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Combes, et aux veuves des cinq plus vieux soldats et des cinq plus vieux officiers tués devant Constantine.

M. Thiers voulut s'associer publiquement à un acte aussi généreux du Gouvernement et de la Nation envers le général de Damrémont et sa famille. Il regrettait seulement qu'il y ait eu deux chiffres de proposés.

M. Dubois (de la Loire-Inférieure) se hasarda à combattre le sentiment des précédents orateurs et à faire remarquer que la récompense décernée à la veuve du général de Damrémont était presque un bâton de maréchal déposé sur une tombe, et qu'il y avait même une règle à suivre dans les élans de l'enthousiasme et de la reconnaissance.

Répliquant à l'honorable préopinant, M. Thiers pensait qu'une discussion prolongée et minutieuse était nécessaire, quand les intérêts des contribuables pouvaient être compromis; mais ce n'était pas le cas, et l'on se trouvait dans une situation tout exceptionnelle.

« Nous nous plaignons souvent, disait-il, de l'espèce de tiédeur qui règne dans les esprits. Permettez-moi d'ajouter, Messieurs, que tous les jours on calomnie la discussion. Notre Gouvernement est précisément un gouvernement de discussion; mais le propre de la discussion c'est d'attiédir le sentiment, c'est de faire succéder à des mouvements d'élan des mouvements calculés qui valent moins.

• Ainsi, le jour où le général de Damrémont a été tué, ce fut un élan général dans tout le pays. J'ai vu même, par le retentissement de la presse étrangère, un résultat qui nous a dû toucher tous: c'est l'admiration qu'ont dû éprouver les nations étrangères en voyant se renouveler ces actes remarquables de nos armées, en voyant que le sang français était aujourd'hui aussi bouillant qu'il l'a toujours été; en voyant que nos armées, quoique jeunes, quoique n'ayant plus ces chefs expérimentés qui les ont si long-temps conduites à la victoire, étaient cependant encore capables, en versant leur sang sur le champ de bataille, de donner ce qu'elles avaient donné autrefois.

Eh bien! Messieurs, cela est utile, utile non-seulement à notre gloriole Dationale, mais utile à nos affaires, en ce sens que la voix de la Frauce en devient plus imposante, que nos négociations en deviennent plus faciles à l'étranger, quand les nations étrangères retrouvent nos armées telles qu'elles ont été par le passé.

Or, je dis que, même dans cette situation, il y a calcul et calcul bien entendu à faire ce qui vous est proposé.

.Ne faisons pas dire, Messieurs, que le résultat d'un gouvernement de discussion est de tout amoindrir, de tout dessécher. Montrons, au contraire, qu'une grande nation peut discuter ses affaires sans devenir petite, sans refuser aux braves qui meurent pour elle la récompense qui leur est due.

• Si vous étiez exposés à des excès; si vous étiez exposés à voir les finances de l'État compromises par des faits semblables, à la bonne heure! mais quant à les voir compromises par des actes héroïques, je suis rassuré : il n'y en aura jamais assez pour que vos finances puissent périr.

Après deux épreuves douteuses, l'article de la commission accordant à la veuve du général Damrémont une pension annuelle et viagère de 6,000 francs reversible sur ses deux enfants, fut adopté par la Chambre, par 192 voix sur 368 votans.

Cette loi fut portée, le 16 février, à la Chambre des pairs. Après une courte discussion, à la suite de laquelle fut écarté l'amendement de M. de Brézé, tendant à rétablir les 10,000 francs de pension à la veuve Damrémont, et admis celui de M. Villemain, qui avait pour but de conserver la moitié de la pension à chacun des enfants pendant la durée de leur vie, l'adoption fut immédiatement prononcée.

Chambre des députés. Le général Perrégaux ayant fait, sous forme d'amendement, une proposition relative à une pension de 3,000 francs à allouer à la veuve du colonel Combes, tué devant Constantine, cette proposition, qui ne pût, d'après le réglement, être votée avec la précédente, fut prise en considération et déposée sur le bureau, puis dans la discussion elle vint échouer à la séance du 9 mars.

20 Février.-S'associant à la noble pensée de M. de Marcillac, maire de Périgueux, patrie du général Daumesnil, M. de Vatry fit lecture à la Chambre d'une proposition tendante à accorder une pension de 3,000 francs à la veuve du lieutenant-général Daumesnil, mort gouverneur de Vincennes, de ce brave militaire qui, selon l'ex

pression de M. Dupin, n'avait voulu, devant les menaces et les présents de l'étranger, ni se rendre, ni se vendre. Cette proposition fut, le 28 mars, unanimement adoptée par la Chambre des députés, et le 29 du même mois par la Chambre des pairs.

10 Février.-Chambre des députés-M. Hippolyte Passy donna lecture d'une proposition touchant la condition des nègres esclaves dans les colonies françaises.

Il y était statué qu'à l'avenir tout enfant qui naîtrait dans les colonies françaises serait libre, quelle que fût la condition de ses parents; que les enfants, nés de parents esclaves, resteraient confiés aux soins de leurs mères, et qu'une indemnité annuelle de 50 francs par tête d'enfant serait allouée aux propriétaires des mères pendant dix années consécutives; que cette indemnité cesserait d'être payée dans le cas où l'enfant décéderait avant sa dixième année.

L'article 3 donnait à tout esclave le droit de racheter sa liberté à un prix fixé par des arbitres institués par l'autorité métropolitaine. L'indemnité due aux propriétaires pour les enfants nés des mères esclaves devait revenir de droit à celles des mères qui rachèteraient leur liberté.

Enfin les esclaves mariés ne pourraient plus être séparés désormais en cas de vente, et les maris et les femmes qui voudraient racheter leur liberté ne paieraient que les deux tiers du prix fixé par les arbitres; le troisième tiers serait payé par l'État.

Le 16 février, M. Passy développa sa proposition; il rappelait qu'à plusieurs reprises le Gouvernement avait reconnu la nécessité de résoudre une aussi importante question. Elle consistait dans l'affranchissement immédiat des enfants à naitre dans les colonies françaises, et dans la faculté accordée aux esclaves de racheter leur liberté à un prix fixé par des arbitres nommés à l'avance.

L'auteur de la proposition croyait inutile de réfuter sérieusement la légitimité de la servitude et de montrer en elle une violation flagrante des préceptes de la charité chrétienne et

un attentat aux droits les moins contestables de l'humanité. Il n'y avait, selon lui, à examiner que la question d'opportunité. L'esclavage avait été déjà adouci dans certaines localités; il avait disparu de plusieurs autres, sans dommage pour le travail et la vie des noirs. De plus, l'Angleterre avait déjà proclamé l'abolition de l'esclavage. Depuis le 1er août 1834, les esclaves placés sous sa domination avaient été élevés à la condition d'apprentis; au 1er août de cette année (1838) ceux qui habitaient les villes devaient être complètement libres; en 1840, ceux qui cultivaient les terres, le deviendraient aussi, et alors il ne resterait plus de servitude dans les colonies de la Grande-Bretagne.

Bien plus, on avait même devancé l'époque fixée par l'émancipation, et on n'avait eu qu'à s'applaudir de cette mesure.

Tout l'attestait donc, s'écriait l'orateur; les colonies ne sont pas assez malheureuses pour que l'esclavage soit indispensable à leur prospérité; nul arrêt de la Providence ne pèse sur la population noire et n'interdit de l'élever à la liberté sous peine de conflagration et de ruine. »

Une seule objection, à ses yeux, paraissait avoir du poids : c'était la traite qui, ayant cessé dans les colonies anglaises, vingt-six ans avant l'émancipation, avait continué dans les nôtres jusqu'en 1830, et y avait amassé un plus grand nombre de noirs, arrachés aux côtes d'Afrique; mais en retour la France avait peu de colonies, et quelques renforts suffiraient au maintien de la paix. Il y avait donc non seulement opportunité, mais nécessité d'agir devant l'exemple de SaintDomingue et de l'Angleterre; le nombre des esclaves nés en 1835 avait été de 6,054, et on pouvait évaluer déjà à 2 millions et demi l'indemnité légitime à allouer aux propriétaires des mères qui subiraient un dommage par suite de l'émancipation progressive des enfants.

Rappelant la tentative du Gouvernement à cet égard, le ministre de la marine exprimait le désir que la Chambre laissât au ministère le soin de mettre en pratique les meilleurs moyens d'arriver au but de l'abolition de l'esclavage:

1o en en respectant les droits aequis ; 2o en évitant, par une précipitation mal entendue, d'engager le trésor dans des dépenses exorbitantes; 3° en prenant, de longue main et sans violence, des mesures pour faire persister dans les habitudes de travail une classe d'hommes toujours portée à regarder la paresse comme le premier résultat et le premier bienfait de la liberté; 4° en attendant la fin de l'expérience faite dans les colonies anglaises, afin d'arriver par une voie sûre à l'abolition de l'esclavage. Il concluait au rejet de la prise en considération.

Selon M. de Saint-Pern-Couellan, le parlement anglais n'avait pu résoudre cette grave question de l'émancipation coloniale, qu'en sacrifiant un demi million pour indemniser les colons dépossédés. Cet orateur attaquait la proposition de M. Passy, en ce sens que les enfants, nés la veille du jour du bill d'affranchissement, seraient condamnés à vivre dans l'esclavage, à mourir dans la servitude, quand leurs frères, plus heureux, jouiraient sous leurs yeux de cette liberté à laquelle il ne leur serait pas permis d'aspirer. Il blâmait le secours de 50 francs par an à accorder par la métropole à chaque enfant jusqu'à dix ans, et il se demandait si, arrivé à cet âge, cet enfant pourrait éviter le vagabondage et la misère; il voulait un travail d'ensemble sur les colonies, car le système colonial était ruiné depuis qu'il n'était plus basé sur l'échange mutuel des productions des îles et de la métropole; depuis, en un mot, que la France s'était emparée de la principale industrie des colonies, en fabriquant elle-même une grande partie du sucre que nous consommons. M. de Saint-Pérn votait néanmoins la prise en considération, parce qu'il espérait dans les lumières de la commission, et aussi parce que le système de temporisation adopté par les défenseurs des colonies lui semblait redoubler les difficultés de la question.

C'était au nom de la sûreté de la propriété elle-même que M. de Laborde appuyait la proposition de M. de Passy, En général il croyait une enquête nécessaire, comme jadis

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