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M. Havin parlait ensuite du caractère d'incertitude qui paralysait en 1828 le ministère de M. Martignac; relativement aux lois de septembre et aux atteintes portées par elles à la constitution, il soutenait que l'opposition saisirait avec empressement le moment opportun pour les effacer de nos codes. Quant à la réforme électorale, l'orateur espérait dans le concours d'un assez grand nombre de membres de la Chambre, et il attendrait que l'initiative vint du gouvernement.

Interpellant le président du Conseil, il s'informait s'il présenterait toutes les lois qui lui semblaient indispensables à la marche des affaires et au succès de cette politique dont 'il s'était déclaré le continuateur.

M. de Montalivet, ministre de l'intérieur, réfutant le discours de M. Havin, lui reprochait d'avoir fait à la tribune la critique du passé et de rompre avec les idées de conciliation. Il se défendait d'avoir pris part à de basses menées 'électorales, soutenait que suivant toutes les lois des pays constitutionnels, le gouvernement avait une action légitime dans les élections. Quant à l'amnistie, le ministre déclarait que cette mesure n'était pas le signal d'une rupture avec le passé, et que depuis sept ans la politique générale n'avait ni changé ni dû changer; que depuis sept ans il n'y avait pas un ministère qui n'eut été fidèle à ces sentiments de clémence et de générosité qui étaient le vœu le plus cher et le plus ancien du roi.

Tel est, Messieurs, le caractère de cette politique dont je parle, parce qu'on en a parlé d'abord; que je défends, parce qu'on l'attaque, et qu'elle est l'honneur de ceux qui y ont pris part.

« Je dis que cette politique a été non seulement une politique de répression contre ceux qui ont attaqué le pouvoir, et avec le pouvoir, la société dont il est la formule, mais encore une politique de clémence et de générosité.

M. de Montalivet ajoutait qu'après toutes les réformes et toutes les libertés obtenues en 1830, l'ère du maintien et de la conservation était arrivée; que c'était là la pensée du

ministère; que le moyen de faire renaître les principes, était de faire durer les choses.

M. Jaubert venait renchérir sur les idées du ministre, et se plaignait que le passé n'eût pas été glorifié comme il le désirait personnellement. Quant à lui, il n'était en opposition avec l'administration que relativement à la question d'Alger. Il invitait la Chambre à soutenir le gouvernement contre les passions révolutionnaires; mais il renonçait, à l'exemple de M. Dupin, aux lois d'apanage,contraires aux vœux du pays.

M. Salverte présenta un amendement au premier paragraphe, ayant pour but d'étendre l'amnistie aux individus contumaces, pour lesquels un exil éternel deviendrait une peine injuste.

Cet amendement appuyé par M. Hennequin, et repoussé par le garde-des-sceaux comme une source de désordre et une mesure qui compromettrait la sécurité de certains départements, fut rejeté par la Chambre.

Le second paragraphe, relatif à la convocation des colléges électoraux, donna lieu de la part de M. de Sivry à une révélation explicite des menées coupables du préfet du Morbihan dans les élections de Ploërmel. Ce député dévoilait les promesses et les intimidations adressées aux électeurs, à leurs parents et amis influents, ainsi que l'ordre donné aux fonctionnaires de voter pour le candidat ministériel.

M. le ministre de l'intérieur et M. Bernard de Rennes, vinrent contredire toutes les assertions de M. de Sivry et défendre le préfet du Morbihan qui, de son côté, avait protesté contre toutes les machinations corruptrices qu'on lui imputait.

Un débat des plus vifs s'engagea entre M. de Sivry et MM. de Montalivet et Bernard de Rennes, relativement aux faits si graves de corruption électorale; débat auquel prirent part successivement MM. de Labourdonnaye et Mauguin; ce dernier, dans l'intérêt de la justice et de la morale demanda une enquête dans les départements de la Lozère

et de la Corrèze.

M. Larabit accusa M. Guizot d'avoir provoqué la destitution du général Corbet, qui ne s'était pas prêté à Lizieux au fait de son élection.

M. Odillon-Barrot soutint que le ministre de la guerre avait abusé de son droit de mettre un officier général en disponibilité."

MM. Bernard et Guizot protestèrent l'un de son droit d'agir comme il avait agi; l'autre de sa parfaite ignorance des faits qui lui étaient attribués.

M. le président du Conseil, prenant part à la discussion, observa que l'administration ne devait pas rendre compte à la Chambre de sa conduite vis-à-vis des fonctionnaires; que cette doctrine était de nature à vicier tous les principes du gouvernement représentatif, et que le ministre avait le droit de défendre dans les élections l'opinion qu'il représentait.

M. Billaudel produisit une certaine sensation dans la Chambre, en venant déposer d'une sorte d'atteinte portée en sa personne au droit d'éligibilité de tout Français vivant sous le régime de la Charte.

L'ingénieur en chef de la Gironde, annonça qu'il avait reçu une lettre officielle, dans laquelle on lui ordonnait d'opter entre la députation et sa place.

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Il disait :

J'avoue, Messieurs, que j'ai cru voir dans ces catégories une attaque portée au droit d'éligibilité qui résidait en moi ; j'ai cru voir une attaque portée aux droits des électeurs; j'ai cru voir quelque chose d'offensant pour une classe particulière de fonctionnaires; et dans cette situation j'ai pris immédiatement mon parti; j'ai pensé que les droits qui étaient consacrés par la Charte et les lois étaient chez moi un dépôt que je devais faire rèspecter comme citoyen.

⚫ Je conviens, Messieurs, que le ministre a sa responsabilité. Je reconnais qu'il a le pouvoir et le devoir de disposer du fonctionnaire suivant le bien du service; je reconnais cette faculté-là même quels que soient les services qu'ait pu rendre et que puisse rendre un ingénieur; mais je crois que tout citoyen a une responsabilité personnelle; il me semble que si le ministre répond de son administration, chaque citoyen répond des droits de la Charte qui vivent en lui.

« Eh bien! ce droit dont nous n'avons pas la jouissance, mais le dépôt sacré, ce droit, je l'ai cru violé. Je vous avoue franchement que c'est là l'impression que cette mesure a produite sur moi. Je n'ai pas eu le temps de faire des consultations là-dessus. Un cœur généreux, un Français n'attend pas de conseils pour prendre une résolution vigoureuse. J'ai fait un appel au premier tribunal qui se présentait devant moi. Quel était ce tribunal? c'étaient MM. les électeurs, en quelque sorte rassemblés sur la place publique. Je leur ai fait connaître les pièces du procès; je leur ai dit : L'administration, d'une part, croit sa responsabilité engagée à me retirer mes fonctions d'ingénieur en chef du département de la Gironde ; d'autre part, je pense que les droits qui vivent dans la Charte et en moi m'obligent de poursuivre ma candidature. C'est à vous à juger. Prononcez sur cette dissidence entre l'administration et moi.

Maintenant il y a un appel; cet appel est devant la Chambre et devant l'opinion publique. C'est à vous, Messieurs, à prononcer sur la résolution prise par les électeurs et par moi-même. Il ne m'appartient pas de devancer votre jugement. Quoi qu'il arrive, il me restera le sentiment que j'ai rempli le devoir de citoyen, puisque je n'ai pas balancé à sacrifier vingt-sept ans de service, vingt ans de séjour dans la Gironde, tout mon passé pour accomplir un devoir civique.

L'admin stration a cru de sa dignité de me retirer les fonctions que je remplissais. Je respecte cette décision, je m'y soumets comme fonctionnaire; mais il est aussi de la dignité des électeurs que je sois venu à cette tribune expliquer les motifs qui m'avaient dirigé.

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M. Martin (du Nord), ministre des travaux publics, expliqua sa conduite, en donnant pour raison que, la résidence d'un ingénieur en chef était indispensable au lieu où il doit exercer ses fonctions; que sept mois passés à la Chambre des députés compromettaient les intérêts de tout un département; que c'était là toute la question, et qu'il était de son devoir d'empêcher que les ingénieurs quittassent le service que leur absence laissait en souffrance.

Il allégua que la même mesure avait été prise à l'égard de l'ingénieur du département de l'Yonne et plusieurs autres, et quant à M. Billaudel:

« Messieurs, dit-il, l'honorable membre est venu parler de sa position nouvelle, des services qu'il avait rendus. Je déclare que, soit avant, soit après l'élection, j'ai rendu pleinement hommage aux services, aux éminentes qualités de M. Billaudel. Avant l'élection, j'ai exprimé le regret de la mesure que je serais forcé de prendre dans l'intérêt des travaux des ponts

et chaussées du département de la Gironde. Après l'élection, si le bien du service n'eût pas exigé que je prisse cette mesure, je me serais félicité de voir arriver à la Chambre un homme que recommandaient ses lumières et son expérience; mais après lui avoir rendu un hommage sincère, j'avais un autre devoir à remplir. Le département de la Gironde est un des départements les plus importants de la France. De grands travaux sont préparés et sont en voie d'exécution. La présence sur les lieux de l'ingénieur en chef est indispensable. C'est lui qui doit diriger et surveiller l'exécution des travaux. Il est chargé de tous les détails de la comptabilité; c'est autour de lui que viennent se concentrer toutes les opérations. L'ingénieur en chef absent, tout languit, l'exécution des travaux n'offre plus les garanties nécessaires; c'était donc un devoir pour moi de ne pas laisser les travaux sans direction, sans garanties.

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« J'ai exécuté du reste la mesure avec tous les ménagements que je devais à un homme qui a rendu de longs et de bons services.

« Je n'ai pas destitué M. Billaudel; et ici, n'ayez pas peur, je n'équivoque pas sur les termes; il a été mis provisoirement en disponibilité; et la preuve que j'ai voulu faire en faveur de M. Billaudel tout ce que méritaient ses longs et bons services, c'est que, conformément à l'usage de l'administration, dans de certaines circonstances, on a conservé à M. Billaudel, mis en disponibilité, son traitement entier. »

10 Janvier.-Les réclamations énergiques de M. Billaudel, et la protestation plus que sévère de M. de Sivry contre les manoeuvres du préfet du Morbihan dans les élections, prouvaient que la Chambre était décidée à reprimer toutes les atteintes portées à sa dignité.

Un amendement au deuxième paragraphe semblait nécessaire à M. Hortensius de Saint-Albin. Cet amendement aurait eu pour but de maintenir la liberté complète des élections, et d'interdire au pouvoir à l'avenir toute action directe ou indirecte.

M. Larabit appuyait l'amendement, en rappelant la circulaire remarquable du 29 septembre 1830, émanée de M. Guizot, alors ministre de l'intérieur; il regrettait qu'on se fût dès long-temps écarté en cette matière des vrais principes constitutionnels.

Le ministère n'était pas encore au bout des attaqués de ce genre, et le premier coup porté à l'administration devait en produire beaucoup d'autres.

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