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etait au-dessous du pair, et de la rembourser de gré à gré par des conditions équitables, quand elle était au-dessus. Enfin l'article 8 violait la prérogative royale, et il rejetait cette résolution.

Après quatorze ans de lutte, M. Humann venait déclarer qu'il ne comprenait pas qu'on discutât encore sur le droit de la conversion, conforme à la plus simple idée de la justice, car le droit de libération appartenait à tout créancier.

Sully et Colbert, ces deux ministres célèbres, avaient abaissé l'intérêt de la dette publique; de nos jours M. de Villèle avait réussi à faire la réduction d'une partie des rentes 5 pour cent. M. de Chabrol avait dû la compléter.

A l'impossibilité pour le Gouvernement de rembourser, M. Humann opposait ces arguments.

L'offre du remboursement, vous a dit votre commission est un artifice; si elle était acceptée, le Gouvernement ne pourrait pas la réaliser. Votre commission s'abuse. Dans le système du projet, des propositions dictées par l'esprit de conciliation seraient faites aux rentiers; les accepteraient-ils ? Je n'en doute pas. Mais supposons le contraire, supposons une résistance aveugle, le Gouvernement en serait-il embarrassé ? Nullement. Au lieu de donner en échange les valeurs nouvelles à bas prix, il les négocierait à de meilleures conditions; il emprunterait à 4 pour rembourser ceux qui exigeraient 5, et avec la faculté d'opérer par série, il n'aurait que faire d'amasser des milliards. Le crédit suffirait aisément à tout; l'épargne lui viendrait en aide. N'est-ce pas l'épargne qui a absorbé tous les emprunts contractés depuis 1814; et si telle a été sa force daus les circonstances les plus difficiles, jugez quelle serait sa puissance dans nos temps prospères. A mes yeux, l'opération soumise à notre examen présente tous les caractères de loyauté et de bonne foi.

Enfin, il voyait dans la division facultative de l'opération en séries, une garantie suffisante contre les éventualités politiques et financières qui pourraient survenir, et il engageait la Chambre, au nom du crédit et de la fortune publics, à adopter le système du projet.

Cette question paraissait au contraire désastreuse à M. Mérilhou, en attaquant le patrimoine de 150,000 rentiers, et en enlevant au plus grand nombre d'entre eux une partie de leur nécessaire. L'Etat, selon lui, n'avait pas le droit

de modifier le contrat passé avec les rentiers, car s'il pouvait modifier le contrat, il pouvait aussi le briser.

L'orateur ajoutait que les auteurs de la loi de floréal an x n'avaient jamais pensé qu'on eût le droit de rembourser les rentiers malgré eux, qu'autrement toute la législation de cette époque, à commencer par la loi même de floréal, serait en contradiction avec elle-même.

28 Juin. Le baron de Morogues considérait la réduction de la rente comme indispensable; il ne sentait pas la nécessité pour l'État de se lier les mains pendant douze années, pour s'ôter la faculté de rembourser les rentes nouvelles émises au pair. De plus, le remboursement des rentes à 5 pour cent ne serait point demandé, et à son avis l'on n'aurait pas besoin de recourir au remboursement par série, dont on avait signalé les inconvénients. Avec de telles modifications le noble pair acceptait le projet de loi.

Quant au Général Baudrand, il ne croyait nullement à l'utilité ni à l'opportunité de la mesure, tandis que le comte d'Alton-Shée concluait à son adoption pure et simple, tant à cause de la confiance dans le pays, qu'à cause de son désir de voir la réalité du Gouvernement constitutionnel.

Aux yeux de M. Poisson, le principe qui dominait la question était la nécessité absolue pour un Gouvernement, à une époque de prospérité, de diminuer la dette publique autant qu'il le pouvait; principe qui résultait invinciblement de l'obligation, également indispensable, d'augmenter les charges du pays, dans des temps moins heureux, par de nouveaux emprunts.

Examinant si le droit public de la France autorisait la conversion de la rente, le duc de Bassano citait l'opinion de Mirabeau s'opposant, avec l'Assemblée constituante, Â toute réduction dans la dette publique, et proposait de faire une conversion toute simple qui ne blesserait pas les intérêts privés, qui ne violerait aucun principe, aucun engagement; de réduire, par exemple, à 3 ou à 2 112 pour cent les rentes qui constituent aujourd'hui les bénéfices de

la caisse d'amortissement; mais il ne voyait pas la nécessité d'en venir à cette ressource.

M. le comte Roy, rapporteur, après avoir suivi avec soin la discussion, déclarait n'avoir rien trouvé qui dût déterminer la commission à changer sa proposition.

M. Villemain, ayant obtenu la parole sur l'art. 1o, soutenait que c'était à l'État à soulever le fardeau inaccessible du 5 pour cent par la conversion, puisque l'amortissement ne le délivrait pas du 5 pour cent qu'il ne pouvait plus racheter; enfin, l'orateur accusait l'incertitude de M. le président du Conseil, en fait d'opportunité et d'inopportunité.

M. le comte Molé repoussait ce reproche d'irrésolution : il s'était toujours déclaré contre l'opportunité de la conversion. De plus, l'opération vantée dans des circonstances intempestives pouvait amener une catastrophe, et l'initiative du Gouvernement était par là moins utile.

M. le marquis d'Audiffret se reposait sur le Gouvernement du soin de retarder ou de hâter la grande mesure du remboursement.

Selon M. le comte d'Argout, bien que la loi ne dût pas être adoptée cette année, il importait d'admettre au moins le principe du remboursement; principe admis en 1833 à l'unanimité, moins une voix; néanmoins. de tous les plans proposés, celui de la commission était encore le plus désastreux pour le pays.

Le chancelier mit aux voix l'art. 1o, qui fut rejeté à la presque unanimité.

26 Juin.- La Chambre, ayant procédé au vote par la voie du scrutin, repoussa la loi par 124 boules noires, sur 158 votants.

Cette loi financière organique devait donc encore être arrêtée par l'esprit de prudence et l'examen sévère de la Chambre des pairs; c'est qu'il y a certaines questions soulevées par des crises antérieures, et dont on ne peut abdiquer sans danger les inévitables conséquences; aussi une

grande majorité se prononça-t-elle contre la réduction de la rente.

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27 Janvier. Chambre des députés. L'utilité des communications rapides étant désormais devenue incontestable, M. le ministre du commerce et des travaux publics présenta à la Chambre des députés un projet de loi pour l'établissement d'un chemin de fer de Strasbourg à Bâle. La longueur du tracé depuis Strasbourg jusqu'à la frontière suisse était évaluée à 140,046 mètres, ou 35 lieues environ, et la dépense de premier établissement à 26 millions; de plus, le projet n'avait donné lieu dans le département du Bas-Rhin à aucune opposition sérieuse, et la chambre de commerce de Strasbourg avait complètement adhéré au chemin en question.

6 Février. Après une discussion entre M. Jaubert, qui ne concevait pas l'utilité immédiate du transit et voulait l'ajournement du projet, et M. Fulchiron, qui appuyait cette fondation dans l'intérêt du commerce de la Hollande, de la Belgique, de la Prusse rhénane, et surtout de la France, la loi reunit 261 suffrages sur 282, et fut ainsi adoptée à une grande majorité.

Cette loi, soumise le 20 février à la Chambre des pairs, fut sanctionnée dans la même séance, après une mûre délibération, et sans cependant que la discussion ait rien offert de remarquable.

La grande question industrielle du chemin de fer allait enfin être posée, sinon décidée. La France suivait l'exemple de plusieurs autres peuples qui l'avaient devancée, et le vœu public appelait depuis long-temps cette sorte d'égalité pacifique et commerciale.

24 Avril. Un rapport relatif au projet de loi sur les chemins de fer fut fait à la Chambre des députés par M. Arago. Il s'agissait d'examiner les vues d'ensemble du Gouvernement sur le réseau du chemin de fer à établir en France, qui se composerait de neuf lignes principales dont sept, partant de Paris, se relieraient à la Ann. hist. pour 1838.

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frontière de Belgique, au Havre, à Nantes, à la frontière d'Espagne par Bayonne, à Toulouse par la région centrale du pays, à Marseille par Lyon, enfin à Strasbourg par Nancy, et de deux autres lignes joignant Marseille, d'une part, à Bordeaux par Toulouse, et l'autre, à Bâle par Lyon et Besançon. Ce n'était rien moins qu'un développement total de 1100 lieues environ, et une dépense de plus d'un milliard. Pour le moment, l'administration ne proposait que l'exécution immédiate et simultanée de 373 lieues de chemin de fer de Paris en Belgique, de Paris à Rouen, de Paris à Bordeaux par Orléans et Tours, et de Marseille à Avignon.

Après de savantes considérations sur les divers moyens de communications et de transport, et des calculs comparatifs d'une grande précision, l'honorable rapporteur regardait comme un mal de travailler de suite aux quatre lignes projetées, et de ne pouvoir ainsi profiter des perfectionnements qui se révélaient chaque jour chez les autres peuples. De plus, il fallait abandonner l'exécution des chemins de fer à l'esprit d'association, et non au Gouvernement; seulement, on demanderait aux compagnies soumissionnaires des garanties et un cautionnement. Il ne semblait pas prudent à la commission d'augmenter les charges de l'État, alors que le budget extraordinaire pour 1839 était chargé de 49 millions destinés aux canaux, aux rentes et aux monuments publics à achever; et, par toutes ces raisons, elle proposait le rejet du projet de loi.

Le 7 mai, M. Martin du Nord, ministre des travaux publics, ouvrit la discussion en maintenant son opinion, qui consistait à croire que le Gouvernement devait se charger exclusivement des grandes lignes, et laisser les lignes secondaires aux compagnies. Il était, selon lui, de la dignité de la France de se mettre au niveau des autres peuples; attendre, comme le conseillait le rapporteur, le perfectionnement des chemins de fer, c'était vouloir attendre toujours; car le progrès de la science ne pouvait pas s'arrêter.

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