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çais ne devait pas s'attendre' à ce qu'un pays ami , tel que la Suisse , et avec lequel les anciennes relations de bon voisinage avaient été naguère si heureusement rétablies, souffrirait que Louis Bonaparte revint sur son territoire , et, au mépris de toutes les obligations que lui imposait la reconnaissance , osâl y renouveler de criminelles intrigues, et avouer hau. tement des prétentions insensées et que leur folie même ne peul plus absoudre, depuis l'attentat de Strasbourg. Il est de notoriété publique que Arenenberg est le centre d'intrigues que le gouvernement du roi a le droit et le devoir de ne pas tolérer dans son seią. Vainement Louis Bonaparte voudrait-il nier les écrits qu'il a fait publier tant en Allemagne qu'en France, celui que la Cour des pairs a récemment condamné, auquel il est prouvé qu'il avait lui-même concouru et qu'il avait distribué, témoignent assez que son relour d'Amérique n'avait pas seulement pour objet de rendre les derniers devoirs à une mère mourante , mais bien aussi de reprendre des projets et d'afficher des prétentions auxquelles il est démontré aujourd'hui qu'il n'a jamais renoncé! La Suisse est trop loyale et trop filèle alliée pour permettre que Louis Bonaparle se dise à la fois l'un do ses citoyens et le prétendant au trône de France ; qu'il se dise Français , toutes les fois qu'il conçoit l'espérance de troubler sa pairie au profit de ses projrts, et citoyen de Turgovie , quand le gouvernement de sa patrie veut prévenir le retour de ses criminelles lentalives.”

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Le 6 août, la discussion s'éleva sur cet objet. Le président fit préalablement observer, que si la Diéte n'était pas réunie, le vorort , pour toute réponse , se bornerait à remettre la note de l'ambassadeur de France sous les yeux du gouvernement de Turgovie; mais que puisque c'était à la Diète qu'on en appelait, il convenait à sa dignité d'apporter dans la discussion tout le calme qu'elle réclamait:-)

M. Kern, député de Turgovie, s'éleva avec force contre les prétentions de la France , qui ne tendaient pas moins, selon lui, qu'à compromettre la souveraineté de la Suisse"; il ajoutait qu'il serait dangereux d'établir un précédent attenloire à l'indépendance de la nation , qu'il était temps enfin de montrer que la Suisse voulait une fois pour toutes, en finir avec les exigences toujours croissantes de l'étranger, et qu'elle n'était point une province de France, mais un état libre; que, quant à lui, il protestait au nom du canton qu'il représentait contre toute décision qui porterait alleinte aux droits de la Turgovie.

Ann. hist. pour 1838.

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La plupart des députés des autres cantons partagèrent l'opinion de M. Kern; quelques-uns pensèrent que dans une affaire qui intéressait toute la Suisse, la Diète avait le droit d'examiner si le prince Louis avait été élu régulièrement ciLoyen de Turgovie et si ses actes n'étaient point en opposition avec sa conduiçe; qu'en conséquence la note devait être renvoyée à l'état de Turgovie , afin d'obtenir des renseignements précis qui mettraient à même de prendre une décision. Le renvoi fut mis aux voix et adopté par 13 1/2 États: Zurich, Soleure, Schaffouse, Argovie, Valais , Lucerne, Genève, Neufchâtel, Vaud, Appenzel, Fribourg, Glaris, Berne et Bàle-Ville. Quatorze états volèrent ensuite dans le même sens la nomination d'une commission chargée d'entrer en correspondance avec le gouvernement de Turgovie, et l'on invita les députés qui avaient déclaré ne point avoir d'instruetions spéciales à en demander à leurs commettants.

Un nouvel incident vint encore compliquer les embarras de la Suisse. Le fameux refugié Mazzini et une partie de sa bande qui, en conséquence du concluşum de 1836, avaient pris l'engagement de quitter le continent, reparurent dans le canton de Zurich. Les circonstances étaient favorables à ces refugiés, car eux aussi pouvaient réclamer les droits de bourgeoisie qu'ils avaient acquis dans plusieurs cantons, et la détermination de la Diéte à l'égard du prince Louis devait leur, etre applicable; on provoquait ainsi pon-seulement une rupture avec la France, mais encore ayec les autres puissances qui avaient exigé l'exécution du conclusum.

Tous ces débats indisposaient la Suisse contre la France.. Aussi lorsqu'elle fut appelée à se prononcer au sujet de la juste réclamation portée devant elle par MM. Cellard frères, négociants français, montra-t-elle quelque mauvais vouloir.

MM. Cellard frères, de Susse , département de la Côte-,

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d'Or, avaient eu une contestation relative à une saisie-arrêt ordonnée par l'autorité judiciaire de Lucerne ; il s'agissait de la libre exploitation de bois qu'ils avaient acquis dans ce canton; ils invoquèrent les concordats de 1827 et de 1828, qui garantissaient leurs droits comme Français domiciliés à Susse. Le gouvernement français intervint pour réclamer l'exécution des conventions internationales, et une note de l'ambassadeur appuya la demande en indemnité formée par MM. Cellard. Mais la Diète, contrairement à sa résolution antérieure, contrairement aussi au principe posé par elle en 1825, qui établissait que l'applicatìon desdits concordats ne devait pas être laissée à la décision de l'autorité judiciaire, arrêta que cette demande serait déférée aux tribunaux de Lucerne ; ce qui en définitive équivalait à un rejet.

Quant à l'incident relatif au prince Louis Napoléon, le grand conseil de Turgovie persistant dans son esprit d'hostilité, déclara dans la réunion du 22 juillet que le prince était citoyen turgovien ; que si une renonciation formelle de sa part à la qualité de Français n'avait pas été exigée, c'est qu'elle était inutile, attendu qu'aux termes des lois françaises la naturalisation acquise en pays étranger faisait perdre cette qualité, et que d'ailleurs en vertu de l'acte d'expulsion de la famille de Napoléon, aucun de ses membres n'était en droit de la réclamer; que tout ce que pouvait dans cette circonstance l'état de Turgovie, c'était de faire en sorte que la France n'eût point à se plaindre de la présence du prince Louis en Suisse.

Après cette réponse évasive, la demande du gouvernement français fut remise en délibération à la Diète, dans są séance du 3 août; plusieurs députations ayant insisté pour que la communication préalable des pièces eut lieu, et notamment la dépêche du comte Molé, ministre des affaires étrangères, et qu'on renvoyât la discussion au 3 septembre suivant, l'assemblée adopta à l'unanimité la première proposition, et 14 États se prononcèrent pour la seconde.

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Trois projets de réponse furent alors soumis à la haute assemblée: ils concluaient au rejet de la demande d'expulsion, mais à des conditions différentes. La commission, à la majorité de 5 membres, proposait que le gouvernement de Turgovie serait invité à exiger du prince Louis une déclaration par laquelle il renoncerait à la qualité de Français et à toute prétention ultérieure à cette qualité.

Un amendement de M. Buckhard portait que cette déclaration serait transmise à l'ambassadeur , avec l'assurance que si la Suisse ne pouvait obtempérer à la demande de la France, elle désirait vivre eu bonne intelligence avec elle et désavouait tout projet qui aurait pour but de porter atteinte à sa tranquillité. Deux membres de la commission voulaient au contraire qu'il fat répondu à la note de M. de Montebello, que nulle disposition exceptionnelle ne pouvait être prise aux termes de la constitution fédérale à l'égard du prince, attendu qu'il était citoyen de Turgovie. Enfin, M. Kopp, président d'âge, était d'avis qu’on invitât le gouvernement français à adresser sa demande directement à l'état de Turgovie, la Diète ne pouvant pas constater la qualité du prince comme citoyen de ce canton , et que la Suisse en transmettant cette décision aux hautes puissances qui avaient reconnu son indépendance et sa neutralité se mît sous leur protection.

Le 3 septembre, la discussion s'ouvrit sur les trois projets de réponse proposés par les membres de la commission. Plusieurs députés ayant désiré qu'on donnât communication à l'assemblée des ouvertures verbales faites à son président; il résulta de ces explications que la note de l'ambassadeur de France avait été suivie d'une dépêche de M. le comte Molé, qui insistait d'une manière plus formelle et plus menaçante sur son exécution ; que les ministres d'Autriche, de Bade et de Russie avaient fait des démarches auprès de la Suisse pour l'appuyer; et qu'enfin la note communiquée à toutes les cours, avant d'être présentée au gouvernement helvétique, avail obtenu leur assentiment.

Ainsi , il résultait clairement de cet exposé que la Suisse

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ne trouverait d'appui auprès d'aucune puissance dans la lutte où elle s'était engagée par son refus.

Bien que les trois projets eussent été soutenus dans la discussion à laquelle ils donnèrent lieu, la plupart des dépntés déclarèrent que, dans une question de cette importance, ils devaient en référer à leurs commettants.

L'état de Neufchâtel, sans avoir d'instruction sur la réponse à faire, demandait à la Diète qu'elle eût à se prononcer sur la question de savoir si le prince Louis était réellement citoyen suisse, ou s'il était encore citoyen français, et rappelait qu'un arrêté avait été pris en 1815, qui refusait l'entrée du pays à tous ceux qui avaient joué un rôle principal dans la conjuration contre Louis XVIII, arrêté qui en 1817 fut applicable à la duchesse de Saint-Leu; - Que Louis Bonaparte , venu en Suisse avec sa mère, n'avait point invoqué l'hospitalité en vertu d'un titre qui lui fut particulier; qu'il n'avait point satisfait à la constitution de Turgovie qui exigeait la renonciation formelle à tous les droits de bourgeoisie étrangère; et qu'enfin les actes postérieurs des princes devaient faire croire que cette renonciation n'était point dans sa pensée. L'état de Neufchâtel voulait donc qu'on eût à se prononcer sur cette question afin que Louis Napoléon fut déclaré Français.

Les états de Genève, d'Uri, de Schwitz, d'Underwald, de Zug, de Bâle-Campagne et de Turgovie combattirent cette opinion, en alleguant que cet arrêté de circonstance était tombé depuis long-temps en désuétude. - Après quelques débats sans importance, 17 États prononcèrent l'ajour, nement de toute discussion, et la Diète fut prorogée jusqu'au 1er octobre suivant à la majorité de 12 États.

Par le fait de l'ajournement, cette question se trouva renvoyée aux grands conseils qui avaient donné aux dépulés des instructions à ce sujet.

1 Cependant, la Suisse se trouvait chaque jour dans une position qui devenait de plus en plus critique ; le blocus

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