien

secondaire à ses yeux; l'ambition de rester lui semblait peu digne d'un ministère; c'était à la solution d'une grande question comme celle de la conversion des rentes, par exemple, que devait se rattacher la durée et le maintien d'un Cabinet, et non à 1,500,000 francs de police.

Suivant le président du Conseil, on ne pouvait appeler coalition le passage d'une portion d'un ministère dans une administration nouvelle; il n'y avait pas de ministère de résistance et de ministère de conciliation; l'opportunité était la loi de l'homme d'état, et l'opposition de M. Villemain ne pouvait se justifier que par la censure de certains actes.

L'honorable pair rassura M. le comte Molé sur l'ostracisme dont il s'était cru frappé. Il avait voulu seulement constater, ce que le ministre savait très-bien, qu'il était utile, dans un gouvernement représentatif, de se retirer à propos pour reprendre plus tard le pouvoir avec honneur.

« J'ai rappelé, disait l'orateur, une condition du gouvernement représentatif. J'aurais pu sans doute citer à l'appui quelques exemples de ministres qui ont honoré la France et l'administration (car le gouvernement représentatif ne date pas du 15 avril ), et qui ont su se retirer quand leur loi ou leur système tombait. Ils ne prétendaient pas s'approprier l'infaillibilité dans tous les sens, et ne réclamaient pas le droit d'avoir raison, à deux jours de distance, dans deux systèmes opposés.

[ocr errors]

La discussion s'arrêta là, et la Chambre consultée, adopta la loi à la majorité de 129 voix contre 22 opposants, sur 151 votants.

25 janvier. M. Mercier (de l'Orne) donna lecture de sa proposition, tendant à la division de la Chambre des députés en sept bureaux ou comités au commencement de chaque session, et à la distribution entre eux des travaux de la Chambre.

Ces sept bureaux étaient, savoir: celui de législation, celui des finances, celui de la guerre, celui de la marine, celui du commerce et de l'agriculture, celui des travaux publics, et celui des pétitions.

Les développements de M. Mercier appelaient l'attention de la Chambre sur les points défectueux de son réglement. C'était un cadre qu'il avait voulu tracer et qu'il modifierait selon les idées de ses collègues.

Le réglement ne lui semblait pas garantir pour chacun le libre exercice de son droit, et le sort, présidant à la composition des bureaux, était à ses yeux un mode aveugle de recrutement. De plus, la couleur politique des opinions avait plus souvent déterminé le choix des commissaires que leur aptitude ou leurs connaissances sur la question. C'était un véritable abus de majorité. L'orateur invoquait l'exemple de l'Assemblée constituante et de l'Assemblée législative, qui se divisaient par comités et qui avaient fait de bonnes lois et de grandes choses.

M. Mercier proposait également de revenir à l'ancien système d'un seul rapport général sur le budget, pour éviter les lenteurs qui résultaient de la nécessité d'un rapport par ministère. Enfin, quant au droit de pétitions, il le regardait comme sacré; mais il désirait que les pétitions recommandées par cinq députés obtinssent un tour de priorité pour les distinguer de ces pétitions dépourvues de but et de raison. Cette proposition n'ayant pas été appuyée, il n'y fut pas donné suite.

Nous allons passer en revue le petit nombre de pétitions qui pendant le cours de la session ont attiré l'attention des des Chambres. Cet examen de vues, d'idées et de souhaits divers rendus publics, et souvent même discutés, n'est pas dénué d'intérêt.

3 Mars. Le sieur Carpentier, patenté à Paris, demandait l'établissement d'un impôt sur les rentes; il voulait qu'on frappât d'une retenue d'un dixième toutes les rentes inscrites au grand-livre. Admettant en droit la faculté du remboursement, il en contestait l'utilité pratique.

En compensation de la retenue qu'il opérait sur les rentes inscrites, il offrait aux porteurs la capacité électorale, et leur conférait un droit en dédommagement du revenu dont

« PreviousContinue »